P.L. Jacob, bibliophile. (Paul Lacroix) ; Cubières Palmezeaux 


Bibliographie et iconographie de tous les ouvrages de Restif de La Bretonne 

comprenant la description raisonnée des éditions originales des réimpressions, des contrefaçons, des traductions, des imitations, etc. 

Y compris le détail des estampes et la notice sur la vie et les ouvrages de l'auteur par son ami Cubières Palmézeaux avec des notes historiques, critiques et littéraires 


Paris
Auguste Fontaine
1875

XV-510 pages 
portrait
in 8 gd format

TIRAGE À 500 EXEMPLAIRES SUR HOLLANDE 
CELUI-CI N° 432

COUVERTURE PAPIER DÉTACHÉE DU CORPS DU VOLUME 

INTÉRIEUR TOTALEMENT NEUF 

UNE SOMME ! 




Nicolas Edme Restif (/ʁe.tif/1), dit Restif de La Bretonne, également épelé Rétif et de La Bretone2, est un écrivain français né le  à Sacy et mort le  à Paris.

Fils d'un laboureur de l'Yonne3, il emménage avec sa famille lorsqu'il a huit ans dans la métairie de La Bretonne4, située dans le même village de Sacy. Devenu ouvrier typographe à Auxerre et Dijon, Nicolas Restif de La Bretonne s'installe à Paris en 1761 : c'est alors qu'il commence à écrire. Sa vie personnelle est compliquée et il joue sans doute le rôle d'indicateur de police. Par son métier dans l'imprimerie, il rencontre des écrivains comme BeaumarchaisLouis-Sébastien MercierGrimod de La Reynière ou Cazotte.

Graphomane, il fait paraître de très nombreux ouvrages touchant à des genres divers, du roman licencieux, comme L'Anti-Justine, ou les Délices de l'amour, au témoignage sur Paris et la Révolution avec Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne (1788-1794, 8 volumes), en passant par la biographie, avec La Vie de mon père en 1779, œuvre dans laquelle il brosse un tableau idyllique du monde paysan avant la Révolution à travers la représentation élogieuse de son père. Il a également écrit des pièces de théâtre qui n'ont jamais été jouées. Perpétuellement à court d'argent – il mourut dans la misère –, il écrit aussi de nombreux textes pour réformer la marche du monde.

L'œuvre maîtresse de Restif de la Bretonne est Monsieur Nicolas, une vaste autobiographie en huit volumes, échelonnés entre 1794 et 1797. Ce livre fleuve se présente comme la reconstruction d'une existence et expose les tourments personnels de l'auteur et narrateur, comme à propos de la paternité — le titre complet est Monsieur Nicolas, ou le Cœur humain dévoilé — ; mais il témoigne aussi de son temps et constitue une source très abondante de renseignements sur la vie rurale et sur le monde des imprimeurs au xviiie siècle.


Né le  à Sacy, dans une maison actuellement située 115 Grande Rue, Nicolas Edme Restif est le fils aîné d’Edme Rétif, lieutenant du bailliage de Sacy, et de Barbe Ferletnote 1. Le couple a huit autres enfants, en particulier Marie-Geneviève, née le , et Pierre, né le , qui prendra la succession de son père à la ferme. Riche laboureur, Edme achète la maison et le domaine de La Bretonne, à l’est de Sacy, le  ; la famille s’y installe en 17425.


Mis en pension chez sa demi-sœur Anne à Vermenton en , le jeune Nicolas va ensuite à Joux, chez le maître d'école Christophe Berthier, en octobre. Le , il part pour Bicêtre, où, sous l’autorité de son demi-frère Thomas, un clerc tonsuré, il est élève à l’école des enfants de chœur de l’hôpital. Obligés de quitter Bicêtre dans le cadre de la lutte du nouvel archevêque de ParisChristophe de Beaumont, contre le jansénisme, les deux frères regagnent Auxerre le . À la fin du mois, Nicolas est à Courgis chez son demi-frère et parrain, curé du village. Là, il tombe amoureux en secret, en 1748, d'une fille de notaire, Jeannette Rousseau, qu'il songera longtemps à épouser, y compris après son divorce, alors qu'elle est déjà morte. Il commence, en 1749, à tenir ses cahiers, ou Memoranda, où il rédige ses premiers essais poétiques et deux actes d’une comédie latine en prose imitée de Térence6,7.

Renvoyé par son demi-frère en  pour son insoumission et parce qu'il s'intéresse trop aux jeunes filles, il rentre à Sacy, où il se consacre pendant dix-huit mois aux travaux des champs8,7.

