L'ECOLE EMANCIPEE

Revue syndicale et pédagogique bi-mensuelle

N° 4

5 novembre 1966

Rare hommage par Henri FERAUD :

ANDRE BRETON

et le SURREALISME



1966


16 x 23,5 cm


10 pages


Document RARE

Bon Etat

Remise en mains propres possible


  Au meeting du 8 novembre 1957, organisé par le PCI (IVème internationale) "pour le 40e anniversaire de la Révolution d’Octobre", et tenu à la salle des Horticulteurs


Péret était à la tribune.

À ses côtés, se retrouvaient Claude Lefort (Socialisme ou Barbarie), Claude Lemoine (syndicaliste mineur), Peter Fryer (ancien rédacteur du Daily worker, journal du PC britannique), Henri Féraud (L’école émancipée). Gérard Bloch et Pierre Lambert (PCI).

André Breton, absent pour raison de santé, avait fait parvenir un message, que lut Péret :

«Contre vents et marées, je suis de ceux qui retrouvent encore, au souvenir de la Révolution d’Octobre, une bonne part de cet élan inconditionnel qui me porta vers elle quand j’étais jeune et qui impliquait un don total de soi-même". »


Henri Féraud

(1905-1982)

Né le 15 mai 1905 à Toulouse (Haute-Garonne), mort le 15 septembre 1982 à Montpellier (Hérault) ; professeur de philosophie ; syndicaliste de l’Hérault, militant national de la tendance « École émancipée ». Fils d’un négociant, Henri Féraud, après avoir terminé sa scolarité au lycée de Carcassonne (Aude), entreprit des études de philosophie à la faculté des Lettres de Montpellier. Il y fonda un Cercle des étudiants révolutionnaires et y anima l’un des premiers ciné-clubs créés en France. Il adhéra au Parti communiste mais n’y resta que peu de temps. En mai 1934, il organisa un meeting contre la mesure d’expulsion frappant Léon Trotsky. Il rencontra à cette occasion Marcel Valière*, l’un des dirigeants de la Fédération unitaire de l’enseignement. Ce fut le début d’une longue amitié qui ne devait prendre fin qu’à la mort de ce dernier, en 1974. Il rejoignit à cette époque la Ligue communiste et devint son responsable pour l’Hérault. Cet engagement politique ne dura que quelques mois.

Titulaire d’une licence et d’un diplôme d’études supérieures de philosophie, Henri Féraud obtint un poste de maître d’internat au lycée de Perpignan. Il adhéra aussitôt à la FUE où il milita dans les rangs de la majorité fédérale dont les principaux dirigeants avaient rompu avec les communistes en 1929-1930. Il publia de nombreux articles, sous le pseudonyme d’Henri Legrand, dans L’École émancipée, l’hebdomadaire de la FUE. Après la réunification syndicale de 1935, il fut l’un des principaux responsables de la tendance des « Amis de l’École émancipée » qui, dans le Syndicat national des instituteurs principalement, entendait rester fidèle à l’héritage syndicaliste révolutionnaire de la FUE. Il enseigna la philosophie en tant qu’adjoint d’enseignement dans plusieurs établissements languedociens. Henri Féraud s’était marié en juillet 1933 à Montpellier.

Nommé professeur titulaire au lycée de La Châtre (Indre) au début de la Seconde Guerre mondiale, Henri Féraud s’engagea dans la Résistance, contrairement à d’autres militants de l’École émancipée, et devint l’un des responsables des FFI de ce département. Il regagna l’Hérault peu de temps après la Libération et continua à enseigner la philosophie au collège d’Agde puis au lycée de Sète (Hérault). Il participa activement à la reconstitution de la tendance « École émancipée » et fut le responsable de L’École émancipée à sa reparution. Parmi ses nombreux articles, en 1946, il critiqua le statut général de la Fonction publique. En 1949, alors qu’il était secrétaire départemental de la FEN de l’Hérault, il s’opposait à la double affiliation qui mettait selon lui l’unité fédérale en péril, notamment dans un article de L’Université syndicaliste (25 mars 1949). Il signa un article dans L’US du 15 mars 1952 contre le rapport d’activité d’Albert-Claude Bay (critique du Comité d’action universitaire et de la défense de la hiérarchie) et figura en quatrième position sur la liste C (École émancipée) en mai 1949, après Robert Chéramy, Charles Cordier et Paul-Louis Letonturier*, quand sa tendance rompit un temps avec les militants de la majorité « autonome » du Syndicat national de l’enseignement secondaire. En 1952, il proposa, au nom de sa tendance, une modification des statuts du SNES visant à instaurer une homogénéité stricte dans le bureau national, qui n’aurait dû être qu’un simple exécutif, et à limiter à trois ans le mandat des secrétaires des sections départementales (S2), académiques (S3) et des membres du bureau national, avec cependant la possibilité de leur confier de nouveau ces responsabilités au bout de deux années.

Henri Féraud fut, pour la tendance « École émancipée », membre suppléant, puis titulaire à la commission administrative nationale de la FEN de 1950 à 1953, membre pendant la même période des commissions de la laïcité et d’éducation sociale. Il devint l’un des principaux porte-parole de sa tendance dans les congrès de la Fédération de l’éducation nationale. Il signa dans Socialisme ou barbarie en 1956 un article sur l’unité syndicale.

Henri Féraud joua un rôle sans doute déterminant, aux côtés de Valière, dans la crise qui secoua sa tendance en 1968 et qui se termina par l’exclusion des militants et des sympathisants de l’Organisation communiste internationaliste. Il dénonça, dans plusieurs articles consacrés à la grève générale de mai-juin, la prétention de cette organisation à détenir et à vouloir imposer aux autres composantes de la tendance une prétendue « vérité révolutionnaire » conforme à « l’orthodoxie marxiste ».

Henri Féraud prit sa retraite en 1969. La maladie l’empêcha de continuer à militer activement. Il fit pourtant encore partie de la liste « École émancipée » présentée aux élections à la CA nationale du SNES en 1971 en tant que retraité et candidat au secrétariat de catégorie des retraités. Il rédigea aussi en 1975, avec Henri Vidalenche*, une brochure en hommage à Valière disparu l’année précédente.

André Breton

André Breton
, né à Tinchebray dans l'Orne, le , mort à Paris le , est un poète et écrivain français, principal animateur et théoricien du surréalisme.

Auteur des livres Nadja, L'Amour fou et des différents Manifestes du surréalisme, son rôle de chef de file du mouvement surréaliste, et son œuvre critique et théorique pour l'écriture et les arts plastiques, font d'André Breton une figure majeure de l'art et de la littérature française du XXe siècle.

Biographie

De la tentative d’un coup d’État poétique au Premier manifeste (1924)

Fils unique d’une famille de la petite bourgeoisie catholique dont la mère impose une éducation rigide, André Breton passe une enfance sans histoire à Pantin (Seine-St-Denis), dans la banlieue nord-est de Paris.

Premières rencontres décisives : Valéry, Apollinaire, Vaché


Au collège Chaptal, il suit une scolarité « moderne » (sans latin ni grec), se fait remarquer par son professeur de rhétorique qui lui fait découvrir Charles Baudelaire et Joris-Karl Huysmans, et par son professeur de philosophie qui oppose le positivisme (« ordre et progrès ») aux pensées hégéliennes (« liberté de la conscience de soi ») qu’affectionne le jeune homme. Il se lie d’amitié avec Théodore Fraenkel et René Hilsum qui publie ses premiers poèmes dans la revue littéraire du collège. Au dépit de ses parents qui le voyaient ingénieur, Breton entre en classe préparatoire au PCN avec Fraenkel.

