Écrit en 1910, Si le coup de force est possible est un manifeste pour un
coup d’État : une insurrection suivie d'une prise de pouvoir. Il ne
s'agit nullement d'un texte secret : il fut publié dans une brochure et
eut un certain retentissement. Ce texte est la déclaration ouverte d'une
volonté de changer radicalement le gouvernement de la France et la
destinée du pays.
Pour cela, Maurras et ses compagnons entendent procéder en deux temps.
Avant toute chose, ces esprits éclairés savent qu'un « coup » n'a aucune
chance de réussir et de perdurer s'il va à l'encontre de la réalité. La
réalité, c'est avant tout la configuration précise du pouvoir en place
et des événements que celui-ci doit gérer au quotidien. Si le coup de
force est possible commence ainsi par une brève analyse de ce qui fut
tenté au XIXe siècle, notamment en 1848, et des circonstances qui ont
rendu le succès possible. Le constat dressé se veut en rupture avec le
romantisme militant qui fait s'élancer les cœurs mais tue dans l’œuf
toute tentative réelle de coup : une insurrection ne peut être suivie
d'une prise de pouvoir que si les circonstances sont réunies, au premier
rang desquelles figure l'affaiblissement du sentiment républicain. Les
auteurs veulent regarder la réalité en face, et celle-ci leur dit qu'en
1910, n'en déplaise aux idéalistes de la France éternellement royaliste,
les Français sont en majorité républicains, et ce non pas au fond
d'eux, mais parce qu'ils sont habitués à la République. La première
ambition des hommes de l'Action française est donc de préparer le coup
d’État en changeant l'état d'esprit du peuple. Il faut que la population
non seulement accepte le coup s'il a lieu, mais, mieux encore, en
vienne à le souhaiter.
C'est grâce à cette première action diffuse et profonde que le coup de
force en lui-même, second temps de l'action, devient possible. Les
auteurs de ce manifeste justifient donc l'usage de la force comme moyen
pour des hommes d'élite de doter enfin la France du gouvernement qu'elle
mérite et désire profondément – la monarchie. Cet usage de la force est
conditionné : pour réussir un coup, il faut une occasion. En analysant
ce qui s'est fait par le passé et ce qui pourrait se faire à Paris,
centre du pouvoir, en 1910, Maurras et Dutrait-Crozon tirent notamment
une conclusion riche d'enseignement : sans le concours de l'armée ou, au
moins, de certains de ses généraux et pièces maîtresses, le coup semble
voué à l'échec.
Au final, Si le coup de force est possible peut être lu pour deux
raisons au moins : d'une part, assurément, pour ranimer la flamme du
militantisme politique ; et, avant cela, peut-être surtout aujourd'hui
pour comprendre comment fonctionnent les coups d’État réels. Préparer
les états d'esprit, affaiblir l'adhésion de la population à la vision du
monde de l'ennemi, s'assurer le contrôle de l'armée, saisir
l'occasion : autant de principes invariables en effet, qui peuvent
éclairer autant les changements de régime printaniers que certains
échecs patents d'attaques d’États souverains par des puissances
étrangères sous couvert de « révolutions »...
Charles Maurras (1868-1952), journaliste et homme politique nationaliste
français, fut l'un des dirigeants principaux de l'Action française,
mouvement politique radicalement opposé à la Troisième République et
prônant le retour à la monarchie. Henri Dutrait-Crozon est le pseudonyme
choisi par deux officiers polytechniciens militants de l'Action
française : Georges Larpent et Frédéric Delebecque.
Editions KontreKulture, 101 pages.