ECOLE FRANÇAISES DES GRAVEURS VISIONNAIRES Un monde à la recherche d’une renaissance de l’univers par MICHEL RANDOM
17/09/2010
(Revue 3e Millénaire. Ancienne Série. No 1. Mars-Avril 1982)
Michel Random[1] présente ici l’école française des graveurs visionnaires dont certaines œuvres illustrent le numéro 1 de la revue 3e Millénaire, ancienne série.
Avec lui entrons dans l’imaginal. Ces artistes français règnent sur
l’art difficile de la gravure. Leur démarche, toute faite de symbolisme,
laisse la place et aux cauchemars et aux rêves les plus fous. S’ils ne
sont pas souvent optimistes ils savent être poètes. Sensibles aux crises
de conscience des hommes, à leur peur, leurs angoisses, leurs rêves,
ils se font leurs interprètes. Leurs dessins aussi témoignent de la
grande mutation, leur vision cosmique et leur désespérance poignante
laissent pourtant quelquefois poindre la fraîcheur d’une nouvelle ère,
l’espoir d’une simple fleur sur un paysage de désolation et de mort.
Le mot école fait peur, le mot
vision encore plus. Si nous accolons ces deux mots, où allons-nous ?
Messieurs, l’art est un péril et la création est en crise. — Vous
connaissez tous les graveurs visionnaires ? demande le spécialiste.
A dire vrai, voici quelques années
déjà qu’ils sont connus, et reconnus. Tenter donc d’acheter une gravure
de l’un d’eux, ce n’est pas si facile. Les amateurs sont nombreux, les
tirages discrets et les nouvelles gravures apparaissent avec une lenteur
extrême. Rien n’est donc facile avec ces gens-là.
Mais en fait qui sont-ils ? Une
bande de copains ? Oui. Des gens qui manient le burin ou l’eau-forte
avec une maîtrise de vieux maître ? Il n’y a pas de doute. Des artistes
inspirés et débordant de talent ? C’est l’évidence même. Après tous ces
conciliabules où peut-on les rencontrer ? Ça c’est la plus belle énigme.
Ils sont dispersés aux quatre coins de France ou d’Ailleurs, mais il y a
des moments, des lieux de retrouvailles et de fêtes. Les amis se
retrouvent toujours.
Enfin, de qui parlez-vous ? Vous voulez des noms ?
Les voici : ils se nomment Jean-Pierre Velly, Yves Doaré, Georges Rubel, Jacques Houplain, Eric Desmazières, Jacques Le Maréchal, Mordecaï Moreh et le benjamin de tous Fabrice Balossini.
Et, bien sûr, il y a les copains des copains, mais la liste serait trop
longue. En bref, soyons sérieux, pourquoi sont-ils, eux plutôt que
d’autres, des « graveurs visionnaires » ?
Tout discours sur l’art est un
discours piégé. On risque les généralités et la louange fleurie, et ces
louanges ne sont souvent pas justifiées. Parler d’art est difficile et
d’art visionnaire encore plus. Car, l’art visionnaire n’existe pas. Ce
qui existe, c’est soit une œuvre rare et privilégiée dont la force et la
beauté sont le résultat du talent et de la technique certes, mais plus
encore de convergences réussies : c’est l’inspiration qui traversant le
fond et la forme s’impose, se burine elle-même, prend corps à travers un
poète, un musicien, un graveur, s’incarne en paroles, musique ou
signes, se génère elle-même comme source inépuisable d’inspiration et de
vision. A ce degré, nous avons quitté l’imaginaire, pour parvenir en
cette terre où les choses, les idées et les sentiments n’ont plus un
corps mais une « corporéité ». Ce monde était traditionnellement décrit
comme le monde où le corps a réalisé son alchimie ultime après maintes
morts et renaissances, et s’est fait corps lumière. C’est le « lieu » de
cette terre imaginale qu’Henri Corbin nous a révélée à travers le
soufisme chiite persan. L’art visionnaire est en fait la somme de toutes
les « visions » de tous les moments rares et exceptionnels ajoutés les
uns aux autres. C’est un art au-delà de l’art. Autrefois les grands
imagiers mystiques se purifiaient et faisaient des prières avant de
commencer leurs œuvres : aujourd’hui on boit peut-être un coup de rouge,
mais la pureté intérieure et intrinsèque est la même. De toutes les
façons, l’œuvre est rare, mais quand œuvre il y a, il faut savoir
s’arrêter, interroger, comprendre.