Au début de 1914, il adresse quelques poèmes à la manière de Stéphane Mallarmé, à la revue La Phalange que dirige le poète symboliste Jean Royère. Ce dernier les publie et met Breton en relation avec Paul Valéry.

À la déclaration de guerre, le 3 août, il est avec ses parents à Lorient. Il a pour seul livre un recueil de poèmes d’Arthur Rimbaud qu’il connait mal. Jugeant sa poésie si « accordée aux circonstances », il reproche à son ami Fraenkel sa tiédeur devant « une œuvre aussi considérable ». Pour sa part, il proclame « l’infériorité artistique profonde de l’œuvre réaliste sur l’autre. » Déclaré « bon pour le service » le 17 février 1915, Breton est mobilisé au 17e régiment d'artillerie et envoyé à Pontivy, dans l’artillerie, pour faire ses classes dans ce qu'il devrait plus tard décrire comme « un cloaque de sang, de sottise et de boue. » La lecture d'articles d'intellectuels renommés comme Maurice Barrès ou Henri Bergson, le conforte dans son dégoût du nationalisme ambiant. Début juillet 1915, il est versé dans le service de santé comme infirmier et affecté à l'hôpital bénévole de Nantes. À la fin de l'année, il écrit sa première lettre à Guillaume Apollinaire à laquelle il joint le poème Décembre.

En février ou mars 1916, il rencontre un soldat en convalescence : Jacques Vaché. C’est le « coup de foudre » intellectuel. Aux tentations littéraires de Breton, Vaché lui oppose Alfred Jarry, la « désertion à l’intérieur de soi-même » et n’obéit qu’à une loi, l’« Umour (sans h) ». Découvrant dans un manuel ce que l’on nomme alors la « psychoanalyse » de Sigmund Freud, à sa demande, Breton est affecté au Centre de neurologie à Saint-Dizier que dirige un ancien assistant du docteur Jean-Martin Charcot. En contact direct avec la folie, il refuse d’y voir seulement un déficit mental mais plutôt une capacité à la création. Le 20 novembre 1916, Breton est envoyé au front comme brancardier.

De retour à Paris en 1917, il rencontre Pierre Reverdy avec qui il collabore à sa revue Nord-Sud et Philippe Soupault que lui présente Apollinaire : « Il faut que vous deveniez amis. » Soupault lui fait découvrir Les Chants de Maldoror de Lautréamont, qui provoquent chez lui une grande émotion. Avec Louis Aragon dont il fait la connaissance à l’hôpital du Val-de-Grâce, ils passent leurs nuits de garde à se réciter des passages de Maldoror au milieu des « hurlements et des sanglots de terreur déclenchés par les alertes aériennes chez les malades » (Aragon).

Dans une lettre de juillet 1918 à Fraenkel, Breton évoque le projet en commun avec Aragon et Soupault, d’un livre sur quelques peintres comme Giorgio De Chirico, André Derain, Juan Gris, Henri Matisse, Picasso, Henri Rousseau... dans lesquels serait « contée à la manière anglaise » la vie de l’artiste, par Soupault, l’analyse des œuvres, par Aragon et quelques réflexions sur l’art, par Breton lui-même. Il y aurait également des poèmes de chacun en regard de quelques tableaux.

Malgré la guerre, la censure et l’esprit antigermanique, parviennent de Zurich, Berlin ou Cologne, les échos des manifestations Dada ainsi que quelques-unes de leurs publications comme le Manifeste Dada 3. Au mois de janvier 1919, profondément affecté par la mort de Jacques Vaché, Breton croit voir en Tristan Tzara la réincarnation de l’esprit de révolte de son ami : « Je ne savais plus de qui attendre le courage que vous montrez. C’est vers vous que se tournent aujourd’hui tous mes regards. »

Littérature - Les Champs magnétiques - Dada à Paris

Projetée depuis l’été précédent par Aragon, Breton et Soupault (les « trois mousquetaires » comme les appelait Paul Valéry), la revue Littérature est créée dont le premier numéro paraît en février 1919. Rencontré le mois suivant, Paul Éluard est immédiatement intégré dans le groupe.

Après la parution de Mont de piété, qui regroupe ses premiers poèmes écrits depuis 1913, Breton expérimente avec Soupault l'« écriture automatique » : textes écrits sans aucune réflexion, à différentes vitesses, sans retouche ni repentir. Les Champs magnétiques, écrit en mai et juin 1919, n’est publié qu’un an plus tard. Le succès critique en fait un ouvrage précurseur du surréalisme.

Dans Littérature paraissent successivement les Poésies de Lautréamont, des fragments des Champs magnétiques et l’enquête Pourquoi écrivez-vous ?, mais Breton reste insatisfait de la revue. Après avoir rencontré Francis Picabia dont l’intelligence, l’humour, le charme et la vivacité le séduisent, Breton comprend qu’il n’a rien à attendre des « aînés », ni de l’héritage d’Apollinaire : l’Esprit nouveau paré du bon sens français et son horreur du chaos, ni du réveil de Paul Valéry, pas plus que des « modernes » Jean Cocteau, Raymond Radiguet, Pierre Drieu La Rochelle perpétuant la tradition du roman qu’il rejette (et rejettera toujours).

Le 23 janvier 1920, Tristan Tzara arrive enfin à Paris. La déception de Breton de voir apparaître un être « si peu charismatique » est à la hauteur de ce qu’il en attendait. Il se voyait avec Tzara « tuer l’art », ce qui lui paraît le plus urgent à faire même si « la préparation du coup d’État peut demander des années. » Avec Picabia et Tzara, ils organisent les manifestations Dada qui suscitent le plus souvent incompréhension, chahuts et scandales, buts recherchés. Mais dès le mois d’août, Breton prend ses distances avec Dada. Il refuse d’écrire une préface à l’ouvrage de Picabia Jésus-Christ rastaquouère : « Je ne suis même plus sûr que le dadaïsme ait gain de cause, à chaque instant je m’aperçois que je le réforme en moi. »

À la fin de l’année, Breton est engagé par le couturier, bibliophile, et amateur d’art moderne Jacques Doucet. Ce dernier, « personnalité éprise de rare et d’impossible, juste ce qu’il faut de déséquilibre », lui commande des lettres sur la littérature et la peinture ainsi que des conseils d’achat d’œuvres d’art. Entre autres, Breton lui fera acheter le tableau Les Demoiselles d'Avignon de Picasso.

Après le « procès Barrès » (mai 1921), rejeté par Picabia et au cours duquel Tzara s’est complu dans une insolence potache, Breton considère le pessimisme absolu des dadaïstes comme de l'infantilisme. L’été suivant, il profite d’un séjour dans le Tyrol pour rendre visite à Sigmund Freud à Vienne, mais ce dernier garde ses distances avec le chef de file de ceux qu'il est tenté de considérer comme des « fous intégraux ».

Rupture avec Dada - Naissance du surréalisme - Premier manifeste

En janvier 1922, Breton tente d’organiser un « Congrès international pour la détermination des directives et la défense de l’esprit moderne ». L’opposition de Tzara en empêche la tenue. Une nouvelle série de Littérature avec Breton et Soupault pour directeurs, recrute de nouveaux collaborateurs comme René Crevel, Robert Desnos, Roger Vitrac mais, définitivement hostile à Picabia, Soupault prend ses distances avec les surréalistes. Avec Crevel, Breton expérimente les sommeils hypnotiques permettant de libérer le discours de l’inconscient. Ces états de sommeil forcé vont révéler les étonnantes facultés d’ « improvisation » de Benjamin Péret et de Desnos. À la fin février 1923, doutant de la sincérité des uns et craignant pour la santé mentale des autres, Breton décide d’arrêter l’expérience.

