OEUVRES COMPLETES

Marquis de SADE

D.A.F. de SADE

LES CRIMES DE L'AMOUR
3 volumes

TOME 1 :

Idée sur les romans / Juliette et Raunai / La double épreuve / Miss Henriette Stralson

316 pages

TOME 2 :

Faxelange / Florville et Courval / Rodrigue / Laurence et Antonio / Ernestine

350 pages

TOME 3 :

Dorgeville / La Comtesse de Sancerre / Eugénie de Franval / L'auteur des Crimes de l'Amour à Villeterque (Folliculaire)

230 pages


Gravures en frontispice

 

Jean-Jacques PAUVERT
1961

In-16 Carré

Broché


Très Bon Etat


Remise en mains propres possible


Donatien Alphonse François de Sade

Donatien Alphonse François de Sade, né le 2 juin 1740 à Paris et mort le 2 décembre 1814 à Saint-Maurice (Val-de-Marne), est un homme de lettres, romancier, philosophe et homme politique français, longtemps voué à l'anathème en raison de la part accordée dans son œuvre à l'érotisme, associé à des actes de violence et de cruauté (tortures, incestes, viols, pédophilie, meurtres, etc.). L'expression d'un athéisme anticlérical virulent est l'un des thèmes les plus récurrents de ses écrits et la cause de leurs mises à l'index.

Détenu sous tous les régimes politiques (monarchie, république, consulat, empire) il est emprisonné pour divers motifs, notamment pour dettes, empoisonnement et sodomie, puis enlèvement et abus sur des jeunes filles, et enfin pour modérantisme. Sur les soixante-quatorze années que dura sa vie, il passera un total de vingt-sept ans en prison ou asile de fous. Lui-même, en passionné de théâtre, écrit : « Les entractes de ma vie ont été trop longs ». Il meurt à l'asile d'aliénés de Charenton Saint Maurice.

De son vivant, les titres de « marquis de Sade » ou de « comte de Sade » lui ont été alternativement attribués, mais il est plus connu par la postérité sous son titre de naissance de marquis. Dès la fin du XIXe siècle, il est surnommé le « divin marquis », en référence au « divin Arétin », premier auteur érotique des temps modernes (XVIe siècle).

Occultée et clandestine pendant tout le XIXe siècle, son œuvre littéraire est réhabilitée au XXe siècle par Jean-Jacques Pauvert qui le sort de la clandestinité en publiant ouvertement ses œuvres sous son nom d'éditeur, malgré la censure officielle dont il triomphe par un procès en appel en 1957, défendu par Maître Maurice Garçon. La dernière étape vers la reconnaissance est sans doute représentée par l’entrée de Sade dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1990.

Son nom est passé à la postérité sous forme de substantif. Dès 1834, le néologisme « sadisme », qui fait référence aux actes de cruauté décrits dans ses œuvres, figure dans un dictionnaire ; le mot finit par être transposé dans diverses langues


Postérité

De Sade au sadisme

Sade disparu, son patronyme, synonyme d’infamie, entre assez vite dans le langage commun comme substantif et adjectif. Le néologisme « sadisme » apparaît dès 1834 dans le Dictionnaire universel de Boiste comme « aberration épouvantable de la débauche : système monstrueux et antisocial qui révolte la nature. »

« Voilà un nom que tout le monde sait et que personne ne prononce ; la main tremble en l’écrivant, et quand on le prononce les oreilles vous tintent d’un son lugubre » peut-on lire dans un dictionnaire de 1857N 30 à l’article Sade. « Non seulement cet homme prêche l’orgie, mais il prêche le vol, le parricide, le sacrilège, la profanation des tombeaux, l’infanticide, toutes les horreurs. Il a prévu et inventé des crimes que le code pénal n’a pas prévus ; il a imaginé des tortures que l’Inquisition n’a pas devinées. »

C’est Krafft-Ebing, médecin allemand, qui donne, à la fin du XIXe siècle, un statut scientifique au concept de sadisme, comme antonyme de masochisme pour désigner une perversion sexuelle dans laquelle la satisfaction est liée à la souffrance ou à l’humiliation infligée à autrui.

Auteur clandestin


L'œuvre de Sade restera interdite pendant un siècle et demi. En 1957 encore, dans le procès Sade, Jean-Jacques Pauvert, éditeur de Justine, défendu par Maurice Garçon avec comme témoins Georges Bataille, Jean Cocteau et Jean Paulhan, sera condamné par la chambre correctionnelle de Paris « à la confiscation et la destruction des ouvrages saisis ».

Mais des éditions circulent sous le manteau, surtout à partir du Second Empire, époque des premières rééditions clandestines, destinées à un public averti et élitiste. « Génération après génération, la révolte des jeunes écrivains du XIXe et du XXe siècle se nourrit de la fiction sadienne » écrit Michel Delon dans son introduction aux Œuvres de la Pléiade.

Sainte-Beuve en avertit les abonnés de La Revue des deux Mondes en 1843 : « J’oserai affirmer, sans crainte d’être démenti, que Byron et de Sade (je demande pardon du rapprochement) ont peut-être été les deux plus grands inspirateurs de nos modernes, l’un affiché et visible, l’autre clandestin – pas trop clandestin. En lisant certains de nos romanciers en vogue, si vous voulez le fond du coffre, l’escalier secret de l’alcôve, ne perdez jamais cette dernière clé. »

Flaubert est un grand lecteur de Sade. « Arrive. Je t’attends. Je m’arrangerai pour procurer à mes hôtes un de Sade complet ! Il y en aura des volumes sur les tables de nuit ! » écrit-il à Théophile Gautier le 30 mai 1857.

Les Goncourt notent dans leur Journal :

« C’est étonnant, ce de Sade, on le trouve à tous les bouts de Flaubert comme un horizon (10 avril 1860)… Causeries sur de Sade, auquel revient toujours, comme fasciné, l’esprit de Flaubert : « c’est le dernier mot du catholicisme, dit-il. Je m’explique : c’est l’esprit de l’Inquisition, l’esprit de torture, l’esprit de l’Église du Moyen Âge, l’horreur de la nature (20 janvier 1860)… Visite de Flaubert. – Il y a vraiment chez Flaubert une obsession de Sade. Il va jusqu’à dire, dans ses plus beaux paradoxes, qu’il est le dernier mot du catholicisme (9 avril 1861). »

Baudelaire écrit dans Projets et notes diverses : « II faut toujours en revenir à de Sade, c'est-à-dire à l'Homme Naturel, pour expliquer le mal. » Les Fleurs du mal suggère ce quatrain à Verlaine :

  Je compare ces vers étranges
  Aux étranges vers que ferait
  Un marquis de Sade discret
  Qui saurait la langue des anges

Dans À Rebours, Huysmans consacre plusieurs pages au sadisme, « ce bâtard du catholicisme ».

Réhabilitation

Le tournant a lieu au début du XXe siècle, période où s’amorce un processus de libération des corps et des sexes et où l’érotisme se manifeste en littérature par des catalogues d’ « art érotique » et des traités d’éducation sexuelle. Sade suscite l'intérêt des scientifiques et des romanciers en raison du caractère précurseur de sa démarche.

Un psychiatre allemand Iwan Bloch, sous le pseudonyme d’Eugen Dühren, publie en 1901, simultanément à Berlin et à Paris, Le Marquis de Sade et son temps, et en 1904 le rouleau retrouvé des Cent Vingt Journées de Sodome. Il fait de l’œuvre sadienne un document exemplaire sur les perversions sexuelles, « un objet de l’histoire et de la civilisation autant que de la science médicale » tout en rapprochant les excès sadiens de la dégénérescence française du temps.

Article de Paul Éluard dans le numéro 8 du 1er décembre 1926 de La Révolution surréaliste : « D.A.F. de Sade, écrivain fantastique et révolutionnaire ».

Apollinaire est le premier à faire paraître, en 1909, une anthologie, en choisissant des textes sadiens très prudents et en insistant sur les réflexions morales et politiques plutôt que sur les éléments scabreux. En même temps, à l’image d’un débauché capable des pires excès et au cas pathologique qui intrigue la science médicale, il substitue un portrait psychologique, à dimension humaine, où sont valorisés le savoir immense et le courage de « l’esprit le plus libre qui ait jamais existé », d’un homme non « abominable », trop longtemps nié alors qu’« il pourrait bien dominer le XXe siècle ».

À la suite d’Apollinaire, les surréalistes, se réclamant d’une logique de liberté et de frénésie, intègrent Sade, « prisonnier de tous les régimes » dans leur Panthéon. Sa présence est extraordinaire dans toutes leurs activités depuis le début. C’est Desnos qui écrit en 1923 : « Toutes nos aspirations actuelles ont été essentiellement formulées par Sade quand, le premier, il donna la vie sexuelle intégrale comme base à la vie sensible et intelligente » (De l’érotisme). C’est André Breton disant : « Sade est surréaliste dans le sadisme. » C’est Éluard en 1926 reconnaissant : « Trois hommes ont aidé ma pensée à se libérer d’elle-même : le marquis de Sade, le comte de Lautréamont et André Breton ». Pour les surréalistes, Sade est un révolutionnaire et un anarchiste. Ses discours politiques — pourtant en partie opportunistes et de circonstance — font de lui un philosophe apôtre de la liberté et de la Révolution.

La légende d'abus sexuels qu'il aurait subi pendant sa jeunesse ou le fait qu'il écrivit surtout en prison où il était privé de sexualité ont été utilisés pour expliquer qu'il a sublimé son énergie sexuelle en écrivant des romans qui n'ont rien à voir avec sa pratique.

Le portrait imaginaire de Man Ray (1938), profil sculpté dans les pierres de la Bastille sur fond de Révolution en marche, symbolise cette vision que tout le XIXe siècle et une grande partie du XXe siècle, jusqu’au graffiti de mai 68, « Sadiques de tous les pays, popularisez les luttes du divin marquis », se sont plu à répandre.

Mais Sade est l’écrivain de tous les paradoxes : après la Seconde Guerre mondiale et la découverte des camps de concentration, on le fait passer sans transition du communisme au nazisme :

« Que Sade n’ait pas été personnellement un terroriste, que son œuvre ait une valeur humaine profonde, n’empêcheront pas tous ceux qui ont donné une adhésion plus ou moins grande aux thèses du marquis de devoir envisager, sans hypocrisie, la réalité des camps d’extermination avec leurs horreurs non plus enfermées dans la tête d’un homme, mais pratiquées par des milliers de fanatiques. Les charniers complètent les philosophies, si désagréable que cela puisse être » ; écrit Raymond Queneau dans Bâtons, chiffres et lettres (1965), tandis que Simone de Beauvoir se demande : « Faut-il brûler Sade ? »

En 1946, le Comte Xavier de Sade, propriétaire du château de Condé, rouvre la bibliothèque de son ancêtre qui était murée dans les greniers du château familial pour protéger toute la correspondance du marquis des deux guerres mondiales. Après-guerre sont publiés sur la pensée sadienne, souvent par des philosophes, des textes qui font date : Sade mon prochain de Pierre Klossowski paraît en 1947, Lautréamont et Sade de Maurice Blanchot en 1949, La littérature et le mal, Faut-il brûler Sade ? (article de Simone de Beauvoir paru en 1955 dans Les Temps Modernes et parle chez le marquis d'une cérébralité lumineusement écrite)puis « Sade, l’homme souverain » dans L’Érotisme, de Georges Bataille en 1957. Les écrits de Sade sont censurés jusqu'en 1957 pour délit d'outrage à la morale publique et religieuse, ou aux bonnes mœurs, l'éditeur Jean-Jacques Pauvert est condamné aux dépens le 12 mars 1958 pour la publication de certaines œuvres de Sade, mais la Cour d'appel de Paris ne lui reproche plus qu'une réédition offerte « à tout venant », confirmant la « saisie des livres » mais « ordonne que ces livres seront versés à la Bibliothèque nationale ». Dans les années 1960, Sade devient, aux yeux de nombreux intellectuels français, un opérateur majeur de la « transgression » . Michel Foucault souligne et théorise l’importance de la figure de Sade dans l’ Histoire de la folie (1961), Les Mots et les choses (1966) et la « Présentation des Œuvres complètes de Bataille » (1970). Jacques Lacan publie Kant avec Sade en 1963. « La pensée de Sade » fait l’objet d’un numéro spécial de la revue Tel Quel, datée de l’hiver 1967 où figurent des textes de Philippe Sollers (« Sade dans le texte »), de Pierre Klossowski (« Sade ou le philosophe scélérat »), de Roland Barthes (« L’arbre du crime »), d’Hubert Damisch (« L’écriture sans mesure »).