De santé très délicate, Restif est destiné à l’origine à entrer dans l’Église. Mais il semble qu’il soit plutôt un coureur de jupons, ce qui le fait renoncer à la prêtrise.

D’abord berger dans son village, le  il est envoyé par ses parents travailler comme apprenti typographe à Auxerre chez l’imprimeur François Fournier. Il tombe amoureux de l’épouse de son patron, Marguerite Collet, née en 1724, passée dans son œuvre sous le nom de « Collette Parangon » et il se lie d'amitié avec Louis-Timothée Loiseau, arrivé en apprentissage le . Devenu ouvrier typographe, il se rend à Paris en 1755, où il devient compagnon-imprimeur et entre à l'Imprimerie royale du Louvre le . Rejoint par Loiseau en , il travaille ensuite chez l'imprimeur Hérissant, rue Notre-Dame, et prend pension chez Bonne Sellier, rue Galande. En 1757, il se fait embaucher chez André Knapen, imprimeur d'affiches, de mémoires d'avocats et de pamphlets et s'installe dans une mansarde, rue Sainte-Anne-du-Palais7.

Il a prétendu s'être marié en  avec une jeune Anglaise, Henriette Kircher, désireuse d'acquérir la nationalité française dans le cadre d'un épineux procès d'héritage. Derrière ce conte, selon Daniel Baruch, se cacherait une affaire d'espionnage. L’Irlandais Théobald Taaffe, agent de Choiseul, l'aurait engagé après l'attentat de Damiens contre Louis XV dans le cadre de la répression qui frappe les milieux des libraires et des imprimeurs dans les années 1757-1759, et dans le cadre des luttes anti-jansénistes, afin qu'il dénonce les imprimeries clandestines à l'origine de placards hostiles au gouvernement9.

Quoi qu'il en soit, il quitte Paris pour Dijon, avant de retourner chez Fournier, à Auxerre7. Le , il se marie à Auxerre avec Agnès Lebèguenote 2, avec laquelle il a quatre filles, Agnès, Marie, Élisabeth, dite Élise ou Babiche, et Marie-Anne, dite Marionnote 3. En , le couple s’installe à Paris, où Restif travaille dans diverses imprimeries jusqu'en 1767. Son père meurt le , à l'âge de 73 ans. Après cet événement, les Restif se rendent à Sacy, où son frère Pierre a succédé à Edme et où Marion voit le jour. Laissant là sa femme et sa fille, Restif retourne peu après à Paris, où il travaille chez Quillau en qualité de prote. Le couple se retrouve en 1765 et s'installe rue de la Harpe, avec leur aînée, Agnès. La même année, Restif se lie à Pierre-Jean-Baptiste Nougaret lors de l'impression de Lucette ou les Progrès du libertinage, roman de ce dernier paru chez Quillau, dans l'espoir, d'une part, qu'il puisse utiliser son entregent d'écrivain déjà publié pour l'aider à faire éditer un premier roman, La Famille vertueuse, et, d'autre part, qu'il l'aide ensuite à apporter les corrections nécessaires à sa publication. Toutefois, cette collaboration initiale tourne rapidement à la rivalité littéraire, dans la mesure où les deux auteurs exploitent le même filon – la corruption des vertus campagnardes au contact de la vie urbaine puis, dans les années 1780, les historiettes parisiennes10,7.

Doué d’une imagination vive et souvent extravagante, d’un esprit observateur et, en même temps, d’un tempérament qui le porte à une vie de désordres sans frein, Restif étudie de près les mœurs populaires qu'il reproduit plus tard dans les plus grands détails, quand, dans les années 1760, il se met à écrire.


En 1767, Restif publie sa première œuvre importante, la Famille vertueuse, et abandonne son métier. Cette première œuvre est suivie, entre autres, du Pied de Fanchette (1769), qui célèbre le fantasme du pied féminin11 ; du Paysan perverti (1775), qui contribue à le faire connaître ; de La Vie de mon père (1778) ; des Contemporaines (1780) qui le rend célèbre ; de la Paysanne pervertie (1784)note 4les Parisiennes (1787), Ingénue Saxancourt (1789) et Anti-Justine (1793). À partir du Quadragénaire (1777), ses œuvres sont accompagnées d'illustrations12, afin de combattre les contrefaçons.

Par ailleurs, encore en 1767, selon plusieurs biographes, ses activités d'espion cessent de concerner le milieu de l'imprimerie ; il devient « mouche », ou indicateur, de police, ce qu’il serait resté jusqu’en 178913.