Breton semble fatigué de tout : il considère les activités de journalisme d’Aragon et Desnos, pourtant rémunératrices, comme une perte de temps. Les écrits de Picabia le déçoivent, il s’emporte contre les projets trop littéraires de ses amis — « toujours des romans ! ». Dans un entretien avec Roger Vitrac, il confie même son intention de ne plus écrire. Cependant, au cours de l’été suivant, il écrit la plupart des poèmes de Clair de terre.

Le 15 octobre 1924, paraît, en volume séparé, Le Manifeste du surréalisme initialement prévu pour être la préface au recueil de textes automatiques Poisson soluble. Instruisant le procès de l’attitude réaliste, Breton évoque le chemin parcouru jusque-là et définit ce nouveau concept, revendique les droits de l’imagination, plaide pour le merveilleux, l’inspiration, l’enfance et le hasard objectif.

« SURRÉALISME, n. m. Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale.
- Encycl. Philos. Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. »

Quelques jours après, le groupe publie le pamphlet Un cadavre, écrit en réaction aux funérailles nationales faites à Anatole France : « Loti, Barrès, France, marquons tout de même d’un beau signe blanc l’année qui coucha ces trois sinistres bonshommes : l’idiot, le traitre et le policier. Avec France, c’est un peu de la servilité humaine qui s’en va. Que soit fêté le jour où l’on enterre la ruse, le traditionalisme, le patriotisme et le manque de cœur ! »

« Transformer le monde » et « changer la vie » (1925-1938)

La Révolution surréaliste - Nadja- Adhésion au PCF - Premières ruptures

Le , paraît le premier numéro de la Révolution surréaliste, l’organe du groupe que dirigent Benjamin Péret et Pierre Naville. Breton radicalise son action et sa position politique. Sa lecture de l’ouvrage de Léon Trotski sur Lénine et la guerre coloniale menée par la France dans le Rif marocain le rapproche des intellectuels communistes. Avec les collaborateurs des revues Clarté et Philosophie, les surréalistes forment un comité et rédigent un tract commun : « La Révolution d’abord et toujours ».

En janvier 1927, Aragon, Breton, Éluard, Péret et Pierre Unik adhèrent au parti communiste français. Ils s’en justifient dans le tract « Au grand jour ». Breton est affecté à une cellule d’employés au gaz.

Le 4 octobre 1926, il rencontre dans la rue Léona Delcourt, alias Nadja. Ils se fréquentent chaque jour jusqu’au 13 octobre. Elle ordonne à Breton d’écrire « un roman sur moi. Prends garde : tout s’affaiblit, tout disparaît. De nous il faut que quelque chose reste... ». Retiré au manoir d’Ango, près de Varengeville-sur-Mer, au mois d’août 1927, en compagnie d’Aragon, Breton commence l’écriture de Nadja. En novembre, à l’occasion d’une lecture qu’il fait au groupe, Breton rencontre Suzanne Muzard. C’est le coup de foudre réciproque. Bien qu’elle soit la maîtresse d’Emmanuel Berl, elle partage avec Breton une aventure passionnée et orageuse. Elle demande à Breton de divorcer d’avec Simone, ce à quoi il consent, mais freinée dans ses désirs d’aventure, par son goût du confort et de la sécurité matérielle, elle épouse Berl, sans pour autant rompre définitivement avec Breton. La relation faite de ruptures et de retrouvailles perdurera jusqu’en janvier 1931. Pour elle, Breton ajoute une troisième partie à Nadja.

Cet amour malheureux pèse sur l’humeur de Breton : mésententes dans le groupe, détachement de Robert Desnos, altercation en public avec Soupault, fermeture de la Galerie Surréaliste pour cause de gestion négligée... La parution du Second manifeste du surréalisme (décembre 1929) est l'occasion pour Breton de relancer le mouvement et, selon l'expression de Mark Polizzotti, de « [codifier] tous les changements que le mouvement a connus pendant ses cinq premières années et en particulier le passage (...) de l'automatisme psychique au militantisme politique ». Breton est alors plongé dans la lecture de Marx, Engels et Hegel ; et la question du réel dans sa dimension politique ainsi que celle de l'engagement de l'individu occupent sa réflexion comme le précise l'incipit du livre. Ce second manifeste est aussi l'occasion pour lui de régler ses comptes, de manière violente en maniant jusqu'à l'insulte et le sarcasme, et de faire le point sur les remous qu'a connus le groupe ces dernières années. Breton justifie son intransigeance par sa volonté de découvrir, s'inspirant de la Phénoménologie de l'esprit, ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. » Les « exclus » visés par le texte réagissent en publiant un pamphlet sur le modèle de celui écrit contre Anatole France quelques années plus tôt et en reprennent le même titre, « Un cadavre ». Dès lors, les adversaires sacrent ironiquement Breton « Pape du surréalisme ». L'humeur sombre de Breton s'exprime pleinement dans ce que Mark Polizzotti appelle le « passage le plus sinistre du manifeste » et qui est selon lui le reflet d'une grande « amertume personnelle », une phrase souvent citée et reprochée à Breton, notamment par Albert Camus : « L'acte surréaliste le plus simple consiste, révolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule. » Marguerite Bonnet relève qu'une phrase très proche figurait déjà dans un article publié en 1925 dans le numéro 2 de La Révolution surréaliste et qu'elle n'avait pas, en son temps, retenu l'attention. Elle avance que Breton fait allusion à la figure d'Émile Henry qui, peu après son arrestation a prétendu s'appeler « Breton » et suggère qu'« une sorte de lent transfert, de nature presque onirique, cheminant dans les zones les plus mystérieuses de la sensibilité, aurait ainsi préparé en [Breton] la tentation fugitive de s'identifier à l'ange exterminateur de l'anarchie ».

En réaction au Second manifeste, des écrivains et artistes publient un recueil collectif de pamphlets contre Breton, intitulé Un Cadavre. Georges Limbour et Georges Ribemont-Dessaignes y commentent la phrase où tirer au hasard dans la foule est qualifié d'acte surréaliste le plus simple. Limbour y voit un exemple de bouffonnerie et d'impudeur et Ribemont-Dessaignes traite Breton d'hypocrite, de flic et de curé. Après la publication de ce pamphlet, le Manifeste aura une seconde édition, où Breton ajoutera une note insistant sur le fait, déjà indiqué dans la première édition, mais moins nettement, que qualifier un acte d'acte surréaliste le plus simple n'est pas recommander de le commettre.

« SASDLR » - Rupture avec Aragon - « L'Amour fou » - Rupture avec Éluard

La Révolution surréaliste fait place au Surréalisme au service de la Révolution (SASDLR). Le titre de la revue est d'Aragon. Breton et André Thirion lancent l’idée d’une Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). Cette association est effectivement créée en janvier 1932 par les instances dirigeantes du parti communiste français, mais ni Breton ni Thirion n’ont été sollicités et leur adhésion ainsi que celle d’autres surréalistes n’est prise en compte qu’à la fin de 1932. Dès cette époque, les surréalistes se retrouvent au sein de l'AEAR sur les positions de l'Opposition de gauche.

Même s’il ne désespère pas de pouvoir orienter l’action culturelle du Parti et récupérer les forces psychiques dispersées, en conciliant le freudisme avec le marxisme au service du prolétariat, Breton ne cesse de se heurter à l’incompréhension et la défiance croissante venant de la direction du Parti communiste.