Roland Barthes écrit en 1971 Sade, Fourier, Loyola et, dans La chambre claire (1980), il éclaire l’expérience du modèle photographique par le texte sadien. Sollers se fait l’auteur, en 1989, d’une œuvre apocryphe de Sade intitulée Contre l’Être suprême, pamphlet politique et philosophique.

La dernière étape vers la reconnaissance de Sade est sans doute représentée par l’entrée de ses récits dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1990.

En 2014, dans le cadre du bicentenaire de la mort du marquis célébré par ses descendants, une exposition lui est consacrée au Musée d'Orsay.

Grands éditeurs et biographes

En 1929, Paul Bourdin est le premier à publier – avec une introduction, des annales et des notes – l’importante Correspondance inédite du marquis de Sade, de ses proches et de ses familiers, conservée par le notaire d'Apt Gaufridy, régisseur des biens des Sade en Provence pendant vingt-six ans et homme de confiance du marquis, de Mme de Sade et de Mme de Montreuil. Sans ces lettres, aujourd’hui disparues, dont les vers commençaient à faire « de la dentelle » et qui donnent l’histoire presque journalière de sa famille depuis le début de 1774 jusqu’en 1800, les grandes biographies de Sade n’auraient pu être aussi complètes.

Maurice Heine (1884-1940), un compagnon de route des surréalistes, dévoue sa vie à la connaissance et à l’édition de Sade. Il publie en 1931 la première transcription rigoureuse des Cent Vingt Journées en 360 exemplaires « aux dépens des bibliophiles souscripteurs ». Auparavant, il découvre et publie en 1926 le Dialogue d’un prêtre et d’un moribond, composé par Sade à la prison de Vincennes, et les Historiettes, Contes et fabliaux, ainsi que la première version de Justine, les Infortunes de la vertu (1930). Il exhume les procédures d’Arcueil et de Marseille. En 1933, il donne une nouvelle anthologie, toujours réservée à des amateurs.



Gilbert Lely (1904-1985), qui compose une œuvre poétique personnelle, reprend la mission d’éditeur et de biographe de Maurice Heine. Il entreprend la première grande biographie de référence, La Vie du marquis de Sade, sans cesse parfaite et complétée de 1948 à 1982, quatrième et dernière version publiée de son vivant. Dans les archives du château de Condé-en-Brie que le comte Xavier de Sade (descendant direct à la 4e génération du Marquis de Sade) accepte de lui ouvrir en 1948, il découvre – dans deux caisses, fermées depuis 1815 d’un cordon rouge – la correspondance écrite au donjon de Vincennes et à la Bastille, des œuvres de jeunesse, deux romans, des pièces de théâtre.

Jean-Jacques Pauvert (1926-2014) est le premier éditeur à publier l’œuvre intégrale de Sade, sous son nom d'éditeur Jean-Jacques Pauvert. Il encourt la prison. Il a vingt-et-un ans, mais prend le risque et publie, de 1947 à 1949, l’Histoire de Juliette. Accusé de démoraliser la jeunesse, traîné en justice, suspendu de ses droits civiques, mais défendu par Me Maurice Garçon, expert des lois sur la censure, il achève néanmoins son entreprise en 1955 et gagne en 1957 ses procès en appel. En 1958, le tribunal déclare que « Sade est un écrivain digne de ce nom ». En 1986, Jean-Jacques Pauvert met en chantier une nouvelle biographie avec les trois volumes de Sade vivant (1986-1990). Cette biographie a été rééditée en un seul volume de 1196 pages, en octobre 2013; aux éditions Le Tripode.

Maurice Lever (1935-2006), après d’importantes découvertes dans les archives familiales entièrement mises à sa disposition (citons en particulier les révélations sur la vie du comte de Sade), publie en 1991 la troisième grande biographie du marquis de Sade, puis une édition de ses Papiers de famille (1993 et 1995), son Voyage d'Italie (1995) et des lettres inédites échangées par le marquis et sa belle-sœur Anne-Prospère de Launey, chanoinesse séculière chez les bénédictines, Je jure à M. le marquis de Sade, mon amant, de n’être jamais qu’à lui… (2005).


Jean-Jacques Pauvert

Jean-Jacques Pauvert, né Jean-Albert Pauvert à Paris le 8 avril 1926 et mort le 27 septembre 2014 à Toulon, est un éditeur et écrivain français, fondateur des éditions Pauvert.

Jean-Jacques Pauvert s'est surtout fait connaître par la réédition d'œuvres oubliées, proscrites ou considérées comme marginales. À près de vingt ans, il est le premier à publier Sade sous son nom d'éditeur. Jusqu'alors, cette œuvre était diffusée sous le manteau.

Par ailleurs, il a fait appel à des maquettistes de talent, comme Jacques Darche ou Pierre Faucheux, lequel, dans les années 1960, a conçu pour Les Éditions Jean-Jacques Pauvert l'identité graphique de la collection « Libertés » (format poche : 9 cm × 18 cm, couverture en papier kraft, gros caractères d'affiche noirs pour le titre, tranche noire), offrant ainsi une présentation originale tout en réduisant les coûts de fabrication.

Il a révélé des auteurs qui ont connu de grands succès de librairie, tels Albertine Sarrazin, Michel Bernard, Jean Carrière, Hortense Dufour, Françoise Lefèvre, 4Brigitte Lozerec'h, Mario Mercier, etc.

Biographie

Fils de Marcel Pauvert, journaliste, petit-neveu d'André Salmon par la branche maternelle, Jean-Jacques Pauvert passe son enfance à Sceaux et fait ses études primaires au lycée Lakanal, où il a pour professeur de français José Lupin, avant de passer brièvement par l'École alsacienne, où son grand-père paternel avait été professeur. Cancre incurable et chaque fois renvoyé de ses établissements scolaires, il se retrouve en 1942 vendeur à la librairie Gallimard, boulevard Raspail à Paris.

En 1945, sous le nom Éditions du Palimugre, il publie de courts textes de Sartre, Montherlant, Léautaud, Flaubert, puis, en 1947, une édition intégrale de l'Histoire de Juliette du marquis de Sade. Pour la première fois, Sade est officiellement publié sous une jaquette d'éditeur, Jean-Jacques Pauvert, ce qui lui vaudra plus de dix ans de poursuites judiciaires. Il sera défendu par le célèbre avocat Me Maurice Garçon. Le dernier des dix volumes sortira en juillet 1949, avec une couverture en carton dont la maquette est signée Mario Prassinos.

En 1949, il fonde la première Librairie du Palimugre, rue de Vaugirard. En 1953-1954, Jean Paulhan (qui en rédige la préface) lui confie le manuscrit d'Histoire d'O d'une certaine Pauline Réage (on apprendra trente ans plus tard qu'il s'agissait de Dominique Aury). Pauvert le publie en 1954. En 1955, il reprend la revue Bizarre, créée par Éric Losfeld. En 1956, il est surveillé par la police. Un procès lui est intenté du 15 décembre au 12 mars 1958 par le Ministère public concernant la publication de certaines œuvres de Sade. Défendu encore par Me Garçon, Pauvert gagne le procès.

Parmi les auteurs qu'il édite ou réédite figurent Georges Darien, Georges Bataille, Gilbert Lely, André Breton, Erckmann-Chatrian, Pierre Klossowski, Raymond Roussel, Charles Cros, Lewis Caroll, Albertine Sarrazin, la comtesse de Ségur, Oscar Panizza, Fulcanelli, Eugène Canseliet, Dalí, C. R. Maturin ou encore René de Solier. Il a également publié une édition des œuvres complètes de Victor Hugo en quatre volumes, ainsi que l’Histoire de l'art d'Élie Faure en trois tomes.

En 1967, il publie une biographie, rédigée par Jean Nohain, du pétomane Joseph Pujol, artiste phénomène qui donnait des spectacles de pets fort prisés au début du siècle. Il fonde plusieurs collections, dont la « Bibliothèque internationale d'érotologie ». Il édite Le Sexe de la femme du docteur Gérard Zwang.

« Camarades enragés, découpez ces étiquettes et collez-les partout !... Nous vous recommandons le dos des C.R.S. Si vous n'avez pas de colle, clouez-les ! », L’Enragé, n°1, 1er mai 1968.

Au début de Mai 1968, il fonde L'Enragé, journal satirique avec les dessinateurs Siné, Reiser, Cabu, Topor, Wolinski, Willem6.

En 1968, il publie pour la première fois en français La Désobéissance civile de Henri David Thoreau, paru aux États-Unis en 1849 et qui a inspiré Gandhi dans son action non-violente.

En 1972, l'un de ses auteurs, Jean Carrière, obtient le prix Goncourt pour son roman L'Épervier de Maheux. Il découvre Françoise Lefèvre, qu'il révèle en 1974 au public par son roman La Première Habitude (Grand prix des lectrices de Elle 1975). En 1976, il publie les Mémoires d'un fasciste de Lucien Rebatet.

Commence le temps où il mène de front son métier d'éditeur et celui d'auteur, car il a entamé l'immense travail de mise en perspective depuis les premiers signes de l'écriture jusqu'à nos jours d'une Anthologie historique des lectures érotiques, dont il fait précéder chaque extrait d'un texte de présentation historique. La publication des cinq volumes sera échelonnée de 1979 à 2001. Entre le pénultième et le dernier volume, il rédige la biographie du Marquis de Sade en trois volumes.

En 1982, il révèle Brigitte Lozerec'h en publiant son premier roman L'Intérimaire, en coédition avec Julliard. Ce livre connaît un immense succès et sera traduit en plusieurs langues. En fin d'année, il entame une riche collaboration avec Annie Le Brun en publiant son mémorable essai sur la fascination pour le roman noir : Les Châteaux de la subversion puis, plus tard, sous sa marque « Pauvert », une introduction d'Annie Le Brun aux œuvres complètes de Sade : Soudain un bloc d'abîme, Sade.

De 1981 à 1983, il publie deux romans de Françoise Sagan, Un orage immobile en coédition avec les Éditions Julliard, puis La Femme fardée en coédition avec Ramsay. Ce dernier demeure le plus fourni, le plus épais de toute l’œuvre de Sagan avec ses 500 pages.

En 1991, il dirige la réédition des œuvres de Guy Debord aux éditions Gallimard.

Vie privée

Jean-Jacques Pauvert est le père de quatre enfants : l'ainée, Anne-Marie, avec sa première épouse, Claude Marie Jeanne Habert, puis, avec Christiane Sauviat (morte en 2008)1 une fille, Corinne et un fils, Mathias. Jean-Jacques Pauvert est le père de Camille Deforges, fille de Régine Deforges, qu'il a reconnue quand elle a eu quarante ans.

Il a épousé Brigitte Lozerec'h le 25 avril 2014 à la mairie du Rayol-Canadel-sur-Mer, comme l'a révélé le quotidien Var-Matin du 26 avril 2014.

Œuvres

Correspondance


Georges Bataille

Georges Bataille, né le 10 septembre 1897 à Billom (Puy-de-Dôme), mort le 9 juillet 1962 à Paris, est un écrivain français. Son œuvre, se compose d'ouvrages de littérature, mais aussi d'anthropologie, de philosophie, d'économie, de sociologie et d'histoire de l'art.