Il est tout à fait remarquable
qu’existe en ce moment une école française de gravure d’une si grande
qualité. Les Autrichiens se sont énormément enorgueillis de l’école du
réalisme fantastique de Vienne comprenant de grands peintres tels
qu’Ernst Fuchs, Hausner, Lehmden, Hutter etc. Le succès de l’école de
Vienne est dû certes au talent des peintres eux-mêmes, mais aussi au
fait que la peinture est infiniment plus rentable que la gravure.
Pousser la cote d’un peintre, c’est pour les galeries une bonne ou une
très bonne affaire — pousser la cote d’un graveur n’intéresse que très
médiocrement les galeries. Les bénéfices resteront minces quoi qu’on
fasse. Et pourtant, quand Jean-Pierre Velly ou Doaré travaillent une
année sur une gravure, l’œuvre est non moins astreignante. Si la valeur
d’une gravure ne se mesure pas nécessairement au temps qu’on y passe, il
est évident toutefois que travail, talent et temps sont souvent les
facteurs d’une grande réussite.
Qui a dit que le génie, c’était 5 % d’inspiration et 95 % de transpiration ?
Toutes ces considérations ont peu à
voir semble-t-il avec la vision. En fait, c’est comme si on disait d’un
moine que labourer son jardin a peu à voir avec le mystique. Le graveur
est aussi un jardinier, et sa terre, c’est-à-dire la plaque de cuivre,
est une surface non moins difficile et ingrate à faire fleurir.
Nous reconnaîtrons tardivement que
la France possède donc une « école » ou un groupe de graveurs et de
peintres qui sont en marge des courants classiques de l’art. Ils ne sont
ni figuratifs, ni surréalistes, ni vraiment fantastiques bien qu’un
certain fantastique apparaisse dans leurs œuvres. Ils sont avant tout «
visionnaires » au sens où ils s’efforcent de lier sensation intérieure
et exigence de l’esprit, rêve et au-delà du rêve. La vision n’est pas
l’art d’échapper aux choses, c’est au contraire l’art de condenser, de
faire descendre le mystérieux vers soi. L’Art fut de tous temps le
voyage intérieur et le voyage des dieux. C’est le dieu du mythe qui
apparaît ainsi armé de ses vertus alchimiques. Donc l’art visionnaire
réintroduit l’homme dans l’œuvre mais l’œuvre est libre, comme libre est
l’homme au sens de la vision. Voyage où les principes du mercure et du
soufre opèrent, ceux de la vie et de la mort et surtout leur
dépassement. C’est pourquoi si Velly, Doaré, Rubel, Mockel sont
familiers avec les thèmes de la mort, ils le sont pour repousser la mort
derrière la mort, pour bâtir l’hallucination non pour elle-même, mais
comme la frontière de cet Ailleurs, de cet au-delà des mondes que la
conscience éveillée scrute sans cesse.
L’écriture de l’un
« Quand on touche le fond, dit
Jean-Pierre Velly, on ne peut plus rien communiquer. C’est pourquoi tous
les visionnaires sont mystiques. Parce que là se découvre un langage
inexprimable, un langage unique ».