Quand il dénonce la censure de l’activité poétique par l’autorité politique qui frappe le poème d’Aragon Front rouge, sans cacher le peu d’estime qu’il a pour ce texte de pure propagande, Breton n’en défend pas moins son auteur (Misère de la poésie), Aragon désavoue cette défense et provoque la rupture définitive et Paul Vaillant-Couturier lui reproche un texte de Ferdinand Alquié, publié dans SASDLR, dénonçant le « vent de crétinisation systématique qui souffle de l’URSS ».

En réponse aux violentes manifestations fascistes du 6 février 1934, devant l’Assemblée nationale, Breton lance un Appel à la lutte à destination de toutes les organisations de gauche. Sollicité, Léon Blum refuse poliment son soutien.

En 1934, Breton rencontre Jacqueline Lamba dans des circonstances proches de celles évoquées dans le poème Tournesol écrit en 1923. De cette rencontre et des premiers moments de leur amour, Breton écrit le récit L'Amour fou. De leur union naîtra une fille, Aube.

En juin 1935, Breton écrit un discours qu’il doit prononcer au Congrès des écrivains pour la défense de la culture. « "Transformer le monde ", a dit Marx ; "Changer la vie ", a dit Rimbaud ; ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu’un » est la conclusion de ce discours. Mais à la suite d’une violente altercation avec Ilya Ehrenbourg, ce dernier, délégué de la représentation soviétique, ayant calomnié les surréalistes, la participation de Breton est annulée. Il fallut le suicide de René Crevel pour que les organisateurs concèdent à Éluard de lire le texte. La rupture définitive avec le Parti est consommée avec le tract « Du temps où les surréalistes avaient raison ».

En 1938, Breton organise la première Exposition internationale du surréalisme à Paris. À cette occasion, il prononce une conférence sur l’humour noir. Cette même année, il voyage au Mexique et rencontre les peintres Frida Kahlo et Diego Rivera, ainsi que Léon Trotski avec qui il écrit le manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant, qui donne lieu à la constitution d’une Fédération internationale de l’art révolutionnaire indépendant (FIARI). Cette initiative est à l’origine de la rupture avec Éluard.

De l’exil à l’insoumission (1939-1966)

Marseille - Martinique - New York

Mobilisé dès septembre 1939, Breton est affecté en janvier 1940 à l’école prémilitaire aérienne de Poitiers comme médecin. Le jour de l’armistice (17 juin), il est en « zone non-occupée » et trouve refuge chez Pierre Mabille, le médecin qui a accouché Jacqueline, à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), puis il est rejoint par Jacqueline et leur fille Aube, à la villa Air-Bel, à Marseille, siège du Comité américain de secours aux intellectuels créé par Varian Fry. Dans l’attente d’un visa, les surréalistes reconstituent un groupe et trompent l’ennui et l’attente par des cadavres exquis dessinés et la création d’un tarot de Marseille. À l’occasion d’une visite à Marseille du maréchal Pétain, André Breton, dénoncé comme « anarchiste dangereux », est préventivement emprisonné sur un navire pendant quatre jours, tandis que la censure de Vichy interdit la publication de l’Anthologie de l’humour noir et de Fata morgana.

Breton embarque à destination de New York le 25 mars 1941 avec Wifredo Lam et Claude Lévi-Strauss. À l’escale de Fort-de-France (Martinique), Breton est interné puis libéré sous caution. Il rencontre Aimé Césaire. Le 14 juillet, il arrive à New York.
Avec Marcel Duchamp, Breton fonde la revue VVV et Pierre Lazareff l’engage comme « speaker » pour les émissions de la radio la Voix de l’Amérique à destination de la France. Jacqueline le quitte pour le peintre David Hare.

Le 10 décembre 1943, Breton rencontre Elisa Bindorff. Ensemble, ils voyagent jusqu'à la péninsule de la Gaspésie, à l'extrémité sud-est du Québec. Dès son retour à New-York, il publie Arcane 17 né du « désir d’écrire un livre autour de l’Arcane 17 en prenant pour modèle une dame que j’aime... »

Pour régler les questions pratiques de divorce et de remariage, Breton et Élisa se rendent à Reno dans le Nevada. Il en profite pour visiter les réserves des indiens Hopis et Zuñis, emportant avec lui des ouvrages de Charles Fourier.

Haïti - Retour en France - Nouvelles polémiques et nouvelles expositions

En décembre 1945, à l’invitation de Pierre Mabille, nommé attaché culturel à Pointe-à-Pitre, Breton se rend en Haïti pour y prononcer une série de conférences. Sa présence coïncide avec un soulèvement populaire qui renverse le gouvernement en place. Accompagné de Wilfredo Lam, il rencontre les artistes du Centre d'Art de Port-au-Prince et achète plusieurs toiles à Hector Hyppolite, contribuant à lancer l'intérêt pour la peinture populaire haïtienne. Le 25 mai 1946, il est de retour en France.

Dès le mois de juin, il est invité à la soirée d’hommages rendus à Antonin Artaud. C’est d’une voix vive et ferme que Breton prononce enfin les « deux mots d’ordre qui n’en font qu’un : "transformer le monde" et "changer la vie". »

Malgré les difficultés de la reconstruction de la France et le début de la guerre froide, Breton entend poursuivre sans aucune inflexion les activités du surréalisme. Et les polémiques reprennent et se succèdent : contre Tristan Tzara se présentant comme le nouveau chef de file du surréalisme, contre Jean-Paul Sartre qui considérait les surréalistes comme des petits-bourgeois, contre des universitaires, en démontant la supercherie d’un soi-disant inédit d’Arthur Rimbaud, contre Albert Camus et les chapitres que celui-ci consacre à Lautréamont et au surréalisme dans L’Homme révolté.

Il retrouve Georges Bataille pour une nouvelle Exposition internationale du surréalisme dédiée à Éros, donne fréquemment son concours pour nombre d’artistes inconnus en préfaçant les catalogues d’exposition, et participe à plusieurs revues surréalistes comme Néon, Médium, Le Surréalisme même, Bief, La Brêche...

À partir de 1947, André Breton s'intéresse de près à l’Art brut. Avec Jean Dubuffet il participe à la création de la Compagnie de l'Art brut, officiellement créée en juillet 1948, qui aurait pour objet de « rassembler, conserver et exposer les œuvres des malades mentaux. »

En 1950, il cosigne avec Suzanne Labin une lettre circulaire datée du 8 mars 1950, proposant de « créer un foyer de culture libre face à l'obscurantisme envahissant, en particulier l'obscurantisme stalinien », et proposant la constitution d'un comité de patronage :

« Des intellectuels français qui n'entendent pas abdiquer et qui ne disposaient jusqu'ici d'aucune tribune, alors que d'innombrables publications staliniennes déshonorent chaque jour la culture, se proposent de relever le défi dans le secteur de la civilisation dont ils ont la charge. Ils veulent fonder à cet effet une revue littéraire et idéologique où les grandes traditions du libre examen seraient reprises et revivifiées. »

— (Projet pour une revue culturelle, document dactylographié, fonds Alfred Rosmer, Le Musée social, CEDIAS)

Parmi les personnalités pressenties pour le Comité de patronage on trouve Albert Camus, René Char, Henri Frenay, André Gide, Ernest Hemingway, Sidney Hook, Aldous Huxley, Ignazio Silone et Richard Wright. D'après Suzanne Labin : « Tous les membres du Comité de patronage ont répondu positivement à nos propositions. Aucun n'a formulé de désaccord. Le projet n'a finalement pas abouti en raison de difficultés financières, pas du tout en raison de divergences idéologiques. »

En 1954, un projet d'action commune avec l'Internationale lettriste contre la célébration du centenaire de Rimbaud échoue lorsque les surréalistes refusent la « phraséologie marxiste » proposée par les lettristes dans le tract commun. Breton est alors pris à partie par Gil Joseph Wolman et Guy Debord qui soulignent dans un texte sur le mode allégorique sa perte de vitesse au sein du mouvement. De 1953 à 1957 il dirige, pour le Club français du livre, la publication des 5 volumes de Formes de l'Art, dont il rédige lui-même le premier tome : L'Art magique. Il manifeste son intérêt pour l'art naïf par sa rencontre avec le peintre Ferdinand Desnos qui peint son portrait en 1954.


