Dehors la pluie avait forci, le vent s y vautrait maintenant. L
oreille d un musicien aurait pu y entendre vibrer la cloche de bronze de
la Capitainerie, celle qui veillait au bout du mole sur les noms des
disparus. Joseph s arrêtait devant chaque fois qu il passait sur le
quai. Dans les premiers temps il avait attribué au hasard ces promenades
qui le ramenaient sans férir à la cloche et à tous ces noms d inconnus,
puis il avait tenté de croire qu il venait là pour voir sortir les
ferries qui partaient vers l Irlande, vers Aran, vers où il n irait pas,
n irait plus. Un soir il avait entrepris d apprendre par c ur la liste
de ces noms sans visage, dissous dans les flots, avec l espoir vain de
les sauvegarder, les protéger de l érosion. Il commença de les prononcer
d une voix sourde comme pour protéger cette intimité naissante entre
ces hommes et lui. Joseph les appelant, les voyait tous, leur dessinait
des traits qui reflétaient selon lui la musicalité de leurs patronymes,
leurs caractères se faisaient aussi au fil des rencontres.
Jean-Claude Tardif est né en 1963 à Rennes dans une famille
ouvrière. Il vit actuellement dans le pays de Caux, à Epouville près du
Havre. Poète, nouvelliste, auteur de récits, il anime «Les Rencontres du
Livre à Dire » à Montivilliers et dirige la revue «A l'Index ».