Ce langage unique, c’est un langage
blanc ou un langage transparent ou un voyage au sein des transparences
ou le voyage des dévoilements. Quelque chose est là, vibrant, secret,
intime aux choses. Ce quelque chose, n’est ni l’objet, ni la chose vue,
ni moi, c’est l’alliance des deux ondes qui interfèrent et vont créer
cette réalité du centre, qui n’appartiendra à personne, qui tout
simplement sera. Pour passer du concept au concret, il faudrait voir
certains tableaux de Le Maréchal, des œuvres élaborées longuement au fil
des ans. Car pour gagner cette transparence qui est là toute prête, il
faut en réalité temps et patience. Connaître les couleurs (mais Le
Maréchal fabrique lui-même ses couleurs) appliquer une fine couche,
laisser sécher et recommencer. La transparence dans la peinture, c’est
le secret des grands maîtres. Car dans vision il y a miroir, traversée
des apparences, au-delà. Au-delà, c’est l’image qui s’efface, l’œil qui
ébloui s’apaise, voit sans voir, réalise peut-être le vide.
« La vision, pour moi, dit Le
Maréchal, c’est la fin du mental, de l’esprit tel qu’on le conçoit. On
peut définir la vision comme un blanc indescriptible. C’est un mouvement
formidable, une prémonition, un éclairement. Tout le reste n’est qu’une
forme provisoire et transitoire de l’esprit. »
La Tentation de Babel
Notre temps est celui d’une
tentation à tous les niveaux, une tentation qui se voudrait dépassement
et qui échoue dans une grandeur avortée : c’est par excellence la
tentation de Babel.
Il est d’ailleurs frappant que ce
soit un thème sur lequel le benjamin de ces jeunes graveurs, Fabrice
Balossini qui aujourd’hui seize ans, a travaillé dès l’âge de dix ans.
Il en a fait à douze ans le thème de sa première gravure. La tour de
Babel pour Fabrice c’est un peu la parabole avant la lettre de la
grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf, de l’homme qui
ayant reçu tout ce qu’il est de Dieu, veut mesurer ses forces avec Dieu
lui-même.
Ce même thème sous forme de villes
géantes est repris constamment par un autre benjamin Eric Desmazières
(né en 1948). Il est lui aussi l’auteur d’une tour de Babel, une cité de
tours qui évoque toute la démesure dont l’homme est capable.
Desmazières sait admirablement jeter des villes gigantesques qui du haut
de leur folle grandeur ploient tout-à-coup et commencent un fantastique
écroulement. Il a surtout l’art d’intervertir les temps anciens et les
temps nouveaux. Comme si la grandeur des civilisations n’apparaissait
qu’au milieu de leurs ruines. Que ce soit des villes modernes ou des
temples comme devaient l’être ceux de Ninive, de Persépolis ou de
Babylone, l’effet est le même ou presque. Car finalement, c’est la même
humanité, misérable, éclatée, qui est réduite à se retrouver autour d’un
feu comme sans doute aux origines de l’humanité. Et en même temps on
pressent que ce n’est qu’une parenthèse entre mille et que la vie va
reprendre.
Le Massacre des innocents
Cet art de lier l’ancien et le
nouveau se retrouve chez J.-P. Velly (né en 1943). Le futur est déjà là,
comme l’image d’un commencement ou d’une fin sans cesse vécue et
revécue à travers les temps. Le danger aujourd’hui, ce n’est plus la
peste ou Gengis Khan ou Tamerlan, le vrai mal, un mal sinistre qui est
comme la synthèse même de tout ce qui est mal, c’est pour J.P. Velly, la
consommation.
A maintes reprises, il a évoqué ce
thème avec une verve acerbe et un humour constant. La planète asphyxiée
par son trop-plein de boites de conserves et de détritus de toutes
sortes, y compris des détritus humains, a tout rejeté dans le cosmos. Et
le soleil lui-même n’apparaît plus que comme un disque pâle autour
duquel les détritus tournoient à l’infini. Les humains eux-mêmes sont
des poupées dérisoires, des êtres où désormais les formes tubulaires de
la mécanique et les viscères organiques font un étrange mariage. Le
robot organique humain, c’est l’ultime frontière franchie, l’homme
devenu lui-même objet parmi les objets.