En 1960, il signe le « Manifeste des 121 », déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie. Parallèlement, il s'engage dans la défense du droit à l'objection de conscience, entre autres en parrainant le comité créé par Louis Lecoin, aux côtés d'Albert Camus, Jean Cocteau, Jean Giono et l'abbé Pierre. Ce comité obtient un statut, restreint, en décembre 1963 pour les objecteurs.

En 1965, il organise la 9e Exposition internationale surréaliste intitulée L’Écart absolu en référence à l’utopie fouriériste.

Le 27 septembre 1966, souffrant d’une insuffisance respiratoire, André Breton est rapatrié de Saint-Cirq-Lapopie, le village du Lot dans lequel il avait acheté une maison en 1951. Il meurt le lendemain à l’hôpital Lariboisière à Paris.

Sur sa tombe, décorée simplement d'un octaèdre étoilé, au cimetière des Batignolles, à Paris (17e), est gravée l’épitaphe : « Je cherche l’or du temps. »

Commentaires

« Un théoricien amoureux de la théorie »

« Il y a à la base de toute réflexion profonde un sentiment si parfait de notre dénuement que l’optimisme ne saurait y présider... Je me crois sensible autant qu’il se peut à un rayon de soleil mais cela n’empêche pas de constater que mon pouvoir est insignifiant... Je rends justice à l’art en mon for intérieur mais je me défie des causes en apparence les plus nobles »

Visage décidé, menton en avant, le coin de la lèvre inférieure affaissé à cause de la pipe, chevelure léonine tirée en arrière, le regard fixant l’invisible, André Breton a incarné le surréalisme cinquante ans durant, malgré lui et en dépit du rejet des institutions et des honneurs constamment exprimés.

Toute sa vie, Breton a tenté d’emprunter d’un même front, trois chemins : la poésie, l’amour, la liberté.

Très tôt, il s’est méfié des romans et leurs auteurs lui donnent l’impression qu’ils s’amusent à ses dépens. De manière générale, il rejette « l’esprit français » fait de blasement, d’atonie profonde qui se dissimule sous le masque de la légèreté, de la suffisance, du sens commun le plus éculé se prenant pour le bon sens, du scepticisme non éclairé, de la roublardise. « Avec Breton, le merveilleux remplace les exhibitions nihilistes et l'irrationnel ouvre les portes étroites du réel sans vrai retour au symbolisme », Hubert Haddad.

Pour abolir les conformismes et les préjugés, combattre le rationalisme, Breton usera de la poésie comme d’une arme aux multiples facettes que sont l’imagination, « qui fait à elle seule les choses réelles », l’émerveillement, les récits de rêves et les surprises du hasard, l’écriture automatique, les raccourcis de la métaphore et l’image. « Que font la poésie et l’art ? Ils vantent. L’objet de la réclame est aussi de vanter. La puissance de la réclame est bien supérieure à celle de la poésie [...] La poésie a toujours été regardée comme une fin. J’en fais un moyen. C’est la mort de l’art (de l’art pour l’art). Les autres arts suivent la poésie. »

Il s’agit de « retrouver le secret d’un langage dont les éléments cessassent de se comporter en épaves à la surface d’une mer morte. »

Pour réussir son entreprise de subversion poétique Breton s’est gardé de tout travail quotidien alimentaire, allant jusqu’à défendre à ses amis les plus proches (Aragon, Desnos) de se commettre dans le journalisme. « La révélation du sens de sa propre vie ne s’obtient pas au prix du travail. [...] Rien ne sert d’être vivant, s’il faut qu’on travaille. »

Pour Breton, l’amour, comme le rêve, est une merveille où l’homme retrouve le contact avec les forces profondes. Amoureux de l’amour et de LA Femme, il dénonce la société pour avoir trop souvent fait des relations de l’homme et de la femme une malédiction d’où serait née l’idée mystique de l’amour unique. L’amour « ouvre les portes du monde où, par définition, il ne saurait plus être question de mal, de chute ou de péché ». « Il n’est pas de solution hors l’amour. »

« Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour. Un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie et l’on ne comprend rien à ses haines, si l’on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe », Marcel Duchamp.

Particulièrement attaché à la métaphore de la « maison de verre », Breton s’est livré dans les « Vases Communicants » à une analyse de quelques-uns de ses rêves comme s'il n'existait aucune frontière entre le conscient et l'inconscient. Pour lui, le rêve est l'émanation de ses pulsions profondes qui lui indique une solution que le recours à l’activité consciente ne peut lui apporter.

Les adversaires de Breton l’ont nommé, par dérision parfois, avec véhémence souvent, le « pape du surréalisme ». Or, si l’auteur des Manifestes a constamment influé sur la ligne directrice du mouvement, il s'est toujours gardé d'apparaître comme un « chef de file », même s'il a pu se montrer intransigeant, voire intolérant, lorsqu’il considérait que l’intégrité du mouvement surréaliste était en péril. Toute idée de contrainte, militaire, cléricale ou sociale, a toujours suscité en lui une révolte profonde.

Présentant ce qu’ont toujours été ses objectifs, Breton écrit : « La vraie vie est absente », disait déjà Rimbaud. Ce sera l’instant à ne pas laisser passer pour la reconquérir. Dans tous les domaines, je pense qu’il faudra apporter à cette recherche toute l’audace dont l’homme est capable. » Et Breton ajoute quelques mots d’ordre :

« Foi persistante dans l’automatisme comme sonde, espoir persistant dans la « dialectique » (celle d’Héraclite, de Maître Eckhart, de Hegel) pour la résolution des antinomies qui accablent l’homme, reconnaissance du « hasard objectif » comme indice de réconciliation possible des fins de la nature et des fins de l’homme aux yeux de ce dernier, volonté d’incorporation permanente à l’appareil psychique de l’ «humour noir » qui, à une certaine température peut seul jouer le rôle de soupape, préparation d’ordre pratique à une intervention sur la vie mythique, qui prenne d’abord, sur la plus grande échelle, figure de nettoyage. »

— La Clé des champs

Ce que Breton réhabilite sous le nom de « hasard objectif », c’est la vieille croyance en la rencontre entre le désir humain et les forces mystérieuses qui agissent en vue de sa réalisation. Mais cette notion est dépourvue à ses yeux de tout fondement mystique. Il se base sur ses expériences personnelles de « synchronicités » et sur les expérimentations en métapsychique qu’il a observées à l’Institut métapsychique international.