Il ne considère jamais l'écriture comme une fin en soi, mais comme un outil qui lui permet de témoigner de ses différentes entreprises. Sa vie et son œuvre se confondent alors dans le champ de ses expérimentations, qui vont du mysticisme à l'érotisme, avec une fascination de la mort qui se retrouve en particulier dans l'un de ses essais, La pratique de la joie devant la mort. Il use parfois de pseudonymes pour signer certains écrits : Lord Auch, Pierre Angélique, Louis Trente et Dianus.

Son engagement politique le conduit à jeter sur Staline et l'Union soviétique un regard critique. Ayant beaucoup côtoyé les surréalistes, il ne fait jamais réellement parti du groupe de André Breton qui l'excommunie très vite comme « hérétique ». Il fonde alors la revue Documents, point de ralliement de tous les excommuniés de Breton, et qui est une véritable déclaration de guerre au pape du surréalisme. Plus tard, toujours avec le même groupe de fidèles, il fonde l'Acéphale dont le thème principal est la mort et le but de réunir des hommes et des femmes que rien désormais ne peut séparer.

Persuadé de la perversité du fascisme, ne croyant pas aux mouvements prolétariens, il fonde en 1936, après la victoire du Front populaire de 1935, un mouvement d'intellectuels révolutionnaires « Contre-Attaque » qui se situe contre le capitalisme, contre la bourgeoisie, pour la libre expression sexuelle. Cette révolution est placée sous le triple signe de Sade, Nietzsche et Fourier. Pour cela il se réconcilie avec André Breton et dirige le mouvement avec lui, pendant une courte période.

Plus tard, il se détourne de l'action politique pour se consacrer à l'écriture d'ouvrages pratiquement tous à composante autobiographique, dans lesquels il exprime le refus nietzschéen la conquête de l'extase, l'horreur de la mort et sa fascination.

Auréolé d'un prestige considérable dans les milieux intellectuels, surtout connu pour ses écrits sur l'érotisme qui ont fait scandale, il reste mal connu du grand public et très peu lu. Il fait cependant l'objet d'un très grand nombre d'études et d'exégèses. Son œuvre est difficile à caractériser, « les catégories traditionnelles, les délimitations qu'elles établissent, se révèlent inappropriées ou encombrantes dès lors qu'on veut rendre compte de l'ensemble de ses écrits. »

Il est enterré au cimetière de Vézelay dans l'Yonne.



Biographie

Famille et éducation

Le père de Georges, Joseph-Aristide Bataille, a épousé Marie-Antoinette Tournarde alors qu'il avait déjà 35 ans. Successivement économe de collège, employé à la maison centrale de Melun, puis receveur buraliste, il a quarante-deux ans à la naissance de son deuxième fils : Georges. L'aîné de Georges, Martial, est celui qui va s'opposer à son frère lorsqu'en 1961 Bataille déclare dans une entrevue avec Madeleine Chapsal que son père était fou2. Joseph-Aristide est atteint de syphilis, maladie qui s'est déclarée entre la naissance de ses deux enfants et qui progresse rapidement. À la naissance de Georges, il est déjà presque aveugle et ses membres sont paralysés.

« Je suis né d'un père P.G., qui m'a conçu déjà aveugle, et qui fut cloué, peu après ma naissance, dans son fauteuil, par sa sinistre maladie. »

Georges n'a que trois ans lorsqu'il est témoin des effets furieux de la maladie de son père : douleurs atroces, troubles des viscères, des sphincters, il « conchiait ses culottes4 ». Georges aime néanmoins ce père qui avait tout d'une « bête ». Il l'aime jusqu'à ce que son amour se transforme en haine, à l'âge de quatorze ans, au moment où se manifestent les premiers signes de folie que Georges constate vers 1911 alors qu'il a quatorze ans, et qui se développent pendant que Martial part sur le front. Ce qui explique les témoignages opposés des deux frères sur le père : Martial n'a pas assisté aux dernières années de vie de son père. L'aveugle criait des insanités à caractère sexuel au médecin venu le soigner, ainsi qu'à sa femme qui perdit la raison pendant un temps, selon les récits de son enfance que fait Georges Bataille5.

« Dis donc, docteur, quand tu auras fini de piner ma femme ! »

La famille est alors installée à Reims, sans doute parce que le père y a été muté, à une date imprécise (1898,1899, ou 1900). Toutefois, Marie-Antoinette survit à son époux une quinzaine d'années en compagnie de ses enfants et il n'est plus, ensuite, question de sa folie5. De l'enfance de Georges, on sait peu de choses à l'exception des souvenirs qu'il livre de ses parents. Tous se rapportent d'abord à l'affliction du père. Bataille écrit qu'il s'est adonné au plaisir de l'auto-mutilation avec son porte plume « pour s'endurcir contre la douleur » dans Le Bleu du ciel, sans qu'il soit possible de déceler la part autobiographique de ce récit et la part littéraire7. Bataille ne l'a jamais écrit ouvertement, mais il a longtemps été convaincu que son père s'était livré sur lui à des attouchements incestueux, pédérastes, il aurait même parlé de viol.

Un récit intitulé Le Rêve décrit ce père qu'il revoit

« avec un sourire fielleux et aveugle étendre ses mains obscènes sur lui, souvenir qui lui paraît le plus terrible de tous. »

On a fini par convaincre Bataille que ces scènes n'avaient pas pu avoir lieu à la cave comme il le raconte, puisque son père était paralysé, mais il reste sans doute possible que certains gestes du père aient pu paraître obscènes à l'enfant.

Georges étudie au lycée de Reims jusqu'en classe de première, il poursuit ensuite au collège d'Épernay où il est pensionnaire à sa demande, il y obtient son premier baccalauréat en 191410.

La foi en Dieu, conversion


Beaucoup de choses sont difficiles à comprendre, voir inexplicables, dans la démarche de Bataille. Pour quelle raison affirme-t-il en 1914 que « son affaire en ce monde était d'écrire, en particulier d'élaborer une philosophie paradoxale11. » Il a dix-sept ans à cette date, et rien n'explique pourquoi il découvre Dieu à ce moment-là : son père était irréligieux, sa mère indifférente. Il se convertit en août 1914 à la cathédrale de Reims où il assiste aux offices du cardinal Luçon12.

Il semble qu'il y ait désaccord de biographes sur la date du baptême de Georges Bataille. Michel Surya précise qu'il place le baptême de Bataille en août 1914, en s'appuyant sur une déclaration de l'auteur à propos de lui-même : « se convertit régulièrement en août 14. » Toutefois, Jean-François Louette mentionne la date de 1898 dans la chronologie de Georges Bataille, Romans et récits, La Pléiade 2004, p. XCIV, et Frédéric Aribit dans André Breton, Georges Bataille : le vif du sujet indique comme date du baptême 1898. Ce qui laisse supposer que les parents de Georges l'auraient fait baptiser à l'âge de un an alors qu'ils étaient irréligieux ou indifférents à la religion Cependant, Pierre Prévost confirme encore l'âge du baptême de Bataille : 17 ans, et l'année : 1914.

Dès le mois de septembre de la même année, après la déclaration de guerre par l'Allemagne, Georges est évacué, avec sa mère et son frère, en même temps que les populations réfugiées à Reims depuis le début du mois d'août. Ils s'établissent Riom-ès-Montagnes dans le Cantal, chez les Tournadre. Le père, incapable de se déplacer, a été laissé sur place, confié aux soins ponctuels d'une femme de ménage. Mais « il est probable même qu'en père de famille attaché au sort des siens, il les enjoignit de partir (Ils partirent à Riom-ès-Montagnes) » Georges vit ce départ comme un abandon, il en ressent une certaine culpabilité. Il ne reverra pas son père vivant : Joseph-Aristide meurt le 6 novembre 1915.

Dans l'esprit de Georges, la mort du père revient, par un cheminement de pensée complexe, à « la mort d'un dieu ». Sa conversion est alors à assimiler à un rapprochement vers un Dieu de consolation. Sa chrétienté n'est pas simple à interpréter. Georges ne fut jamais définitivement athée, « jamais du moins au sens où l'athéisme ne fut pas pour lui une question. » « Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas de Dieu, pas davantage parce que Dieu est mort, mais parce qu'il y a plus fort que Dieu, plus fort parce qu'aveugle et fou. À sa façon, Joseph-Aristide était la folie de Dieu. »

À Rioms, Georges mène une vie pieuse dans la maison de ses grands-parents Tournadre. Il passe son temps en promenade et en études, et il prépare son second baccalauréat. Il n'y a que de rares témoignages sur lui à cette époque : il aime chasser, pêcher les truites à mains nues. Entre dix-sept et vingt trois ans, on le présente plutôt comme un jeune homme modèle, déférent. Le premier livre qu'il écrit en 1918 est un livre pieux : Notre-Dame de Reims. Il envisage de devenir prêtre, ce dont son oncle Victor le dissuade. Il passe tout de même une année scolaire, d'octobre 1917 à août 1918 au séminaire de Saint-Flour, qu'il quitte à la fin de la guerre pour entrer à Paris à l'École nationale des chartes où il est admis en novembre 1918. Avant d'entrer au séminaire, il est brièvement mobilisé en 1916 et renvoyé en 1917 pour raisons de santé : des problèmes pulmonaires ont été détectés.

Notre-Dame de Reims n'est pas à compter dans l'œuvre littéraire de Bataille : anecdotique, autobiographique, il reste seulement un témoignage précis de la jeunesse de l'auteur. L'image des ruines de Notre-Dame de Reims, encore debout, peut être vue comme le symbole de la foi dressée contre l'irréligion, mais inversement, assimilée à l'image de la mère, ses ruines sont aussi le symbole insconscient du doute et de l'abandon : « Elle a cessé de donner la vie, elle s'étend comme un cadavre. »

À Paris, il se plonge dans Le latin mystique de Remy de Gourmont, qui devient son livre de chevet, et Odon de Cluny. Mais, bien que très pieux et très austère, il ne pousse pas aussi loin le décri de la chair que le préconise Odon de Cluny et Remy de Gourmont.

Évolution du jeune homme

Bataille a vingt deux ans lorsqu'il tombe amoureux de Marie Delteil, fille de Georges Delteil, médecin de sa mère, et qu'il va demander sa main. Expérience douloureuse pour lui comme pour Marie : la demande est refusée en vertu des craintes du médecin sur l'hérédité de Bataille. Déstabilisé, Georges qui a déjà un penchant pour les femmes20, écrit à sa cousine Marie-Louise Bataille le 9 août 1919 : « Je ne sais plus ce qu'il m'arrivera à travers la tête car il y a déjà longtemps que ma pauvre tête porte je ne sais quoi qui la promet à toutes les aventures21. »

En 1920, le jeune homme hésite entre voyager ou vivre en reclus. Il est attiré par l'Orient, mais son premier voyage a lieu en Angleterre pour un séjour d'étude au British Museum de Londres. À cette occasion, il fait un bref séjour de trois jours au monastère de Quarr Abbey dans l'île de Wight, séjour fortuit qui n'a aucune influence sur sa décision : entre l'agitation et la contemplation, c'est l'agitation qui l'emporte semble-t-il. Lors de son séjour à Londres, il rencontre Henri Bergson, et lit le Le Rire qui est une grande déception pour lui et qui n'a aucun rapport avec ce que l'on appelle par la suite le rire Bataillien qui est un rire de souffrance23. Selon Berman il rompt avec le catholicisme lors d’une visite à l’abbaye Notre-Dame de Quarr, sur l’île de Wight, selon Michel Surya l'effondrement de la foi du jeune homme est beaucoup plus difficile à dater « On aurait tort de croire que le rire remplaça sans délai la révélation qu'il avait eu en 1914. » Jean-Jacques Roubine, précise que c'est peu à peu qu'il va découvrir « le rire Nietzschéen1. »Il soutient, en 1922 (30, 31 janvier et 1e Février) sa thèse sur L'Ordre de la Chevalerie, conte en vers du XIIIe siècle, avec introduction et notes. Reçu deuxième de sa promotion, il est nommé archiviste-paléographe, et comme tel, il est envoyé à l'École des hautes études hispaniques de Madrid actuelle Casa de Velázquez.