Il est bon que la fraîcheur de la
vie se retrouve chez de tels graveurs, une fraîcheur qui malgré son fond
d’apocalypse désespéré, redresse la tête et refuse précisément de se
résoudre à cette folie de la fin des temps.
Les écologistes devraient tirer
d’immenses affiches des œuvres de Velly. Le néant de notre société, le
vide des corps et de l’esprit, la monstrueuse illusion d’un bien-être
factice gagné au prix d’une destruction planétaire, qui donc a traité
ces thèmes avec une vision et un art aussi aboutis ? Le chef d’œuvre de
Velly est sans doute une gravure qu’il a mis un an à réaliser en
travaillant dix heures par jour : Le Massacre des innocents.
Une marée, un océan humain emplit la
terre jusqu’à l’horizon et fuit sans savoir où. On ne finit jamais
d’imaginer le pire, de même qu’on ne finit jamais de découvrir le fond
de l’absurde. Quand on s’imagine les trésors de science, d’intelligence,
de travail et de courage, toutes vertus positives qu’il est nécessaire
pour bâtir une civilisation comme la nôtre, on se demande par quel
incroyable renversement tout ce bien va servir à l’anéantissement
général, et pourquoi même une telle absurdité est-elle possible.
Le « massacre des innocents » se
répète dans l’histoire chaque fois que l’homme cède à la tentation de
Babel, à la toute-puissance de sa foi en lui-même. Le dieu machine, le
déterminisme, la causalité, les pistons manichéens de l’efficacité pour
l’efficacité, de la raison raisonnante, voilà la grande préparation, la
suprême illusion qui porte en elle-même l’anéantissement et le massacre
futur de tous ceux qui, innocents ou non, se laissent prendre à
l’illusion technologique. Velly nous burine ces évidences avec une force
et une science rares. Il n’hésite pas devant notre enfer, mais il n’en
rajoute pas non plus. Il suffit, dirait-il, de le décrire minutieusement
assaisonné d’humour et c’est ce qu’il fait.
Et puis, de temps à autre, Velly
marque une pause et aborde un rêve de fraîcheur. Un ange passe comme on
dit. Un ange qui derrière ses ailes déployées, laisse dans son sommeil
apercevoir une terre réelle, une terre simple faite de fleurs et des
arbres de tous les jours. Et l’on se rend compte alors que le paradis
terrestre, c’est cela, notre terre quotidienne, toute fraîche et
charnelle, une terre non souillée.
Le songe nous offre l’image de la
vague pure infiniment renouvelée, de l’immense nuage qui roule sa
majestueuse mélancolie, des arbres qui parfois se dressent encore
au-dessus des détritus, dernière image d’un reste de vie. Et puis,
couché dans ce rêve même, voici l’homme qui se retrouve fils du ciel.
Voici les fils ténus et innombrables qui relient l’homme au cosmos, non,
qui font de l’homme et du cosmos une même unité.
Les Mémoires géologiques
Imaginons que la planète désormais morte
roule silencieuse à travers les temps. Enfin, voici le jour de ce temps
entre les temps, celui de la Résurrection. Alors un spectacle dantesque
se déploie, la terre se soulève et cette terre, ces montagnes, ces
fleuves prennent formes humaines. Toutes les pierres et les racines
n’étaient donc que des êtres immobilisés. « La Mémoire géologique »,
titre de la plus belle gravure d’Yves Doaré (né en 1943) révèle ce
qu’elle est : la mémoire sans fond de toute l’humanité de l’origine à la
fin des temps. Les gravures comme la réalité sont faites pour être
vues, non pour qu’on les décrive. Mais quand ces gravures sont le
support d’une si intense vision, on sent bien que l’image conservera son
contenu quoi qu’on en dise. Cette gravure de Doaré est sans prix. Elle
est jusqu’à ce jour son œuvre maîtresse : une énigme, profonde, dense,
bouleversante parce que les fins premières et dernières se trouvent
réunies. La terre n’est faite que de corps, mais est-ce la terre ou une
autre dimension ? Car il n’y a plus ni terre, ni ciel. Il n’y a que cet
éveil, cette force des jaillissements venue d’Ailleurs. Il n’y a que ce
mystère et cet Ailleurs même.