Pour souligner son accord avec le matérialisme dialectique, il cite Friedrich Engels : « La causalité ne peut être comprise qu’en liaison avec la catégorie du hasard objectif, forme de manifestation de la nécessité. » Dans ses œuvres, le poète analyse longuement les phénomènes de hasard objectif dont il a été le bénéficiaire bouleversé. Nadja semble posséder un pouvoir médiumnique qui lui permet de prédire certains événements. Ainsi annonce-t-elle que telle fenêtre va s’éclairer d’une lumière rouge, ce qui se produit presque immédiatement aux yeux d’un Breton émerveillé. Michel Zéraffa a tenté de résumer ainsi la théorie de Breton : « Le cosmos est un cryptogramme qui contient un décrypteur : l’homme. » Ainsi mesure-t-on l’évolution de l’Art poétique du symbolisme au surréalisme, de Gérard de Nerval et Charles Baudelaire à Breton.

L'« humour noir », expression dont le sens moderne a été construit par Breton, est un des ressorts essentiels du surréalisme. La négation du principe de réalité qu’il comporte en est le fondement même. Selon Étienne-Alain Hubert « l'humour, loin d'être un exercice brillant, engage des zones profondes de l'être et [...] dans les formes les plus authentiques et les plus neuves qu'il connaît alors, il se profile sur un arrière-fond de désespoir. » 70. Il publie en 1940 une Anthologie de l'humour noir. Pour Michel Carrouges il faut parler, à propos de l'œuvre de Breton comme de celle de Benjamin Péret, d’une « synthèse de l’imitation de la nature sous ses formes accidentelles, d’une part, et de l’humour, d’autre part, en tant que triomphe paradoxal du principe de plaisir sur les conditions réelles. »[citation nécessaire]

Œuvres

Les œuvres complètes d’André Breton ont été publiées par Gallimard en quatre tomes dans la Bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Marguerite Bonnet, pour les deux premiers tomes, et Étienne-Alain Hubert, pour les deux tomes suivants (1988). (OCLC 20526303)

Revue : La Bréche, Action surréaliste, dir. André Breton, Éric Losfeld, de 1961 à 1967 (n° 1 à 8).

Poésie et récits

  • 1919 : Mont de piété (1913-1919), avec deux dessins d'André Derain, Paris, éditions Au sans pareil, coll. Littérature
  • 1920 : Les Champs magnétiques, avec Philippe Soupault, écrits en 1919
  • 1923 : Clair de terre,
  • 1924 :
    • Les Pas perdus
    • Poisson soluble
  • 1928: Nadja ; réédition 1963
  • 1929 : Le Trésor des jésuites, en collaboration avec Louis Aragon
  • 1930 :
  • 1931 : L'Union libre
  • 1932 :
    • Le Revolver à cheveux blancs
    • Les Vases communicants
  • 1934 :
    • L'Air de l'eau
    • Point du jour
  • 1936 : Au lavoir noir
  • 1937 :
  • 1940 : Fata morgana
  • 1943 : Pleine marge
  • 1944-1947 : Arcane 17
  • 1946 : Young cherry trees secured against hares
  • 1947 : Signe ascendant
  • 1948 :
    • Martinique, charmeuse de serpents, avec des dessins d'André Masson
    • La Lampe dans l'horloge
  • 1949 : Au regard des divinités
  • 1954 : Adieu ne plaise
  • 1959 : Constellations, 22 textes en écho à 22 gouaches de Joan Miró
  • 1961 : Le La

Essais

  • 1924 : Manifeste du surréalisme ; augmenté de la Lettre aux voyantes, 1929
  • 1926 : Légitime défense
  • 1928 : Le Surréalisme et la Peinture ; dernière édition revue et augmentée de 1965
  • 1930 : Second manifeste du Surréalisme
  • 1932 : Misère de la poésie
  • 1934 : Qu'est-ce que le surréalisme ?
  • 1935 : Position politique du surréalisme
  • 1936 : Notes sur la poésie, en collaboration avec Paul Éluard
  • 1938 :
  • 1940 : Anthologie de l'humour noir ; édition augmentée 1950
  • 1945 : Situation du surréalisme entre les deux guerres
  • 1946 : Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non, précédé d'une réédition des deux Manifestes
  • 1947 :
  • 1949 : Flagrant délit
  • 1952 : Entretiens avec André Parinaud, retranscriptions d'entretiens radiodiffusés
  • 1953 : La Clé des champs, recueil d'essais publiés entre 1936 et 1952
  • 1954 : Du surréalisme en ses œuvres vives
  • 1957 : L’Art magique, en collaboration avec Gérard Legrand, rééditions 1992 et 2003

Correspondance

L'intégralité de la correspondance d'André Breton, conformément à ses dispositions testamentaires, sera accessible en septembre 2016.

Surréalisme

Le surréalisme est un mouvement littéraire, culturel et artistique du XXe siècle, comprenant l’ensemble des procédés de création et d’expression utilisant toutes les forces psychiques (automatisme, rêve, inconscient) libérées du contrôle de la raison et en lutte contre les valeurs reçues. En 1924, André Breton le définit dans le premier Manifeste du surréalisme comme un « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale [...] ».

Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie (XXe siècle).

Histoire


Dans le courant du XIXe siècle, le « super naturalisme » de Gérard de Nerval, le « surnaturalisme » d'Emanuel Swedenborg et aussi le symbolisme de Charles Baudelaire et de Stéphane Mallarmé et, enfin surtout, le romantisme allemand de Jean Paul (dont les rêves annoncent l'écriture automatique) et d'Hoffmann peuvent être considérés comme des mouvements précurseurs du surréalisme. Plus proches, les œuvres littéraires d'Alfred Jarry, d'Arthur Rimbaud et de Lautréamont, et picturales de Gustave Moreau et Odilon Redon sont les sources séminales dans lesquelles puiseront les premiers surréalistes (Louis Aragon, André Breton, Paul Éluard, Philippe Soupault, Pierre Reverdy). Quant aux premières œuvres plastiques, elles poursuivent les inventions du cubisme.

À partir de 1917, et du ballet Parade, Cocteau et Apollinaire réfléchissent sur ce qu'ils ressentent être un esprit nouveau. Apollinaire reprend les Mamelles de Tirésias, qu'il avait rédigé en 1903, pour y ajouter des éléments qui lui semblent découler tout naturellement des sensibilités de l'époque : tout un peuple représenté par une seule personne, un kiosque à journaux parlant, ou diverses provocations. Ce courant, se nourrissant de la période Dada, trouve une nouvelle concrétisation avec la pièce Les Mariés de la Tour Eiffel, en 1921. Pour cette pièce, Cocteau, à une musique bruitiste, préfère un amalgame de music-hall et d'absurde, poussant autant que possible la pataphysique de Jarry. À partir de là, débordant Dada, mais nourris par ce mouvement, les artistes recherchent des idées nouvelles.

Après avoir été séduit par Dada, les surréalistes s'inscrivent en rupture par rapport à ce mouvement : ils considéraient que le surréalisme susciterait l'arrivée de nouvelles valeurs, ce que n'acceptaient pas les dadaïstes. Dada, absolu dans sa dénonciation, ne survit pas à une querelle relative à l'engagement suscitée par la Révolution soviétique et le risque d'une nouvelle guerre, et en 1924 naît le surréalisme avec la publication du premier Manifeste du surréalisme d'André Breton, soucieux d'agir sur la société, sinon l'individu, sans tomber dans l'embrigadement. Dali affirme d'ailleurs être sûr que le surréalisme « changerait le monde. » Étant lui-même adepte de ce mouvement, il s'y investit comme un devoir.