Enfin, Agnès Lebègue vend en 1767 des étoffes dans la région parisienne. À partir de 1768, Restif et sa femme vivent de moins en moins ensemble. Après la mort de sa mère à l'âge de 68 ans le , Restif vend sa part de patrimoine à son frère Pierre en 1773, tandis que sa fille Agnès est placée chez une marchande de modes, voisine de la « tante Bizet », demi-sœur de l'écrivain, et qu'Agnès Lebègue part en province avec Marion7.

Installé en 1776 au 44, rue de Bièvrenote 5, chez Mme Debée, dans un logement que lui laisse sa femme, il y rencontre en 1780 la jeune Sara, fille de sa logeuse, qui lui inspire notamment La Dernière Aventure d'un homme de quarante-cinq ans (1783). En 1778, Agnès revient vivre auprès de son père, tandis que Marion est placée jusqu'en 1783. Au début de 1779, Restif rencontre Beaumarchais, qui lui aurait proposé la direction, en qualité de prote, de l'impression des œuvres de Voltaire à Kehl. Entre 1785 et 1791, les deux hommes entretiennent des relations aussi étroites que peu connues – marquées, du côté de Restif, plus par l'admiration et, du côté de Beaumarchais, plus par une cordiale affection –, et qui sont peut-être liées à la succession du duc de Choiseul[Lequel ?], l'homme d'affaires étant le principal syndic des créanciers7,14. Ces relations reprennent à partir de 1796, après le règlement de l'affaire des fusils de Hollande et le retour en France de Beaumarchais15.

En 1781, comme il parcourt les rues de Paris et de l’île Saint-Louis, la nuit, se surnommant lui-même « le hibou », il commence à écrire sur les ponts et les murs. Après le mariage, le , d'Agnès Restif avec Charles-Marie Augé, un fils, baptisé Jean-Nicolas, voit le jour le . Cependant, Restif quitte Sara et la rue de Bièvre, et s'installe 10, rue des Bernardins, où sa fille Marion vient le rejoindre le . Puis, le , après une première fugue le , Agnès fuit le domicile conjugal et vient, elle aussi, s'installer chez son père. Peu après, le , Restif et sa femme se séparent définitivement7.

En 1782, il entre en relation avec Grimod de La Reynière (dont il fait le héros-narrateur du Palais-Royal sous le nom d'Aquilin des Escopettes) et, en septembre, avec Louis-Sébastien Mercier, qui a fait son éloge dans le Tableau de Paris, et avec lequel il se brouille entre 1797 et 1800, à la suite de son échec à l'Institut national et, surtout, du conflit entre Restif et Nicolas de Bonneville sur la vente des huit premières parties de Monsieur Nicolas. Celui-ci l'encourage à écrire pour le théâtre et le présente à Fanny de Beauharnais, chez laquelle il se rend pour la première fois le . Il rencontre chez elle Cazotte (qui lui aurait inspiré ses Revies et à qui il attribue ses Posthumes), Jean-Paul Rabaut de Saint-ÉtienneCubières, son premier biographe, et Stanislas Potocki. Le , il se lie, lors d'un dîner, avec Gabriel Sénac de Meilhan, qu'il revoit en 1789 à l'occasion d'un projet de Mémoires du duc de Richelieu finalement abandonné, à la suite de la parution de ceux de Jean-Louis Giraud-Soulavie. Restif imprime en  un prospectus – sans doute celui des Principes et les causes de la Révolution française – pour Sénac de Meilhan, qui l'invite à plusieurs reprises à dîner chez lui, rue Bergère ; un soir de novembre ou , il y rencontre Charles-Maurice de Talleyrand-PérigordEmmanuel-Joseph Sieyès (qui lui envoie ses ouvrages politiques), la duchesse de Luynes et Mathieu Paul Louis de Montmorency-Laval16.


En 1786, il envisage de créer Le Contradicteur, un journal littéraire destiné à « relever les bévues de tous les autres, et à venger les gens de lettres de leurs injustices » ; il tente d'associer ses amis, en particulier l'abbé Jean Roy, d'obtenir le privilège et de trouver des fonds, rédigeant un prospectus qu'il soumet en avril à Beaumarchais. Toutefois, le projet n'aboutit pas17.

Le « à sept heures du soir », Restif entreprend la rédaction des Nuits de Paris, qui témoigne, selon les spécialistes, de son emploi de « mouche » au service de la police royale ; en effet, le texte fourmille d’indications de ses liens avec la police, qu’il semble en mesure d’appeler à tout moment ; il se promène armé d'un bâton, de pistolets et vêtu d'un manteau bleu, uniforme des policiers ; il menace ceux qu’il interpelle d’en appeler à l’autorité, se rend sans cesse au corps de garde, etc.14.