À Madrid, Bataille, toujours croyant, reste isolé ; il continue de rêver d'Orient qui reste son seul but. Il décrit son projet dans une lettre à Marie-Louise Bataille : aller au Maroc. Il n'a pas encore découvert l'Espagne qu'il verra plus tard « grave et tragique » et son peuple « angoissé25 ». Enfermé dans sa piété, qu'il efface par la suite en lui superposant l'image d'une danseuse de flamenco, qu'il allait voir chaque soir et dont il dit, en 1946, que c'est « un petit animal propre à mettre le feu dans un lit26 », Bataille s'ennuie. Deux évènements le sortent de sa torpeur : la prestation d'un chanteur de flamenco à Grenade, et une corrida du 17 mai 1922 à Madrid où le matador Manuel Granero est mutilé par le taureau qui lui défonce l'œil droit. Le torero meurt. Il a à peine vingt ans. Toutefois cette horrible scène ne déclenche pas l'effroi immédiat chez Bataille qui était placé trop loin pour voir. Il va ensuite recréer cet évènement en imagination, d'après les récits qu'on lui fait. Plus tard, dans Histoire de l'œil, il consacre un chapitre à cet épisode sanglant intitulé : L'œil de Granero. À ce moment sans doute, naît en lui ce plaisir mêlé d'angoisse qu'il décrit ainsi

« Jamais dès lors, je n'allai aux courses de taureaux sans que l'angoisse ne me tendit les nerfs intensément. L'angoisse, en aucune mesure, n'atténuait le désir d'aller aux arènes. [...] je commençais à comprendre que le malaise est souvent le secret des plaisirs les plus grands. »

De retour à Paris, en 1923, Bataille se lie d'amitié avec le vaudois Alfred Métraux auquel il expose une forme de morale cynique, (Le Joyeux cynique), acquise par les lectures de Gide, Nietzsche et Dostoïesvki. Métraux observe chez son ami une forme de « conversion », un éloignement de toute piété29. État d'esprit qui s'amplifie avec la fréquentation de Léon Chestov qui le guide dans sa lecture de Nietzsche. Ainsi l'ancien idéaliste qui envisageait de se faire représentant de Dieu devient bientôt le plus violent de ses apostats. Chestov lui communique sa philosophie de la tragédie. Bataille étudie toute l'œuvre de Chestov, son intention de publier cette étude ne sera jamais menée à bien. En revanche, il cosigne avec Teresa Beresovski-Chestov la traduction d'un livre de Léon Chestov intitulé L'Idée de Bien chez Tolstoï et Nietzsche, philosophie et prédication qui paraît en 1925 aux Éditions du Siècle. Il est d'ailleurs probable que Bataille s'est surtout chargé de la mise en français, sa connaissance du russe étant très rudimentaire30. C'est de cette année que date sa « conversion à rebours  », faisant l'expérience que Nietzsche avait fait avant lui : « Les difficultés que rencontra Nietzsche ; lâchant Dieu et lâchant le bien, toutefois brûlant de l'ardeur de ceux qui pour le bien ou Dieu se firent tuer ; je les rencontrais à mon tour31 ».

Vers le surréalisme et la débauche

1924 est une année clé dans la carrière et l'évolution politique de Bataille. Cette année-là est celle de la naissance, le 15 octobre, du Premier manifeste surréaliste qui regroupe notamment, autour d'André Breton, André Masson et plus tard, Michel Leiris, Théodore Fraenkel que Bataille rencontre alors. Ces trois derniers ont une influence considérable sur le futur philosophenote 2 et sur sa prise de conscience politique, un sujet qui ne l'avait jamais intéressé jusque-là. C'est également avec eux qu'il partage, de près ou de loin, le surréalisme32. Mais le Manifeste du surréalisme lui a semblé illisible, l'écriture automatique, ennuyeuse, Breton prétentieux et conventionnel, Aragon décevant33. Nommé bibliothécaire au Département des Médailles de la Bibliothèque nationale cette même année, il rencontre Michel Leiris peu avant son adhésion au surréalisme. Les deux hommes nouent une profonde amitié. Leiris le décrit comme un « dandy très bourgeoisement vêtu qui n'avait rien d'un bohème »34, et trouve son rire « sarcastique »35.

Leiris a laissé ses impressions sur sa première rencontre avec Bataille en 1924 : « J’admirais non seulement sa culture beaucoup plus étendue et diverse que la mienne, mais son esprit non conformiste marqué par ce qu’on n’était pas encore convenu de nommer l’humour noir. J’étais sensible aussi aux dehors mêmes du personnage qui, plutôt maigre et d’allure à la fois dans le siècle et romantique, possédait (en plus juvénile bien sûr et avec une moindre discrétion) l’élégance dont il ne se départirait jamais, lors même que son maintien alourdi lui aurait donné cet air quelque peu paysan que la plupart ont connu, élégance tout en profondeur et qui se manifestait sans aucun vain déploiement de faste vestimentaire. À ses yeux assez rapprochés et enfoncés, riches de tout le bleu du ciel, s’alliait sa curieuse dentition de bête des bois, fréquemment découverte par un rire que (peut-être à tort) je jugeais sarcastique »36.

Bataille est alors, comme il l'écrit plus tard, dans une période « décousue ». Il trouve Dada « pas assez idiot », l'idée d'entrer dans le surréalisme comme on entre en religion lui déplait déjà. Il aime agiter des idées avec Leiris et Jacques Lavaud. Il envisage de fonder avec ses compagnons un « mouvement qui aurait sur Dada la supériorité d'échapper à ce qu'a de puéril une négation systématiquement provocante37. »

Déjà « schismatique en puissance38 » comme le qualifie André Masson, Bataille n'a que faire de la moralisation de Breton. Le futur « pape du surréalisme » réunissait déjà rue Fontaine un nombre de fidèles39. Tandis que Masson et sa joyeuse bande de la rue Blomet, composée notamment de Joan Miró Antonin Artaud, Georges Limbour, Leiris, formait déjà un foyer de dissidence.

Le groupe de la rue Blomet se rallie au printemps 1924 à la rue Fontaine. Mais les surréalistes comptent alors plusieurs chapelles qui ne trouvent pas toutes à s'exprimer40. Dès 1925, Bataille, qui juge mal Breton tout en l'admirant, est pratiquement le seul à ne pas lui faire allégeance. Sans le savoir, il dispose déjà d'une influence certaine. Il faut tous les efforts de Michel Leiris pour l'amener à collaborer à la « Révolution surréaliste » à partir d'octobre 1925. Car malgré son admiration pour les surréalistes, Bataille perçoit déjà chez eux un engourdissement dont il craint qu'il ne le gagne lui-même38. Et à travers l'attitude hautaine d'Aragon à son égard, Bataille perçoit déjà la supercherie du surréalisme. « Notre malheur commun était de vivre dans un monde devenu vide à nos yeux, et d'avoir, à défaut de profondes vertus, la nécessité de nous satisfaire en prenant l'aspect [...] de ce que nous n'avions pas le courage d'être41. »

Depuis son arrivée à Paris, Georges s'est peu à peu lancé dans une débauche qui étonne son ami Leiris. Courant de maison close en maison close, « il a substitué le bordel à l'église42 ». Dès 1926, il devient le philosophe débauché qui écrit à la première page de L'histoire de l'œil « J'ai été élevé très seul et aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours été angoissé par tout ce qui est sexuel43. »

En 1927, il rencontre Sylvia Maklès, juive roumaine née en France, actrice issue de l'académie Charles Dullin, qu'il épouse le 20 mars de l'année suivante Il continue à fréquenter les boîtes et les bordels « avec sa femme ou sans elle ? De toutes les femmes avec lesquelles il vécut, Bataille a fait des complices. Il est douteux que la première qu'on lui connaît ne le fût pas aussi. [...] Non qu'il fût moins amoureux. [...] Bataille le débauché est aussi sentimental. Qui plus est, il ne sera pas le seul que séduira le charme considérable de Sylvia Bataille44. » Il quitte l'appartement où il vivait avec sa mère et son frère 85 rue de Rennes. Le couple s'installe avenue de Ségur, et par la suite rue Vauvenargues puis à Boulogne-sur-Seine avant de s'établir à Issy-les-Moulineaux. Ils ont une fille prénommée Laurence dont la naissance a lieu le 10 juin 1930, cinq mois après la mort de sa grand-mère45. On sait peu de choses sur la vie privée des deux époux46, si ce n'est que Georges Bataille n'était pas de nature fidèle47. On sait également qu'il souffrit lorsqu'ils se séparèrent en 1934 et qu'il attendit 1946 pour divorcer : «  le Bleu du ciel témoigne de la crise traversée au moment de la séparation avec Sylvia, sans toutefois en être le récit selon Sylvia Bataille »44. Il a en effet très peu écrit sur son mariage. Selon Laurence Bataille le personnage d'Edith dans Le Bleu du ciel est sans aucun doute celui de la femme de Bataille48. Michel Surya précise : « La seule évocation littéraire de ce mariage n'est donc pas seulement tardive, elle est aussi sans recours, négative comme le furent généralement toutes celles de sa vie privée [...] comme le sera celle de la mort de sa mère en 1930 »48. À la mort de sa mère, le 15 janvier 1930, « l'horreur de la mort est réelle, et les pleurs le sont... mais l'agenouillement, les prières ? »49. Il avait vécu avec elle jusqu'à l'âge de 31 ans. Bataille dit s'être masturbé dans la chambre de la morte dans Le Bleu du ciel50 et dans trois autres de ses textes. De l'avis de Michel Surya, « se branler auprès de la dépouille » d'une morte n'en est pas moins un hommage49.

Bataille, qui est dès lors obsédé par la mort « Ma propre mort m'obsède comme une cochonnerie obscène et par conséquent horriblement désirable51 », s'éloigne un temps de ses plus proches amis. Un épisode de la vie de l'auteur, qui fait l'objet de deux récits Madame Edwarda et Sainte, court récit publié aux éditions Leo Scheer52. Bataille s'était épris d'une prostituée, Violette, qu'il voulait sortir de sa condition, mais il ne la revit plus après plusieurs visites car elle avait été déplacée. Cet épisode secret a été livré dans un entretien de Michel Surya avec Diane Bataille (née Diane de Beauharnais Kotchoubey) qui précise que Georges avait dépensé la presque totalité de l'héritage de sa mère pour faire sortir Violette53.

L'engagement politique, les revues

La revue Documents

Dans le but d'élargir ses troupes et de pallier les exclusions-défectionsnote 3 (Roger Vitrac, Antonin Artaud, Max Ernst, Joan Miró entre autres exclus), Breton convoque un symposium auquel Bataille est invité. Invitation qu'il décline avec cette phrase : « Beaucoup trop d'emmerdeurs idéalistes54. » L'idéalisme est désormais l'ennemi no 1. En 1929, dans le Second manifeste du surréalisme, Bataille est violemment pris à partie par Breton tout comme Vitrac, Masson, Desnos et l’ensemble du « groupe Bataille »55, qui réplique, en 1930 par un pamphlet intitulé « Un Cadavre ».

La revue Documents va devenir une machine de guerre en réponse aux attaques de Breton. Bataille en est le secrétaire général, Georges Limbour le secrétaire de rédaction, l'équipe est composée de Michel Leiris et d'autres transfuges dont Vitrac, Robert Desnos. Initialement conçue et créée par Georges Wildenstein, fils du marchand d'art Nathan Wildenstein début 1929 pour concurrencer les Cahiers d'art de Christian Zervos, Documents fait appel à Jean Babelon et Pierre d'Espezel, ex-directeurs de la revue Aréthuse à laquelle Bataille a donné des articles56. Toutefois, ce n’est pas par l’intermédiaire de Babelon et Espezel que Bataille et Leiris sont introduits dans la revue, mais par le directeur du musée ethnographique Georges Henri Rivière, qui les présente à Wildenstein. Leiris et Bataille forment rapidement un groupe composé d’André Schaeffner, Robert Desnos, Jacques Baron , Georges Ribemont-Dessaignes, Roger Vitrac, André Masson Jacques-André Boiffard, puis plus tard, Jacques Prévert57.