Quelque part la nuit bouge
La nuit est la substance de la
vision. Les poètes et tous ceux qui goûtent la densité obscure des
choses savent que l’ombre, la lumière et la nuit sont des territoires où
le passage du noir au blanc, c’est le passage même, la lisière de
l’absolu, le lieu où l’appel, la convocation, l’autre côté du monde
apparaît. C’est sur cette lisière que Francis Mockel (né en 1904)
convoque ses entités, ses formes envoûtantes et quelque peu effrayantes.
Quelque part la nuit bouge sous la force du désir et du rêve. La
vision, celle des morts solitaires (le noir), c’est l’épanouissement des
chairs féminines (le blanc) qui représentent toute la force du vivant.
Mockel travaille ses eaux-fortes
comme un boulanger fait le pain. La pâte qu’il pétrit, ce sont les
acides et ces liqueurs corrosives sont goûtées, senties, humées comme si
la vie s’ajoutait à la chimie pour rendre plus alchimique la vision.
Partie de Campagne ancienne et moderne
L’une de ces œuvres significatives
de ce qui vient d’être dit est une gravure que Georges Rubel (né en
1945) nomme « Partie de Campagne ancienne et moderne ». Dans un univers
d’outre-monde, où ruines, terres et eaux se mêlent sous un ciel de fin
du monde, un couple de squelettes copule sur une immense tête de mort.
Les mots sont pauvres et la gravure est riche. Car en définitive, tout
est apparemment morbide et rien ne l’est dans cette gravure. La
subjectivité est extrême et la distance entre le moi et l’œuvre est
immense. Plus je descends en moi, plus je suis loin de moi. Si Rubel
construit des hallucinations réelles, si ces images semblent rêvées et
piégées, c’est que tous les mondes de la mort sont faux. Ce qui est
vrai, ce sont nos projections sur la mort. C’est notre œil qui rend
réelle une mort illusoire. Mais cette illusion est l’objet et le fruit
d’un doux maléfice. Rubel en a fait son monde, pour en exorciser
l’envoûtement.
Il rejoint en cela son maître
Bresdin qui lui aussi aimait promener son spleen dans ce monde
intermédiaire. Il existe un air de famille entre « Partie de Campagne »
de Rubel et « Eclaircie dans la forêt » de Bresdin. Dans les deux cas ;
c’est une méditation sur la vie qui naît de la mort et la mort qui se
détache de ses propres fantasmes pour laisser place à la vie. Dans les
deux cas, c’est l’attirance et la fascination de la mort qui est
exprimée et cependant combattue avec ses propres armes. Finalement les
ossements, le souffle de la terreur nocturne, la danse des fantômes et
les cris des chouettes, c’est un merveilleux décor pour arracher la peur
à la peur et aller au-delà. Entre l’ombre lunaire et froide et la
naissance du soleil il existe une mince lisière, celle de l’éternel
renouveau. La vision —, c’est le jeu de ce passage entre ceci et cela,
entre mort et vie, entre ce qui est et ce qui n’est pas. La vision,
c’est l’union des contraires, et la source où l’unité, le continuum de
toutes choses se manifeste.
La Planète écoute
Ce titre qui est celui non d’une
gravure, mais d’une peinture de Jacques Houplain, pourrait en fait être
celui de toute son œuvre. Jacques Houplain (né en 1920) est un vieux
routier de la gravure et lui, a fait carrément le saut. Il demeure là où
les sources sont nées, où le conflit entre ombre et lumière s’est
apaisé. Il a franchi autrement dit notre dimension et vit, voit, écoute
ailleurs, sur une autre planète et dans un autre temps.