Cette aventure (« une attitude inexorable de sédition et de défi ») passe par l'appropriation de la pensée du poète Arthur Rimbaud (« changer la vie »), de celle du philosophe Karl Marx (« transformer le monde ») et des recherches de Sigmund Freud : Breton s'est passionné pour les idées de Freud qu'il a découvertes dans les ouvrages des Français Emmanuel Régis et Angelo Hesnard en 1917. Il en a retiré la conviction du lien profond unissant le monde réel et le monde sensible des rêves, et d'une forme de continuité entre l'état de veille et l'état de sommeil (voir en particulier l'écriture automatique). Dans l'esprit de Breton, l'analogie entre le rêveur et le poète, présente chez Baudelaire, est dépassée. Il considère le surréalisme comme une recherche de l'union du réel et l'imaginaire : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue. »

En 1966, la mort du poète et chef de file va entraîner la fin du surréalisme; trois ans plus tard, Jean Schuster signa officiellement, dans le quotidien Le Monde, l’acte de décès du mouvement dans un article intitulé « Le Quatrième Chant ».

André Breton

Le poète et écrivain français André Breton (1896-1966) fut le principal fondateur du surréalisme, le seul artiste, avec Benjamin Péret, à avoir appartenu au mouvement depuis son origine et jusqu'à sa mort. En 1924, c'est lui qui pour la première fois décrit le surréalisme dans le premier Manifeste, puis, la même année, il contribue à la création du Bureau de la recherche surréaliste. Louis Aragon, Robert Desnos, Paul Éluard, René Magritte, Giorgio De Chirico, Philippe Soupault, Marcel Duchamp, Salvador Dalí et Jacques Prévert sont quelques-uns des plus connus de ses camarades écrivains, poètes, peintres, artistes en somme. Nombre d'entre eux vont également adhérer au Parti Communiste français pour soutenir leurs idées de révolution sociale : Breton rejoint le parti en 1927 et en est expulsé en 1933.

Étymologie

Le poète Arthur Rimbaud (1854-1891) voulait être un visionnaire, se mettre en état de percevoir la face cachée des choses, une autre réalité. C'est en poursuivant les tentatives de Rimbaud que Guillaume Apollinaire (1880-1918) part à la recherche de cette réalité invisible et mystérieuse. Le substantif « surréalisme » apparaît pour la première fois en mars 1917 dans une lettre de Guillaume Apollinaire à Paul Dermée : « Tout bien examiné, je crois en effet qu'il vaut mieux adopter surréalisme que surnaturalisme que j'avais d'abord employé ». Surréalisme n'existe pas encore dans les dictionnaires, et il sera plus commode à manier que surnaturalisme déjà employé par MM. les Philosophes. » C'est le poète Pierre Albert-Birot qui suggéra à Apollinaire de sous-titrer la pièce que celui-ci était en train d'achever, Les Mamelles de Tirésias, « drame surréaliste » plutôt que « surnaturaliste ».

Le concept est divulgué par la plaquette de présentation qu'Apollinaire est chargé par Serge Diaghilev de rédiger pour la première de Parade, ballet réaliste en un tableau le 18 mai 1917 au théâtre du Châtelet à Paris. Du spectacle total conçu par Jean Cocteau conjuguant « le premier orchestre d'Erik Satie, le premier décor de Pablo Picasso, les premières chorégraphies cubiste de Léonide Massine, et le premier essai pour un poète de s'exprimer sans paroles » où « la collaboration a été si étroite que le rôle de chacun épouse celui de l'autre sans empiéter sur lui », il explique :

« De cette alliance nouvelle, (...) il est résulté dans Parade, une sorte de sur-réalisme où je vois le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui, trouvant aujourd'hui l'occasion de se montrer, ne manquera pas de séduire l'élite et se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs dans l'allégresse universelle, car le bon sens veut qu'ils soient au moins à la hauteur des progrès scientifiques et industriels. Jean Cocteau appelle un ballet réaliste. Les décors et les costumes cubistes de Picasso témoignent du réalisme de son art. Ce réalisme, ou ce cubisme, comme on voudra, est ce qui a le plus profondément agité les arts durant les dix dernières années »

— G. Apollinaire, Parade et l'esprit nouveau, in Programme des Ballets russes, Paris, mai 1917.

Ainsi Apollinaire entend théoriser le sursaut poétique provoqué par la Première Guerre mondiale par lequel Jean Cocteau, comme quatre ans plus tard dans le spectacle des Mariés de la Tour Eiffel, dédouble la représentation « réaliste » du quotidien bourgeois du spectateur par celle de la fantaisie inhumaine et rêvée de personnages-machines. Dans ce manifeste se trouve déjà tout ce que ses détracteurs trouveront à reprocher au surréalisme : rupture avec tout traditionalisme, élitisme, modernité, c'est-à-dire progrès scientifique et, à l'instar des futuristes, industrialisme.

Dans une chronique de mai 1917 consacrée au même ballet, Apollinaire, admiratif des décors créés par Picasso, revient sur le concept d'« [...] une sorte de « sur-réalisme » où [il] voit le point de départ d'une série de manifestations de cet esprit nouveau qui [...] se promet de modifier de fond en comble les arts et les mœurs [...] Cette tâche « surréaliste » que Picasso a accomplie en peinture, [...] je m'efforce de l'accomplir dans les lettres et dans les âmes [...] »13. Dans une lettre du 16 juin 1917, adressée à Théodore Fraenkel, Jacques Vaché annonce la première des Mamelles de Tirésias pour le 24 : « [...] et j'espère être à Paris [...] pour la représentation surréaliste de Guillaume Apollinaire. »

Pour Gérard Durozoi, le mot surréalisme est « désormais [...] victime de sa fausse popularité : on n'hésite pas à qualifier de surréaliste le premier fait un peu bizarre ou inhabituel, sans davantage se soucier de rigueur. Le surréalisme [...] est pourtant exemplaire par sa cohérence et la constance de ses exigences. » Cependant, Alain et Odette Virmaux pensent que cette « évolution sémantique n'est pas du tout déviante » et qu'elle « reste en accord avec le mot [...] les surréalistes ayant « une prédilection pour l'humour noir et le «nonsense». »

Influence internationale

Le surréalisme connaît une fortune particulière dans la littérature francophone belge. Paul Nougé, dont la poésie présente un aspect ludique très marqué, fonde en 1924 un centre surréaliste à Bruxelles avec entre autres les poètes Camille Goemans, Marcel Lecomte. Un autre groupe important, « Rupture », se crée en 1932, à La Louvière, autour de la personnalité d'Achille Chavée.

Le surréalisme belge prend ses distances à l'égard de l'écriture automatique et de l'engagement politique du groupe parisien. L'écrivain et collagiste E. L. T. Mesens fut l'ami de René Magritte, les poètes Paul Colinet, Louis Scutenaire et André Souris et plus tard Marcel Mariën appartiennent également à ce courant. La francophonie d'outre-mer trouvera notamment en Jean Venturini, poète franco-marocain révolté et rimbaldien, un porte-parole original et indépendant, mort trop tôt pour donner sa pleine mesure, et auquel le poète Max-Pol Fouchet rendra un hommage fort8.

Le surréalisme exercera une action stimulante sur le développement de la poésie espagnole, mais à la fin des années 1920 seulement et en dépit de la méfiance suscitée par l'irrationalisme inhérent à la notion d'écriture automatique. Ramón Gómez de la Serna définit ses rapprochements insolites, « greguerias », comme « humour + métaphore ». Le courant « ultraïste » déterminera un changement de ton chez les poètes de la « Génération de 27 », Federico García Lorca, Rafael Alberti, Vicente Aleixandre et Luis Cernuda. Les principes surréalistes se retrouvent en Scandinavie et en URSS. Le « poétisme » tchèque peut être considéré comme une première phase du surréalisme. Il s'affirme dès 1924 avec un manifeste publié par Karel Teige, qui conçoit la poésie comme une création intégrale, donnant libre cours à l'imagination et au sens ludique. Ses représentants les plus éminents furent Jaroslav Seifert et surtout Vítězslav Nezval, dont Soupault souligna l'audace des images et symboles. Le mouvement surréaliste yougoslave entretient d'étroits contacts avec le courant français grâce à Marko Ristić.