La revue est conçue au départ comme une revue scientifique, revue d'art, d'histoire de l'art, et d'ethnographie, dont Carl Einstein est le coordonnateur, donnant à l'ethnographie une place prépondérante qui justifie un des sous-titres de la revue58 : « Doctrine, archéologie, beaux-arts, ethnographie59. » Mais très vite, avec Georges Bataille et son équipe, Documents devient une revue de contre-culture dirigée contre le surréalisme. Tout en utilisant les armes de l’érudition traditionnelle la revue tend à produire une contre-histoire de l’art55.

Documents se situe alors au croisement de trois réseaux : les conservateurs, les ethnologues, et les dissidents surréalistes. Carl Einstein est en particulier très attaché à l’ethnologie et à l’histoire de l’art. Bataille appartient statutairement au groupe des « conservateurs » qui n'était rattaché que de loin au « surréalisme dissident » et n'avait aucun lien avec le groupe des ethnologues58, ce qui explique quelques frictions avec Carl Einstein ethnologue avant tout. Il est entouré d'une équipe hétéroclite qui comprend des peintres (Alberto Giacometti, Pablo Picasso, Salvador Dali), de poètes, (Vitrac et Desnos) et des fidèles comme Leiris. Avec eux, Documents se fait le chantre d'une contre-culture incluant les images, le cinéma, en cela encouragé par les apports de Robert Desnos, mais aussi de Marie Elbée qui ouvre la voie, avec son article sur Gustave Courbet, à ce que le peintre appelait « la réhabilitation du laid » : « Courbet lui-même ; socialiste, d'une violence épaisse et joyeuse, se donna comme révolutionnaire et porteur d'un nouvel évangile de la peinture60. » Bataille retourne les concepts d’érudition en s’intéressant aussi à la culture de masse : Fantomas et Les Pieds nickelés font partie de sujets traités, interrogeant ainsi sur la nature de l’érudition61.

Dès le second numéro, les réticences de Carl Einstein semblent avoir fléchi. Il participe activement à l'élaboration d'un « Dictionnaire critique » qui devient une rubrique régulière nourrie par Einstein, puis presque exclusivement par Bataille, Leiris, Desnos, Marcel Griaule et Jacques Baron. Là de trouve amplifié le combat contre l'idéalisme et le surréalisme. Il s'agit de déconstruire le discours officiel de l'histoire de l'art et d'élaborer une forme de marginalité55. Dans le numéro 4, le sous-titre « Doctrines, archéologie, beaux-arts et ethnographie » fait aussi l'objet de l'ajout « Variétés, Magazine illustré » et Bataille y écrit trois articles dont le ton revient à nier l'existence d'une nature humaine62. Son anti-idéalisme s'y déchaîne. « l'intérêt de la revue de Georges Wildenstein permet de saisir le moment historique où Georges Bataille [...] excède les limites imparties à la revue érudite pour s'attaquer à l'idéalisme funeste63. »

Ainsi naît la machine de guerre contre le surréalisme selon l'expression de Michel Leiris, qui est surtout une machine de guerre contre Breton64. Mais en quinze numéros, pas une fois le nom de Breton n'est cité65.

La revue Minotaure

La revue Minotaure est éditée par Albert Skira et dirigée par Tériade. Elle paraît en 12 numéros de juin 1933 à octobre 1938. C'est une revue artistique et littéraire qui entend « exprimer les tendances les plus caractéristiques de l'activité contemporaine » selon la formule de présentation66, aussi bien dans le domaine des sciences que celui des arts plastiques ou de la poésie67. Skira fait appel à Bataille qui a dû renoncer à Documents en 1931. Selon Michel Surya, la revue Minotaure n'appartient pas en propre à ce qu'a fait Bataille68. Elle accueille des signatures des surréalistes, alors que, selon André Masson, elle aurait dû être réservée aux seuls dissidents surréalistes, car progressivement, la revue qui se situait du côté des dissidents, est devenue de plus en plus surréaliste sous la pression des surréalistes et de Picasso69. L'attitude de Picasso vis-à-vis des surréalistes dans cette revue, a été diversement commentée. Selon Pierre Daix on a chargé l'œuvre du peintre de connotations surréalistes, « voire, surtout aux États-Unis, sexuelles, mais Il semble bien qu'au départ il ne se soit agi que d'un raccourci ou d'une découverte graphique, formelle, et non sentimentale70. » note 4. Toutefois la revue est très éclectique. Le no 2 est consacré à la mission Dakar-Djibouti à laquelle participent Paul Rivet, Marcel Griaule et Michel Leiris. Le titre de la revue revient tantôt à Bataille, tantôt à André Masson, tantôt à Roger Vitrac selon Jean Starobinski71. Le Minotaure appartient « explicitement à ce que Bataille et Masson jouèrent ensemble, au goût qu'ils eurent ensemble, dès 1924, de la Grèce, des mythes et de la tragédie72. »

À partir du no 3 de la revue, le « phagocytage » par les surréalistes a commence. Ce sont eux qui lancent une enquête sur la rencontre et les médecins. Claparède étudie « le sommeil réaction de défense » et Lacan développe « les motifs du crime paranoïaque » Le rapprochement entre les deux camps, que Skira souhaitait dès le départ pour la revue, mais auquel Éluard s'était farouchement opposé dans une lettre à Valentine Hugo le 1er mars 1932 (« Il me paraît impossible que nous collaborions avec des éléments aussi répugnants que Bataille qui compare André à Cocteau (...) L'homme vit avec sa propre mort. Vomissure mystique») sera très collaboratif par le suite. La revue, bien que dirigée par Bataille, comporte peu d'articles de sa plume. Il faut attendre le no 8 pour trouver un seul de ses textes. Mais malgré l'emprise des surréalistes, c'est tout de même sa méthode (celle appliquée dans Documents) qui marque Minotaure de son empreinte. José Pierre écrit que l'influence de Bataille demeure repérable dans tout ce qui trahit une certaine fascination pour l'horrible, mais également à travers un certain type d'analyse où une apparente rigueur scientifique sert en fait une approche du genre frénétique. « Tout se passe en somme comme si l'on s'inspirait de l'exemple de Georges Bataille pour mieux se passer de lui écrit José Pierre dans la même publication : Regards sur Minotaure. » L'ombre de Bataille qui plane sur la revue et que Breton ne peut cette fois exclure, représente pour Michel Surya le triomphe de Bataille.

Malgré cela, certaines encyclopédies présentent Minotaure comme une revue surréaliste. Elle a été publiée en 13 numéros sortis en 11 livraisons, les couvertures illustrées respectivement par Picasso, Derain, Bores, Duchamp, Dalí, Matisse, Magritte, Ernst, Masson.

La revue Acéphale

Au début des années 1930, Bataille est membre du Cercle communiste démocratique fondé et dirigé par Boris Souvarine. Il écrit dans la revue La Critique sociale de Souvarine, avec ce que l'on a appelé le groupe Souvarine comprenant Raymond Queneau, Michel Leiris et d'autres transfuges du surréalisme qui allaient aussi former plus tard le groupe Bataille, soutenant Bataille lorsque Souvarine se montrait réservé sur certains sujets de l'auteur. Une autre figure importante de La Critique sociale était Colette Peignot, compagne de Souvarine, qui eut un rôle déterminant dans l'infléchissement politique de la revue. Sous son influence, Souvarine accepta de laisser place aux positions peu homogènes de Bataille78. Simone Weil contestait la présence de Bataille dans le Cercle communiste démocratique. Elle attendait pour y entrer qu'on lui explique comment on peut cohabiter quand on entend par révolution des choses différentes. Elle veut parler de Bataille et d'elle-même. Bataille donne à la critique trois articles majeurs dont un sur le cri de mort des émeutes. Souvarine prend soin de dégager la responsabilité de la revue sur cette parution. Bataille reprend le texte en 1949 sous le titre La Part maudite79. En janvier 1933 paraît un autre article important de Bataille :La Notion de dépense suivie de La Structure psychologique du fascisme. « Si la notion de dépense s'arrête à la lutte des classes, la structure psychologique du fascisme commence là. La lutte des classes n'est pas la seule réponse au fascisme, il n'y a pas que le communisme pour lui apporter des solutions79. » Le fascisme est le problème de l'État, il est à proportion de la dégénérescence du monde bourgeois : « un monde de vieillards au dents qui tombent et d'apparences80 ». André Thirion le considère La Notion de dépense comme un texte « majeur de ce siècle » lorsqu'il le relit en 1946, alors que jusque-là, il n'avait pas fait grand cas des écrits théoriques de Bataille.

Bataille participe à la « pittoresque et inefficace » manifestation du cours de Vincennes le 12 février 1934 avec les membres de ce qu'il appelle son organisation. Cette organisation pourrait être le groupe Masses auquel Bataille aurait adhéré selon Marc Richir dans Texture no 6, hypothèse non confirmée82. L'orientation politique de Masses est cependant incertaine bien que située à l'ultra-gauche, et ouverte aussi bien aux marxistes qu'aux non-marxistes. L'adhésion de Bataille à Masses pourrait avoir commencé en octobre 1933 et pris fin en mars 1934. Selon lui, la manifestation du cours de Vincennes est un échec. À ses yeux, le mouvement ouvrier européen se trouve engagé dans une impasse. La suite de l'Histoire lui donnera tort avec l'arrivée du Front populaire, puis raison avec l'arrivée d'Hitler. Masses est dirigée par René Lefeuvre, administrée par Jacques Soustelle, et soutenue par Simone Weil. Il y rencontre Dora Maar83.

Dans ce contexte, en marge des Ligues et du Front populaire, Bataille fonde le mouvement Contre-Attaque qu'il dirige avec André Breton avec lequel il se réconcilie. Cette réconciliation donne la mesure de l'urgence : « Rien n'est plus possible qu'à condition de se lancer dans la bagarre84, pour sauver le monde du cauchemar ». Contre-Attaque. Union de lutte des intellectuels révolutionnaires est signé à la fois par Bataille et André Breton, avant la rupture entre les deux hommes. Contre-Attaque est un mouvement hétéroclite. La première ligne du premier tract indique : « Violemment hostile à toute tendance, quelque forme qu'elle prenne, captant la révolution au bénéfice des idées de nation ou de patrie ». Contre-Attaque pose aussi des problèmes symptomatiquement absents de toute idéologie révolutionnaire pudibonde. Bataille entraîne le groupe avec des appels à la violence. La première réunion publique a lieu le 5 janvier 1936, la première manifestation publique le 17 février 1936. Mais le Front populaire et les dissensions internes à Contre-Attaque auront raison de ce qui avait justifié le mouvement. Contre-Attaque disperse ce que Bataille avait réussi à sauver du groupe Souvarine. Le divorce entre Breton et Bataille devient définitif86.