Son jardin n’a ni ossements, ni
têtes de mort, il est surtout composé de constructions étranges et
attirantes : des châteaux-racines, des châteaux-chevelures, des
châteaux-trous de gruyère ou des châteaux-décors de ballets pour la
quatrième dimension. Jardins faits de coraux enchâssés d’innombrables
yeux. C’est le minéral vivant, le monde où tout est présence.
« La démarche visionnaire, dit Jacques Houplain, est inexprimable… Créer une œuvre, c’est vivre et se laisser vivre par cette œuvre ». Pas de définition donc, sinon celle-ci : va à ce qui est, et ce qui est te dira ce qu’il est.
Le Jardin alchimique de Moreh
Il est particulièrement heureux
d’achever tout voyage par une agréable promenade. Si nous avions
l’occasion de hanter le jardin de Moreh, que de belles découvertes n’y
ferions-nous pas. Moreh est un admirable graveur d’animaux qui n’est «
visionnaire » qu’en peinture. Et encore nous sommes ici à l’opposé d’une
vision naissante comme une eau vive chez J.P. Velly, Doaré ou Rubel.
Chez Moreh la vision possède cette connaissance hiératique, ces mots de
passe, ces signes de reconnaissance qui sont ceux de l’alchimiste. Je
construis la vision comme je construis un alambic et le reste sera donné
de surcroît. Le merveilleux est que souvent une inspiration juste est
au rendez-vous. Même le sage disait quelqu’un, peut tenir le panier des
rêves. Ici, c’est moins donc la vision spontanée qui laisse le pas à la
vision des signes et des symboles et pourtant la beauté est au
rendez-vous. Les quatre éléments font la ronde, l’arbre de vie et
l’arbre alchimique nouent leurs puissances conjuguées. « Mes tableaux, dit Moreh,
sont des visions qui s’imposent à moi. Par exemple, durant des années,
des sujets tels que l’œuf, des animaux mythiques tels que la licorne,
des êtres hybrides etc., provoquaient en moi une réelle aversion. Or,
envers et contre tout, ces thèmes se sont glissés dans mes tableaux. Je
devais les peindre au point d’en perdre le sommeil. » C’est toute
la dramaturgie du signe qui apparaît. Pourquoi telle image archétype
vient-elle s’imposer à soi et pourquoi pénètre-t-elle toute vie de son
propre destin. Ce qui vient, vient de ce champ de pensée qui anime les
mondes. C’est donc chez tous les graveurs et peintres une exigence qui
n’est ni du mental, ni de l’imaginaire, mais qui est tout simplement.
Chaque créateur devient ainsi en lui-même le Livre de la Création.
La vision est une marche rude et dangereuse mais elle répond précisément à l’inquiétude contemporaine.
En vérité nous sommes dans le
labyrinthe, dans un labyrinthe hanté où tous les cheminements sont
possibles parce que désormais tout est possible… Mais il faut aller
au-delà des images. Les vrais joueurs de dés savent aujourd’hui que le
hasard n’existe pas, que tout est écrit, que la page même où l’on écrit
ce qui est, se sert de ma propre personne pour authentifier ce qui est
discernable dans ce présent immédiat. Quelque part, je suis interrogé.
C’est le secret du voyage, et des lectures visionnaires de tous les
temps, mais qui aujourd’hui doivent se révéler avec une alchimie où
chacun tente avec ses propres clés, tous les modes du possible.
Cette vision, il faut s’efforcer de
la découvrir en toutes choses, la face de jour et la face de nuit, ou
celle de la mort qui nous obsède. Les temps de l’Apocalypse sont
peut-être aussi les temps de la Résurrection.
A l’origine existait la Vie, à la
fin existe encore la Vie. C’est l’étrangeté du voyage que de vouloir
allier aux extrêmes une démarche qui inclut tout parce qu’elle ne
retient rien.
Voyons ces jeunes gens, qui par le
burin, l’eau-forte ou la pointe sèche, dégagent des œuvres où la dignité
du trait et la beauté du noir et blanc composent des images où tout est
dit dans l’extrême rigueur, vision sans doute mais exigence aussi,
exigence que la conscience de la chose à dire réclame la science du
dessin, la science du trait, la science de la contention ; et cette
science qui est conscience, caractérise la nouvelle génération.