En dépit d'une perte de prestige à partir de 1940, le surréalisme a existé comme groupe jusqu'aux années 1960, en se renouvelant au fur et à mesure des départs et des exclusions. Le surréalisme fut également revendiqué comme source d'inspiration par l'Alternative orange, un groupe artistique d'opposition polonais, dont le fondateur, le Major (Commandant) Waldemar Fydrych, avait proclamé Le Manifeste du Surréalisme Socialiste. Ce groupe, qui organisait des happenings, peignait des graffiti absurdes en forme de lutins sur les murs des villes et était un des éléments les plus pittoresques de l’opposition polonaise au communisme, utilisait largement l’esthétique surréaliste dans sa terminologie et dans la place donnée à l’acte spontané.
Parmi les grands noms du surréalisme japonais, nous trouvons entre autres Junzaburō Nishiwaki (1894 - 1982), Shūzō Takiguchi (1903 - 1979), Katsue Kitazono (1902 - 1978). Parmi les peintres peuvent être cités Harue Koga (1895 - 1933), Ichirô Fukuzawa (1898 - 1992), Noboru Kitawaki (1901 - 1951), ou encore le photographe et poète Kansuke Yamamoto (1914 - 1987). Quant aux romanciers, les œuvres les plus marquantes nous ont été laissées par Kōbō Abe (1924 - 1993). Concernant les mangas, une brèche fut ouverte à la possibilité d'emploi de tournures surréalistes avec l'œuvre Nejishiki(ねじ式) de Yoshiharu Tsuge (publiée dans le numéro de juin du magazine Garo en 1968), puis le secteur put obtenir un appui écrasant de la génération du Zenkyôtô (équivalent de mai 68) sous l'influence considérable d'artistes et de nombreux intellectuels non initiés à ce type d'œuvre. Le surréalisme japonais ne s'inscrit pas dans la continuité du dadaïsme. Au Japon, la quasi-totalité des écrivains appartenant au mouvement dadaïste (groupe d'écrivains faisant partie du MAVO) ne sont pas devenus surréalistes, et inversement, la plupart des surréalistes japonais n'œuvrent pas en tant que dadaïstes.

Il appartenait à l'écrivain majeur de la Bolivie au XXe siècle, Jaime Sáenz, de porter le flambeau du surréalisme en Amérique latine, plus d'ailleurs en héritier libre et indépendant qu'en sectateur fanatique.

Techniques d'écriture surréalistes

Les surréalistes cherchent à libérer l'inconscient. Pour ce faire, ils utilisent les diverses techniques ci-dessous.

L'écriture automatique est un mode d'écriture cherchant à échapper aux contraintes de la logique, elle laisse s'exprimer la voix intérieure inconsciente, dévie l'inconscient de la pensée. Il s'agit d'écrire ce qui vient à l'esprit, sans se préoccuper du sens. Par l'écriture automatique, les surréalistes ont voulu donner une voix aux désirs profonds, refoulés par la société. L'objet surréaliste ainsi obtenu a d'abord pour effet de déconcerter l'esprit, donc de « le mettre en son tort ». Peut se produire alors la résurgence des forces profondes : l'esprit « revit avec exaltation la meilleure part de son enfance ». On saisit de tout son être la liaison qui unit les objets les plus opposés, l'image surréaliste authentiquement est un symbole. Approfondissant la pensée de Baudelaire, André Breton compare, dans Arcane 17, la démarche du surréalisme et celle de l'ésotérisme : elle offre « l'immense intérêt de maintenir à l'état dynamique le système de comparaison, ce champ illimité, dont dispose l'homme, qui lui livre les rapports susceptibles de relier les objets en apparence les plus éloignés et lui découvre partiellement le symbolisme universel. »

Les récits et les analyses de rêves consistent à décrire ses rêves et à trouver le « fil conducteur » qui les relie à la réalité. Des jeux d'écriture collectifs faisant intervenir le hasard sont également pratiqués ; le cadavre exquis en est un. Dans ce jeu, tous les participants écrivent tour à tour une partie de phrase sur une feuille sans connaître ce que les personnes précédentes ont marqué. L'ordre syntaxique nom-adjectif-verbe-COD-adjectif doit être respecté : on obtient ainsi une phrase grammaticalement correcte. Le nom de « cadavre exquis » vient de la première phrase obtenue de cette manière : « Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau ». Enfin, pendant les séances de sommeil hypnotique, les participants notent leurs délires et hallucinations parfois provoqués par prise de drogues ou d'alcool.

À l'opposée des techniques automatiques, se trouve la méthode paranoïaque-critique, « une méthode spontanée de connaissance irrationnelle, basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes ». Patrice Schmitt, à propos d'une rencontre entre Dalí et Lacan, nota que « la paranoïa selon Dalí est aux antipodes de l'hallucination par son caractère actif ». Elle est à la fois méthodique et critique. Elle a un sens précis et une dimension phénoménologique et s'oppose à l'automatique, dont l'exemple le plus connu est le cadavre exquis. Faisant le parallèle avec les théories de Lacan, il conclut que le phénomène paranoïaque est de type pseudo-hallucinatoire. Les techniques d'images doubles sur lesquelles Dalí travaillait depuis Cadaqués (l'Homme invisible, 1929) étaient particulièrement propres à révéler le fait paranoïaque

Changements humain et sociétal

Le mouvement Dada était antibourgeois, antinationaliste et provocateur. Les surréalistes continuèrent sur cette lancée subversive. « Nous n'acceptons pas les lois de l'Économie ou de l'Échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du Travail, et dans un domaine encore plus large nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. » (tract La Révolution d'abord et toujours). Ces principes débouchent sur l'engagement politique : certains écrivains surréalistes adhèrent, temporairement, au Parti communiste français. Aucun parti cependant ne répondait exactement aux aspirations des surréalistes, ce qui fut à l'origine de tensions avec le Parti communiste français. André Breton n'a pas de mots assez forts pour flétrir « l'ignoble mot d'engagement qui sue une servilité dont la poésie et l'art ont horreur. » Dès 1930, pourtant, Louis Aragon acceptait de soumettre son activité littéraire « à la discipline et au contrôle du parti communiste ». La guerre fit que Tristan Tzara et Paul Éluard le suivirent dans cette voie. Condamnation de l'exploitation de l'Homme par l'Homme, du militarisme, de l'oppression coloniale, des prêtres pour leur œuvre qu'ils jugent obscurantiste, et bientôt du nazisme, volonté d'une révolution sociale ; et plus tard, enfin, dénonciation du totalitarisme de l'Union soviétique, tels sont les thèmes d'une lutte que, de la guerre du Maroc à la guerre d'Algérie, les surréalistes ont menée inlassablement. Ils ont tenté la synthèse du matérialisme historique et de l'occultisme, en se situant au carrefour de l'anarchisme, et du marxisme, fermement opposés à tous les fascismes et aux religions.

Personnalités

La Biographie succincte des personnalités de la constellation surréaliste22 propose un recensement des artistes et intellectuels qui ont gravité autour du mouvement surréaliste, les conditions de leur participation et éventuellement celles de leur départ ou éloignement.

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