À propos de la supposée tentation fasciste de Bataille, évoquée notamment par Klossowski87, Leiris dit dans sa dernière interview accordée à Bernard-Henri Lévy en 1989 :

« Ce n’est pas une invention de Klossowski, cela s’est dit. À mon avis, Bataille était profondément antifasciste. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il était impressionné par les moyens de propagande du fascisme, par le charisme de Hitler. Mais enfin, on ne peut pas dire qu’il était fasciné. Son rêve, c’aurait été de trouver, au profit de la gauche, des moyens de propagande aussi efficaces que les moyens déployés à l’extrême droite. Je crois que c’est ça que l’on peut dire88. »

En 1936 Bataille fonde la revue Acéphale, dont la couverture du no 1, datée du 24 juin 1936, a été dessinée par André Masson, et porte le titre Conjuration sacrée. Les articles sont signés de Bataille, Jean Wahl, Jean Rollin, Pierre Klossowski89. « Le sens de l'Acéphale est l'invocation de la mort, et autour de cette mort, doivent se réunir des hommes et des femmes pénétrés d'une terreur si profonde que rien désormais ne peut les séparer90. » Mais bientôt Bataille n'est plus que chagrin devant la maladie de sa compagne Colette Peignot qu'il surnomme Laure. Il est entouré par quelques rares amis pendant l'agonie de la jeune femme : « La douleur, l'épouvante, les larmes, le délire, l'orgie, la fièvre puis la mort sont le pain quotidien que Laure partagé avec moi, et ce pain me laisse le souvenir d'une douceur redoutable, mais immense91 ». Bataille a rencontré Laure en 1931 alors qu'elle vivait avec Boris Souvarine. Il en devient le compagnon en 1935 alors qu'il ne reste à la jeune femme, atteinte de tuberculose, que trois années à vivre. « En 1935, la tuberculose était en elle assez forte pour qu'il ne fût pas déjà trop tard, pour que rien ne pût empêcher son progrès. Il reste à Laure trois années à vivre. Trois années qu'ils ont vécu ensemble92. » La mort de Laure eut lieu le 7 novembre 1938 à huit heures quinze le matin. Elle a mis en présence deux clans : d'un côté Bataille et ses amis, de l'autre la famille Peignot, très chrétienne, qui espérait un retour des mécréants dans le giron de l'Église. Lors de son agonie, tous se demandent s'il va faire un signe de croix, les uns avec espoir, les autres avec crainte. Leiris fera un signe de croix à peine esquissé, mais Bataille reste ferme sur ses positions agnostiques, et quand il est interrogé sur la possibilité d'une cérémonie religieuse, affirme que « Si jamais on poussait l'audace jusqu'à célébrer une messe, il tirerait sur le prêtre à l'autel93 ».

Entre 1937 et 1939, Bataille fait partie Collège de sociologie dont la déclaration inaugurale est publiée dans l'Acéphale. C'est une sorte de communauté dont les trois membres du directoire sont Leiris, Bataille, Roger Caillois85. S'il n'est défini ni par les études universitaires, ni par la sociologie, que pouvait prétendre être ce Collège de sociologie ? À cette question Roger Caillois répond qu'il s'agit de Sociologie sacrée. Caillois est en compétition avec Bataille qui règne sur l'Acéphale, il entend régner sur le collège de sociologie : « Nous étions décidé à déchaîner des mouvements dangereux94. » Leiris dénonce alors Bataille avec lequel il se brouille, et Caillois l'abandonne. De nouveau Bataille est seul95.

Pendant la guerre et l'après guerre

Bataille est en zone libre dès juillet 1940 mais dès le début août il s’installe de nouveau à Paris au 259 rue Saint Honoré dans un appartement où il habite à part égale avec celui de Denise Rollin, sa nouvelle compagne depuis 1939, et avec laquelle il vivra jusqu’en 1943. Denise habite 3 rue de Lille96, c’est dans son appartement que vont avoir lieu à partir de 1941 les réunions de la communauté d’amis fondée par Bataille. À cette date, Bataille a écrit Le coupable et Madame Edwarda. La communauté d’amis qu’il tente de fonder avec Pierre Prévost est hétéroclite et se révèle bientôt un échec. Dans l’appartement de Denise Rollin des lectures-débats organisées par Bataille réunissent deux cercles d’assistants. Le premier comprend Queneau, Leiris, Fardoulis-Lagrange, le deuxième Pierre Prévost, Xavier de Lignac, Petitot. Maurice Blanchot fait partie des deux groupes97. Ces réunions semblent, selon les témoignages de Fardoulis et de Prévost, avoir consisté pour l’essentiel en des lectures de passages de l’Expérience intérieure98 et la mise en débats des questions qui se rattacheront à cet ouvrage lors de sa publication en 1943. Les réunions se poursuivent jusqu’en mars 194397.

Bataille aura eu le tort de publier l’Expérience intérieure « pendant la guerre ». Jules Monnerot et Patrick Waldberg lui en font l’amical reproche. Mais bien plus virulente est l’attaque lancée dans un pamphlet intitulé Nom de Dieu signé par quelques obscurs surréalistes, qui visent la collaboration de Bataille à la revue Messages99. D’autres encore attaquent violemment l’Expérience intérieure : le très chrétien Gabriel Marcel100. Le plus virulent est Jean-Paul Sartre qui qualifie l’ouvrage « d’essai-martyre »101. Il décèle dans l’ouvrage l’influence de Nietzsche, et de Pascal. Bataille est très affecté par l’agressivité de Sartre. Le différends entre les deux hommes ne s’estompa jamais complètement bien que, par la suite, Sartre allait se montrer plus attentif aux propos de Bataille, et plus amical102.

En avril 1943, Bataille s'installe à Vézelay avec Denise Rollin et son fils âgé de quatre ans. Michel Fardoulis-Lagrange, qui est alors clandestin, les y rejoint. Jacques Lacan et Sylvia Bataille, pour lesquels il a réservé à quelques pas de chez lui, une grande maison sur la place de la basilique, devaient les y rejoindre, ce qui ne se fit pas. Seule Laurence, fille de Georges et de Sylvia rejoint son père, et habite avec lui. Elle a alors treize ans103. La maison est pauvre et vétuste, Bataille y séjourne de mars à octobre 1943. Celle qu'il a réservée pour Lacan et Sylvia est finalement occupée par Diane Kotchoubey de Beauharnais qui s'y installe avec sa fille. Diane vient d'être libérée d'un camp d'internement près de Besançonnote 6. C'est grâce à une invitation lancée par le mari de Denise Rollin, de passage à Vézelay pour voir son fils, que Bataille et Diane se rencontrent et qu'ainsi Bataille se trouve partagé entre deux relations amoureuses : Diane et Denise104. Mais dès octobre, 1943, de retour à Paris, il se sépare de Denise et se trouve de la sorte sans logement. Grâce à Pierre Klossowski, Bataille trouve refuge dans l'atelier du peintre Balthus qui est le frère de Klossowski. Dans cet atelier que Jean Piel qualifie de grenier, il vit caché pour échapper à la ire du mari de Diane qui, bien décidé à tuer l'amant de sa femme, renonce finalement en apprenant que Bataille est malade (il est tuberculeux). Il n'y eut qu'une brève échauffourée dont Bataille ne fait le récit nulle part105.

En 1944 Bataille rencontre souvent Sartre chez Michel Leiris. Une sorte d'estime mutuelle a remplacé l'agressivité, sans qu'il y ait réelle amitié entre les deux hommes. Il rencontre aussi Henri-François Rey avec lequel il forme le projet d'écrire un scénario de film pour enfin gagner de l'argent. Selon Henri-François : « il vivait alors dans le plus grand dénuement106. »

En avril 1944, Bataille quitte Paris pour s'installer à Samois-sur-Seine, non loin de de la maison de Bois-le-Roi où Diane Kotchouny réside. Cela fait maintenant deux ans qu'il est atteint de tuberculose pulmonaire. Il doit se rendre à Fontainebleau pour y recevoir des soins. Diane l'accompagne parfois, mais Bataille est souvent seul . Il écrit Julie curieux livre qui ne sera publié qu'après sa mort dans les œuvres complètes IV, et où la guerre est très présente : « il y a ceux qui échapperont à la guerre et ceux qui n'en reviendront pas ».

Cette même année, Bataille s’engage dans un nouveau projet : un cahier intitulé Actualité, avec Pierre Prévost et Maurice Blanchot. Ce cahier, traitant de politique et en particulier de l’Espagne, ne comporte qu’un seul volume qui est édité en 1946 aux éditions Calmann-Lévy. Il est intitulé l’Espagne libre 109. Albert Camus déclare dans la préface : « Voici neuf ans que les hommes de ma génération portent en eux l’Espagne comme une mauvaise blessure. La question de l’Espagne est d’ailleurs une blessure faite à toute l’Europe. Elle met en cause la question démocratique. Et selon Jean Cassou qui laisse éclater sa rage, c’est en Espagne qu’a commencé la tragédie européenne. Bataille dirigeait ce cahier, il y écrit deux textes, l’un est un hommage à Picasso, l’autre une invitation à aller prendre une leçon de liberté auprès des espagnols, peuple anarchiste, et dans leur pays : « L’anarchisme est au fond la plus onéreuse expression d’un désir obstiné de l’impossible — Georges Bataille à propos de « Pour qui sonne le glas » de Hemingway. »

À propos de la supposée tentation fasciste de Bataille, évoquée notamment par Klossowski, Leiris dit dans sa dernière interview accordée à Bernard-Henri Lévy en 1989 :

« Ce n’est pas une invention de Klossowski, cela s’est dit. À mon avis, Bataille était profondément antifasciste. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il était impressionné par les moyens de propagande du fascisme, par le charisme de Hitler. Mais enfin, on ne peut pas dire qu’il était fasciné. Son rêve, c’aurait été de trouver, au profit de la gauche, des moyens de propagande aussi efficaces que les moyens déployés à l’extrême droite. Je crois que c’est ça que l’on peut dire. »



En 1946, il fonde la revue Critique113. Elle porte en sous-titre : Revue générale des publications françaises et étrangères et parait en juin 1946. L'objectif est de publier des études sur tous les livres considérés comme importants en France comme à l'étranger afin de constituer un « condensé de la production imprimée du monde entier114 » Sous la direction de Bataille, le comité de rédaction comprend Maurice Blanchot, Jules Monnerot, Pierre Josserand, Albert Ollivier et Éric Weil. Critique est une somme, les études proposées étant beaucoup plus longues et complètes que de simples comptes-rendus critiques114. Maurice Girodias directeur des Éditions du Chêne a d'abord proposé à Pierre Prévost le création de cette revue. La proposition a rebondi de Prévost à Blanchot et à Bataille qui forme le projet d'une mise en débat des idées. Mais Critiques dont le titre initial donné par Bataille était Critica, ne devait pas être une revue d'idée pure, mais de commentaires critiques de livres d'idées, d'où le titre finalement choisi La notion d'engagement politique est écartée à priori115.

En 1947, Bataille se trouve au plus près de l'analyse rationnelle de la situation économique. Il soutient le plan Marshall de Trumannote 7. Dans le numéro 8-9 de janvier-février de Critique, il formule de manière prémonitoire l'ébauche d'un projet d'aide que Marshall rend public le 5 juin 1947116. Ainsi le mouvement normal et nécessaire de l'activité américaine devrait aboutir à l'équipement du globe entier, sans contrepartie selon Bataille117. Mais tout en encourageant le plan Marshall il « défend » tout à coup l'Union soviétique, cherchant à comprendre la partition du monde en deux blocs. Bataille est désemparé, de nouveau désespéré. Il hait la bourgeoisie. Mais que valent les communistes ? Bataille les définit ainsi : ils offrent « le saut de la mort », mais quiconque ne le fait pas est assimilable à un bourgeois. Bataille lui-même refuse de se rallier à la bourgeoisie, mais refuse aussi de faire le saut de la mort118. Il cherche à « comprendre le monde soviétique, lourd, coercitif, monde de servitude où il n’y a d’autre possibilité que le travail118 ».

Mais il s’insurge contre la plate protestation morale , inefficace avant guerre, inefficace aujourd'hui. Si le Kremlin cherche une domination mondiale, il ne suffit pas de s'en indigner, il faut agir : la paix n’est possible qu’armée. Bataille ne sera jamais pacifiste119. « On mesure mal à quel point il est vain de proposer ce monde au repos. Repos, sommeil ne pourraient être à la rigueur que prodromes de la guerre120, cité par Michel Surya119. » C’est finalement une chance pour l’Occident que l’Union soviétique fasse peser sur lui la crainte d’une menace, cela le fait échapper à la paralysie La menace se résume en trois points : la « police secrète » ; le « bâillonnement de la pensée », les « camps de concentration »121.