En marge de tous, il faut sans doute parler de l’œuvre de François Lunven mort en 1971à l’âge de 29 ans.
On disait de lui qu’il serait l’un
des grands maîtres de la gravure contemporaine. En lui se poursuivait la
vision d’un monde articulé, réinventé où la mécanique et l’organique
faisaient d’étranges mariages : Lunven dessinait des monstres, des
figures de crustacés, des constructions où l’imaginaire voulait
appréhender et reconstruire son propre monde, son propre mode de
reconnaissance.
Le réel et l’imaginaire se sont
noués et dénoués sans doute tragiquement. C’est pourquoi il n’y a qu’à
regarder comme au-delà d’une autre planète.
Existe-t-il une manière de conclure un voyage dont l’objet est d’être sans fin ?
Comme la vie s’achève dans une plus
vaste vie, comme le regard se réalise dans une immensité sans limites.
En réalité les choses n’existent que si elles sont pour nous précisées,
polarisées, focalisées sur un sujet, un lieu, une idée, un état. C’est
notre manière de gravir, d’effectuer, l’illusoire ascension de l’être et
du connaître, c’est l’illusoire recherche de ce savoir qui nous sait,
de ce maître qui est en nous, de cette vision qui ne nous a jamais
quittés.
Les graveurs visionnaires ont ouvert
un certain voyage, appris, vécu, illustré. Les maîtres-tailleurs de
pierre scellaient leurs symboles, leurs clefs de reconnaissance dans la
pierre en un lieu souvent invisible — c’était une marque de
compagnonnage, une clef, mais un clin d’œil aussi à travers le temps.
Nos graveurs visionnaires ont renoué avec cette tradition, leur clin
d’œil est bien caché, mais il existe, à nous de le trouver.
ANTONINI, ANVAR, ARMAN, ARNULF, V.
ARTIEDA, ASSADOUR, G. ASSE, G. ATMAN, ATTALI, Mario AVATI, BALGLEY, S.
BALKANY, G.BALL, Y. BALLIF, BALTHAZAR, BARDONE, BEALU, BEAUDEQUIN, A.
BEAUDIN, A. BEAUFRERE, Eugène BÉJOT, Hans BELLMER, Paul BELMONDO, J.
BELTRAND, BENANTEUR, L.R. BERGE, J.E. BERSIER, BERTEMES, J. BEURDELEY,
BISSIERE, G.R. BLERIOT, M. BOISNARD, P. BONI, R. BONNARGENT, J.
BOULLAIRE, BRIANCHO, D. BRISSAUT, C. BRYEN, C. BOUMEESTER, D. BRIFFAUT,
A. BROUET, L. BRUCKMEIER, A.R. BRUDIEUX, M. BRUGEROLLES, Bernard
BUFFET, R. CAMI, C.CAMPBELL, L.CANE, J. CANY, CARRIEGA, J. CARTON (2),
Axel VON CASSEL, A. CAVALETTI, CAYOL, CHADEL, E. CHAMMOUT, Agnès
CHARTRETTE, J.M.CHOT, D. CHRISTIE, CIESLARCZWIK, M. CIRY, CLAIRIN,
G.COCHET, James COIGNARD, P. COLIN, P. COLLIN, M.CONDÉ, Eug. CORNEAU, G.
de COSTER, O.COUBINE, B. COUDRAIN, S.COURT,
Lucien COUTAUD, P.
COURTIN, J. COUY, H. CSECH, DADO, G. DARMON, Hermine DAVID, R.DAVIES,
Albert DECARIS, F.DECK, DELATOUSCHE, P. DELLA SELVA, J.DELPECH, P.A.
DESMACKER, E. DESMAZIERES, R. DESNOYER, J. DEVILLE, G. DIAZ, Yves DOARÉ,
DOMETTI, DONATELLA, B. DORNY, P. DUBREUIL, Yannick DUBUINEAU, A.