À partir de là, Bataille abandonne l’ethnologie et la politique pour se consacrer entièrement à l’économie Il ne demande rien moins que « d’avoir de la croissance une conscience simultanément sacrificielle122 cité par Surya 2012123. p.659 » ». Il reprend L’Expérience intérieure qui sera publiée en 1946, il développe La Part maudite, et il se retire à Vézelay124. À Vézelay, où il s'établit en 1945, il est isolé et il se débat dans des problèmes d'argent. Selon Jean-Jacques Pauvert, Georges était au bord de la mendicité125 ayant brûlé le patrimoine que sa mère lui avait laissé en 1930, ce qui le pousse à reprendre son emploi de bibliothécaire124. Chaque fois qu'il parle de cette nouvelle situation, il en souligne le caractère d'obligation, répétant qu'il a dû se faire bibliothécaire, regrettant de ne pouvoir se consacrer à sa revue Critique126,127.

De Vézelay à Orléans

En 1949, Bataille reçoit sa nomination de conservateur à la Bibliothèque Inguimbertine de Carpentras où il s'installe de 1950 à 1951. Le chartiste, qui a fait toute sa carrière à la Bibliothèque nationale, est en disponibilité depuis sept ans à cause d’une tuberculose113. Il arrive à Carpentras avec Diane Kotchoubey de Beauharnais, qu'il épouse en 1951note 8. Là, il invite ses amis Albert Camus et René Char, directeurs de la revue Empédocle, ainsi qu'Albert Béguin, cofondateur de la revue et Jacques Dupin, secrétaire de rédaction, avec lequel il se lie d’amitié. Il y publie Comment dire ? Lors de son séjour à Carpentras, Georges Bataille publie, en 1949, La Part maudite. Essai d’économie générale. T. 1, La Consumation ainsi qu’Éponine (repris l’année suivante dans L’Abbé C.). Cette même année, il rencontre Francis Ponge, André Frénaud, Georges Schehadé et Georges Braque.

La période de Carpentras est l'une des plus difficiles dans la vie de Bataille. Ni Diane Kotchoubey ni lui-même ne s'y plaisait vraiment. L'éloignement de Paris et de ses amis lui était pénible bien qu'il assistât aux corridas de Nîmes en compagnie de René Char, Pablo Picasso, Claude Lefort127, et Michel Leiris qui avait été le témoin de mariage de Georges Bataille avec Sylvia Maklès en 1928note 9. Des lettres de cette période témoignent d'une grande dépression : « Ni Diane ni moi ne nous sommes bien portés à Carpentras128. » La solitude de Bataille entre 1949 et 1951 est celle d'un homme contraint de reprendre un emploi à regret, dans une ville qu'il n'aimait pas. La suspension de Critique le jette dans une vacuité intellectuelle. Aussi demande-t-il sa mutation pour Orléans, qu'il obtient à l'été 1951129.

Au cours de l’année 1950, ses rencontres avec René Char, son voisin de l'Isle-sur-la-Sorgue, débouchent sur une estime et une amitié sincères. Peu après le lancement de la revue Critique que dirige Bataille, le poète lui avait écrit : « Toute une région majeure de l’homme dépend aujourd’hui de vous ».

René Char a posé, en mai de cette année-là, dans sa revue Empédocle, cette question à tous les écrivains : « Y a-t-il des incompatibilités ? » Il s’adresse ainsi à ses « compagnons d’écritures » : « On affirme sous une grande quantité d’angles que certaines fonctions de la conscience, certaine activités contradictoires, peuvent être réunies et tenues par le même individu sans nuire à la vérité pratique et saine que les collectivité humaines s’efforcent d’atteindre. C’est possible, mais ce n’est pas sûr ; la politique, l’économie, le social et quelle morale130. ». Bataille, qui lui avait envoyé depuis 1946 une grande quantité d’aphorismes répond à son enquête par une longue lettre, publiée en 2005 avec des dessins de Pierre Alechinsky131.

Bataille assiste à plusieurs corridas à Nîmes lors de son séjour à Carpentras, mais la tauromachie. n’est pas le sujet le plus important dans son œuvre. L’épisode du matador Manuel Granero et de sa blessure mortelle ont servi de matière première à l’Histoire de l’œil : « Bataille observe la corrida à travers le prisme de ses fantasmes, évoquant la mort de Manuel Granero qu’il trouvait « différent des autres matadors en ce qu’il n’avait nullement l’apparence d’un boucher, mais d’un prince charmant, bien viril, parfaitement élancé »132 ». Bataille s'y expose avec tous ses fantasmes, depuis la frénésie sexuelle, les références à l'urine, l'orgasme, l'œuf, l'œil, toutes images cristallisant ses fantasmes, dont le seul rapport avec la tauromachie, selon Berman est que Bataille se livre comme le torero au milieu de l'arène133. Bataille a en outre écrit un article dans le no 3 de la revue Documents intitulé Soleil Pourri, Hommage à Picasso. Dans ce même article, il fait référence à l’oreille coupée de Van Gogh134.

Toutefois, la plupart des écrits sur le rôle sacrificiel de la tauromachie et son lien avec les mythes antiques est à mettre au crédit d’une école fondée par Leiris, Montherland et d’autres écrivains aficionados. Cette théorie rattache la tauromachie à l’antiquité grecque en s’inspirant des mythes de Mithra, du Minotaure et du sacrificiel. Sans doute à cause de sa proximité avec Michel Leiris, inventeur de la « révélation d’un culte du taureau » en 1926, en compagnie de Picasso, lors d’une corrida médiocre à Fréjus », on a assimilé Bataille à un fervent amateur de tauromachie. Mais sa présence dans les arènes, initiée en Espagne en 1922, ne reprend qu'à partir de 1950, date à laquelle il est muté à Carpentras.

Dans le n° 3 de la revue Documents, entièrement consacrée à un hommage à Picasso, en 1930, Bataille évoque le culte mithriaque dans son article Soleil pourri. Il n'y rattache aucunement la corrida au culte du taureau, mais fait un rapprochement entre le soleil, Mithra et Prométhée : « Mythologiquement, le soleil regardé s’identifie avec un homme qui égorge un taureau (Mithra), avec un vautour qui mange le foie (Prométhée) ; celui qui regarde, avec le taureau égorgé ou avec le foie mangé. » Il développe la notion de culte mithriaque en rappelant que dans l'antiquité, ce culte du soleil se faisait dans une fosse. Des hommes s'y tenaient nus, tandis qu'un prêtre sur un clayonnage au dessus d'eux égorgeait un taureau « [...] le taureau lui-même est aussi pour sa part, une image du soleil, mais égorgé ».



Bataille est nommé conservateur de la Bibliothèque municipale d’Orléans, où il s’installe avec son épouse et leur fille en 1951. Si l’année suivante, il est fait chevalier de la Légion d’honneur, il va devoir attendre 1955 pour faire éditer ses deux ouvrages sur l’histoire de l’art : La peinture préhistorique. Lascaux ou la naissance de l’art. En 1955 Diane Bataille publie Les Anges du fouet, pastiche d’un roman érotique victorien. L’abbé Breuil a publié en 1952 Quatre cents siècles d’art pariétal. Les cavernes ornées de l’Âge du Renne. Bataille s'est s'inspiré de ses travaux pour tout ce qui avait trait à la paléontologie et à la paléo-ethnographie. Son artériosclérose cervicale le handicape de plus en plus.

Gravement malade, il doit être hospitalisé à deux reprises au cours de l’année 1957. Il parvient cependant à faire publier Le Bleu du ciel, qu’il dédie à André Masson, ainsi que La Littérature et le Mal et L’Érotisme, dédiés à Michel Leiris. Un an plus tard, avec l’aide de Patrick Waldberg, Bataille tente de lancer la revue Genèse, mais Maurice Girodias, l’éditeur pressenti, annule leur projet : il souhaite une approche plus accessible au « lecteur moyen »138. Cette même année, à Marguerite Duras qui insiste pour lui faire dire qu'il est communiste, Bataille répond seulement « même pas», indiquant ainsi qu'il n'est pas non plus anti-communiste, qu'il ne fait que se soustraire aux exigences d'une idéologie comme il s'est soustrait à toute exigence « engageant quelque responsabilité que ce soit. »

Alors qu’il a de plus en plus de difficultés à travailler, il publie en 1959 Le Procès de Gilles de Rais, ouvrage dont se servira son neveu Michel Bataille pour établir une biographie de Gilles de Rais140. Souffrant en permanence, il parvient pourtant à finir en 1961 Les Larmes d’Éros, le dernier livre qu’il verra éditer.

En 1961, il accorde une longue interview à Madeleine Chapsal, dans laquelle il fait un bilan de sa vienote 11. Alors qu'il a toujours connu des problèmes d'argent, aggravés par le jeu qu'il pratiquait à outrance, une vente de solidarité est organisée à son profit à l'hôtel Drouot, ce qui lui permet d'acheter un appartement à Paris. Muté à sa demande la Bibliothèque nationale, il quitte Orléans, mais ne peut prendre ses fonctions. Il décède à Paris le 9 juillet 1962, et est inhumé à Vézelay141.

L'œuvre et la pensée de Georges Bataille

L'œuvre de Bataille est singulière : il a cotoyé les grands mouvements intellectuels de son siècle sans souscrire à aucun, et d'ailleurs il finit intellectuellement isolé et brouillé avec la plupart de ceux avec qui il a partagé des projets communs ; il a embrassé de larges domaines de la connaissance en effaçant leurs frontières, en les « les ouvrant les uns par les autres audelà de leurs limites » ; il place l'existence humaine au centre des champs qu'il interroge : l'homme et ses pulsions, l'homme et ses mystères envahissent chaque domaine — l'histoire, l'anthropologie, l'art, la politique, la théologie, la psychanalyse — qui ne deviennent à leur tour qu'un moyen de répondre à ces interrogations sur la nature de l'être humain, son érotisme, son mysticisme, et permettent de casser les cases délimitant des disciplines qui traditionnellement ne communiquent pas entre elles.

Du blasphème de Sade au sacré de Bataille



En 1950 que Georges Bataille publie L’Abbé C.. Il dédicace un exemplaire à Pierre Klossowski, spécialiste de Sadenote 13. en ces termes : « À Pierre, ce livre qui conserve ou exserve une affection qui compte essentiellement pour moi, Georges. »

Dans les faits, il y a un parallèle entre l’Abbé C. de Bataille et le Dialogue entre un prêtre et un moribond de Sade. Chez les deux auteurs le thème central reste la transgression du sacré, du divin. Si pour Sade le Dialogue est l’une de ses affirmations les plus irréductibles de son athéisme, dans l’ABC de Bataille, il y a la certitude que Dieu est mort (l’idée de Dieu, précise Bernard Noël)note 14, parce que nous savons bien que tout ce qui s’engage dans le temps est condamné à périr.

Ce qui fait dire à Jacques Lempert à propos des deux auteurs : « L'érotisme est le point nodal de toute leur vision du monde concentrant en ses feux toute la systématique d'une pensée profondément originale ». Sade résume son Dialogue en cette formule éclair : « Le prédicant devint un homme corrompu par la nature pour ne pas avoir su expliquer ce qu’était la nature corrompue », et pour Bataille, la chute de l’Abbé C. se résume ainsi : « Étant prêtre, il lui fut aisé de devenir le monstre qu’il était. Même il n’eut pas d’autre issue. ».