DUNOYER DE SEGONZAC, ELI-LODEHO, J.M.ESTEBE, Y. FAUCHEUR, FILIBERTI,
FIORINI, FOUGERON, Jean FRELAUT, L. FRIDMAN, J. FRIEDLANDER, FIORINI, D.
GALANIS, R. GALL, A. GAUDIN, P.F GAUDU, L. GERBIER, R. GIGUERE,
S.GILLIER, Ed. GOERG, Henri GOETZ, J.M. GRANIER, J. GRANYER, A. GROSS,
J.M. GIRARD, GIRARD-MOND (10), GOLDKORN, Marcel GROMAIRE, Cl. GROSCHENE,
A.GROSS, GUASTALLA, L. GUILAZ, GUIRAMAND, P. GUSMAN, S. HAAGE, J.
HALLEZ, Yozo HAMAGUCHI, S. HARTMANN, HASEGAWA, G. HAUDOUIN, Stanley
William HAYTER, Ph. HELENON, W. HERZIG, HICKIN, Jacques HOUPLAIN,
François HOUTIN, Valentine HUGO, Ph. HUMBERT, IPOUSTEGUY, P. JACQUELIN,
A. JACQUEMIN, Fiona JAMES, Y. JOBERT, Maxime JUAN, Th.KERCQ, A.de
KERMOAL, B. KRIEF, A. KROL, M.KUNTZ, Jean - Emile LABOUREUR, H. LAFLY,
R. LAFORCADE, LA JEUNE GRAVURE CONTEMPORAINE, LA MAUVINIERE, L.LANG, R.
LANNOY, LARS BO, LEBEDEFF, G. LEHEUTRE, LELIEVRE, Stanislas LELIO,
LÉOPOLD-LEVY, LEPERE, H. LESPINASSE, LEVROUX, J.LINARD, LOBEL-RICHE (1),
Alain LOISELET, LOTIRON, LOUTTRE B., F.LUNVEN, André MARFAING, E.MARIN,
MARSAULT, Ph. MARTIN, H. MARTIN-MARAGE, J.MARVILLE, André MASSON, J.M.
MATHIEUX MARIE, H.MATHONNAT, Ph, de la MAUVINIERE, A. MAY, MAZURU, M.
MELSONN, G.MERLATEAU, A.MINAUX, F.MOCKEL,
M. MOCQUOT, Philippe
MOHLITZ, MONGROLLE, A.MONTANDIN, MONTAUDON, Henri MOORE, P.L. MOREAU,
MOREH, MOYANO, Zoran MUSIC, NAKACHE, M. NELSON, François OBERFALCER,
R.OUDOT, Mimi PARENT, L.PEER, Claude PERRAUD, J. PESCHARD, C. PETTIER,
Orovida PISSARRO, P. E. PISSARRO, PIZA, R. PODINI, QUILLIVIC, RAMONDOT,
Odilon REDON, J.C. REVERDY, M. RICHARD, J.J. RIGAL, E.RIGHETTI, C.
ROCHE, Marcel ROCHE, J.C. ROTH, Georges RUBEL, F.SALVAT, VERGE SARRAT,
M. SAVIN, B. SEGUY, SENECA, SERENITÉ, Michel SEUPHOR, G.SEXER,
SIGNOVERT, N. SIMON, R. SIMON, F. SINCLAIRMAHDAVI, L.J.SOULAS, STEMPEL,
SUZONI, Y. THEIMER, J.P.TINGAUD, S. TOURTE, Gérard TRIGNAC,
D.VELAY, VERGÉ-SARRAT, R. VEYSSET, VELICKOVIC, P.VENCE, R.VEYSSET, R.
VIEILLARD, M. VILAGE, Javier VILATO, André VILLEBOEUF, Jacques VILLON,
H. de WAROQUIER, M.WATANABE, H. WEBSTER, Claude WEISBUCH