Mais alors que pour Sade profaner les reliques, les images de saints, l’hostie, le crucifix, ne devait pas plus importer aux yeux du philosophe que la dégradation d’une statue païenne, pour Bataille, le sacré reste immanence. Lors de ces fonctions de conservateur de l’Inguimbertine, il réunit d’ailleurs une importante collection d’ex-voto, en particulier ceux de Saint Gens.Son fonds a servi de support au court-métrage du C.N.R.S. intitulé : Saint Gens, patron des fiévreux et fidèle intercesseur de la pluie et du beau temps, tourné par Jean Arlaud à Monteux et au Beaucet.

Pour Sade transgresser le sacré revient à cultiver le blasphème, car, explique-t-il dans La Philosophie dans le boudoir : «Il est essentiel de prononcer des mots forts ou sales, dans l’ivresse du plaisir, et ceux du blasphème servent bien l’imagination. Il n’y faut rien épargner ; il faut orner ces mots du plus grand luxe d’expressions ; il faut qu’ils scandalisent le plus possible ; car il est très doux de scandaliser : il existe là un petit triomphe pour l’orgueil qui n’est nullement à dédaigner ».

Bataille reste résolument étranger à ce type de jubilation même si sa notion de sacré n’est pas celle des religions. Selon Christian Limousin, là où le chrétien définit le sacré comme un rapport homogénéisant au divin, Bataille entend crachat, excrément, rupture de l’identité. Selon Limousin, le sacré de Bataille s’inscrit dans un mouvement universel de la vie à la mort, un mouvement que le christianisme aimerait refouler. Il se manifeste sur les marges, dans le domaine de l’interdit : c’est en transgressant les tabous que nous expérimentons le sacré et un sentiment d’appartenance au monde. Bataille le cherche et le trouve dans les exhalaisons physiques (sang, sueur, larmes, excrément), les émotions extrêmes (rire, colère, ivresse, extase sexuelle), et dans les activités inutiles (poésie, jeu, crime, érotisme). Chez lui, si le sacré et l’abjection s’épousent, c’est sous une forme de dépassement des antinomies. Cela dit, Bataille sera toujours pour les tabous qui donnent un sens à cet excès. Car le divin ou le sacré sont quelque chose d’ambigu, « à la fois saint et maudit, pur et impur, blanc et noir, fascinans et tremendum » ; « le sacré est le tout autre, séparé, hétérogène », et « cette hétérologie comprend les formes les plus nobles comme les plus basses. Jeu cruel, l’art a le pouvoir d’engendrer une altérité folle, belle, laide ou effrayante » S’il détourne les mots, ouvre des concepts, il disjoint le sacré de la substance transcendante. Il explique dans L’expérience intérieure : « J’entends par expérience intérieure ce que d’habitude on nomme expérience mystique : les états d’extase, de ravissement, au moins d’émotion méditée » et quand, en 1947, Méthode de méditation recherche une définition de l’opération souveraine, « la moins inexacte image » lui semble être « l’extase des saints ». Si pour lui le sacré reste à la fois fascinant et repoussant, c’est qu’il est l’espace où la violence peut et doit se déchaîner. Ce qui fait expliquer à son biographe, Jacques Lempert :

« L'érotisme est perversité au sens étymologique du terme : il tourne le vice en vertu, devinant que ce qui était défendu est en fait délicieux. Et plus le tabou est ressenti comme pesant, plus sa transgression sera délicieuse. »

Pour Bataille « La transgression n'abolit pas l'interdit mais le dépasse en le maintenant. L'érotisme est donc inséparable du sacrilège et ne peut exister hors d'une thématique du bien et du mal ». Et Lempert de conclure sur un mode badin : « Le détour par le péché est essentiel à l'épanouissement de l'érotisme : là où il n'y a pas de gêne, il n'y a vraiment pas de plaisir ».

Une littérature de transgression : l'érotisme et la mort

Bataille avait un talent interdisciplinaire, puisant dans des influences diverses. Histoire de l'œil, publié sous le pseudonyme « Lord Auch », fut critiqué initialement comme de la pure pornographie, mais l'interprétation de ce travail a graduellement mûri, révélant alors une profondeur philosophique et émotive considérable ; une caractéristique partagée par d'autres auteurs qui ont été classés dans la catégorie de la « littérature de transgression ». Le langage figuré du roman repose ici sur une série de métaphores qui se rapportent à leur tour aux constructions philosophiques développées dans son travail : l'œil, l'œuf, le soleil, la terre, le testicule. Le but avoué de Georges Bataille, en alliant Eros et Thanatos, l'érotisme et la mort, en dépassant toute transcendance, est d'aller « au bout du possible »145. Dans une post-face intitulée « Réminiscences », « L'histoire de l'œil » est présentée comme une transposition de certaines images obsessionnelles venues de l'enfance146. C'est pour Berman le résultat d'une psychanalyse où Bataille s'expose avec tous ses fantasmes146. Bien que le récit soit peut-être dans sa structure le plus « classique » des récits de Bataille, reposant dans un crescendo menant à une scène finale opérant une synthèse transgressive et poétique de l'ensemble des obsessions rencontrées dans le roman, cette première œuvre marque déjà le génie de l'auteur pour les mises en scène érotiques, et affirme son style. Ma mère et Le Bleu du ciel sont deux autres romans importants. Le Bleu du ciel avec ses tendances nécrophiles et politiques, ses nuances autobiographiques ou testimoniales, et ses moments philosophiques chamboulent Histoire de l'œil, fournissant un traitement beaucoup plus sombre et morne de la réalité historique contemporaine. Ma mère est un roman publié à titre posthume en 1966. Il fut plutôt faussement considéré comme inachevé. En réalité, Bataille n'a pas fini le recopiage du manuscrit final, mais a accolé deux manuscrits l'un après l'autre (le manuscrit « vert » et le manuscrit « jaune ») de sorte que le texte possède un dénouement et une fin acceptable, offrant une cohérence permettant le commentaire littéraire. Ma mère est un récit sur l’initiation aux vices d'un fils par sa mère. Loin d'être simplement un roman provoquant (avec la suggestion évidente de l'inceste), il représente plutôt une synthèse des préoccupations de Bataille durant l'ensemble de son œuvre alliée à la totale maturité de son style littéraire. La genèse de Ma mère tout comme son analyse mériterait un article à part.

Bataille jeta aussi les bases de son œuvre érotique, de son érotisme qui est une : « ouverture entre les ouvertures pour accéder tant soit peu au vide insaisissable de la mort », a commenté Michel Leiris. L’érotisme de Sade ne lui ressemble en rien. Pierre Klossowski l’a analysé en ces termes : « La persévérance du Divin Marquis, toute sa vie durant, à n’étudier que les formes perverses de la nature humaine prouve qu’une seule chose lui importait : la nécessité de rendre à l’homme tout le mal qu’il est capable de rendre ».

Pour le Divin, la seule attitude face à la mort reste la recherche d’une ultime volupté. C’est du moins les phrases qu’il met dans la bouche du moribond expliquant à son confesseur : « Renonce à l’idée d’un autre monde, il n’y en a pas, mais ne renonce pas au plaisir d’être heureux… Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l’ai encensé toute ma vie, et j’ai voulu la terminer dans ses bras ».

Bataille, qui toute sa vie s’était « dépensé jusqu’à toucher la mort à force de beuveries, de nuits blanches et de coucheries », était tout à fait hostile à cet ultime type de libertinage. Pour lui la réduction de l’être humain à un corps source de plaisir physique refoulait, à l’instar du christianisme, la dimension spirituelle de l’érotisme. Lui qui avait perdu la foi, en 1920, après la lecture du Rire de Henri Bergson Et aussi, disent certains après une visite à l’abbaye de Quarr, sur l’île de Wight, lors d’une aventure obscure avec une jeune femme croyante. Mais les deux événements sont concomitants. Dès lors Bataille critiqua le christianisme qui fait croire à l’immortalité de l’âme et au report du plaisir jusqu’au paradis. Pour lui ce refoulement de la mort s’accompagne du refoulement de la sexualité et atteint son comble dans le culte de la Vierge Marie, lui qui avait écrit le Rire de Nietzsche, lui dont le rire fêlé passait pour sarcastique, face à la camarde il privilégia avec une ironie noire un dernier éclat de rire, ce rire, disait-il, qui précipite « l’agonie de Dieu dans la nuit noire », persuadé qu’il était que « dans le rire infini la forme divine fond comme du sucre dans l’eau »

Relativement peu connu de son vivant, il exerce après sa mort une influence considérable sur des auteurs tels que Michel Foucault, Philippe Sollers ou Jacques Derrida.

La philosophie de Bataille

Pendant la Seconde guerre mondiale, influencé par Hegel, et Nietzsche, Bataille forme le projet d'écrire La Somme athéologique, qui va réunir L'Expérience intérieure, Le Coupable, Méthode de méditation, Post-scriptum 1953, L'Alleluiah, Sur Nietzsche, Mémorandum.

Bataille a toujours refusé le titre de philosophe, ce qui ne l'empêche pas de faire au début des années 1950, cette déclaration « Je préfère dire que je suis un philosophe heureux. » Ceci autorise à s'interroger sur la nature de cette philosophienote 18. Bataille ne peut pas ne pas songer à Hegel davantage qu'à Nietzsche. En 1932, puisant à la fois dans Hegel et la dialectique hégélienne ré-introduite en France, (après Victor Cousin) par Alexandre Kojève, il publie avec Raymond Queneau une « Critique des fondements de la dialectique hégélienne ». Ses autres sources d'inspiration sont Nietzsche, et Freud, du moins pour ses travaux sur la sexualité inconsciente. Plus tard, il complète sa réflexion par des recours aux idées de Durkheim sur la sociologie et de Mauss sur l'anthropologie, en postulant « le primat d'une théorie du lien social sur toute psychologie. » Enfin, il se réfère abondamment à Sade et à la dimension de « la part maudite » au centre du lien social. Bataille développe ensuite sa formulation du fascisme,. Mais pour Sartre, ses prétentions philosophiques se bornent à un mysticisme athée. Sa conception très particulière de la « souveraineté » (qui peut être considérée comme anti-souveraine) a été discutée notamment par Jacques Derrida, Giorgio Agamben, Jean-Luc Nancy[réf. nécessaire]

Réception de son vivant

Critiqué par Breton, puis Sartre

Georges Bataille estimant que le surréalisme, sous la houlette d’André Breton, restait bien trop hégélien et trahissait le réel « dans son immédiateté pour un surréel rêvé sur la base d’une élévation d’esprit » avait fondé en 1929 une revue anti-surréaliste, Documents, à laquelle contribuèrent des peintres, des écrivains, des historiens d’art et des ethnologues en quête des « traces d’un refoulé sur lequel se sont édifiées la culture et la rationalité occidentales ». Parmi les collaborateurs de Documents se trouvent des artistes, poètes et intellectuels de l’époque, dont Joan Miró, Picasso, Giacometti, Arp et André Masson, ainsi que des écrivains comme Michel Leiris et Robert Desnos et des photographes comme Jacques-André Boiffard et Karl Blossfeldt.

Allant plus loin encore, Bataille estima que Breton et les surréalistes faisaient de Sade, « ce dépensier de langage », cité par Jacques Lempert, un usage bien futile. Dans son Second manifeste du surréalisme, Breton montra l'exaspération qu'il éprouvait à son égard. Bataille y est présenté comme un malade atteint de « déficit conscient à forme généralisatrice », un « psychasthénique » qui se meut avec délectation dans un univers « souillé, sénile, rance, sordide, égrillard, gâteux ».

Sartre le prend pour cible quinze ans plus tard dans un article au titre ironique, « Un nouveau mystique », qui fait suite à la parution du premier ouvrage signé du nom de Bataille, L'Expérience intérieure. Il est successivement qualifié de « passionné », de « paranoïaque » et de « fou ». Le philosophe lui suggérait un traitement à la fin de l'article : « Le reste est affaire de la psychanalyse ».

Salué par Foucault

En 1970, lors de la parution aux Éditions Gallimard du premier volume des œuvres complètes, Michel Foucault a écrit dans sa préface : « On le sait aujourd’hui : Bataille est un des écrivains les plus importants de son siècle ».