En 1788, après une querelle avec le procureur Poincloud, « principal locataire », il s'installe au 11, rue de la Bûcherie7, où il demeure jusqu'en 1797, avant de déménager au no 9 de la même ruenote 6, son dernier domicile.

Le , il entame la rédaction de Monsieur Nicolas, qu'il interrompt quelques semaines avant de la reprendre le . Après l'avoir délaissé, à partir du  suivant, pour Les Veillées du Marais, il s'y remet le . Arrivé le  à la page 910 de son manuscrit, il le remet, le , au censeur Toustain-Richebourg, avant de terminer la VIIIe époque, à la page 925, le . Puis, du  au , il relit le manuscrit, auquel il ajoute quelques passages, avant de se lancer dans l'impression. Lancée le , celle-ci est délaissée en 1792 au profit de celle des Provinciales, avant de reprendre le , jusqu'au 18.

À l’avènement de la Révolution, il est arrêté, les  et , et conduit au corps de garde sur dénonciation d'Augé, son gendre, qui l'accuse d'être un espion du roi7 et l'auteur de Dom Bougre aux États généraux ou doléances du portier des chartreux — ce qui est faux19 — ; il est libéré après quatre ou cinq jours de détention20. Au début de 1790, il aménage une petite imprimerie à son domicile, au quatrième étage du no 11 de la rue de la Bûcherie. À la fin de 1791, il acquiert une deuxième presse (installée peut-être, dans un premier temps, au no 6 de la rue de la Bûcherie, avant de rejoindre le quatrième étage du no 11) dans l'espoir de gagner sa vie grâce à une activité d'imprimeur, et s'engage dans une association avec son neveu Edme-Étienne Restif, fils de Pierre né en 1769, et Meymac. Au début de 1792, il embauche trois apprentis, mais de fréquents conflits l'opposent à ces derniers, deux d'entre eux étant renvoyés en août et septembre. On ne connaît pas le volume d'activité de cette imprimerie, dont l'essentiel est représenté par l'impression des manuscrits de Restif (Les ProvincialesLe Drame de la vie, le ThéâtreMonsieur NicolasLes Posthumes, etc.)21. On sait toutefois qu'il imprime une pièce de Mercier pour Bonneville, du Cercle social, en 17927.

En 1791, sa fille cadette Marion épouse son cousin Edme-Étienne, avec lequel elle a trois filles, Anne (morte le  à l'âge de douze ans), Marie-Antoinette-Valère (1790-1817) et Charlotte-Étienne (morte célibataire le , à l'âge de vingt-six ans). Toutefois, son époux meurt le , la laissant seule avec les trois enfants. Quant à l'aînée, Agnès, divorcée d'Augé le , elle met au monde un fils, le Frédéric-Victor, né de sa liaison avec Louis-Claude-Victor Vignon (1770-1854)7,22,23. De son côté, Restif, séparé définitivement de sa femme depuis le , reçoit, le , une assignation en divorce des mains du juge de paix Charles Louis Mathias Hû, qui fouille ses papiers et met les scellés chez lui. Toutefois, à la suite de l'intervention de ses filles, Agnès Lebègue se désiste du scellé, sans inventaire, et le divorce est prononcé le 24,25.

Témoin des événements de la Révolution, il fait paraître Le plus fort des pamphlets (), Les Nuits de Paris (1788-1793), Le Thesmographe (), le Palais-Royal (), les cinq volumes de son Théâtre (1793), les Provinciales (automne 1795), la Philosophie de Monsieur Nicolas (octobre ou novembre 1796), Monsieur Nicolas (1797, peut-être en novembre)18.

Malgré ses amitiés aristocratiques avec Grimod de La Reynière — fils rebelle devenu un partisan de la cause royaliste, auquel il adresse le  une lettre de rupture —, Louis Le Peletier de Morfontaine — qu'il a rencontré en  —, ou Stanislas de Clermont-Tonnerre — auquel il rend hommage dans Le Thesmographe pour s'être opposé à la dernière période de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi »26,18 —, Restif, qui signe dorénavant « Rétif Labretone » (les noms à particule devenant suspects)27, suit les changements de régime sans entrer réellement dans un combat politique partisan28 ; il intègre la garde nationale et participe aux assemblées de sa section, mais n'y joue pas un rôle actif, sauf une intervention en faveur de Roland le 29. Jusqu'en 1791 au moins, Restif proclame son loyalisme monarchique, qui se transforme ensuite « en une virulente dénonciation de Louis XVI et de tous les rois »30. Le , il dîne chez son ami Henry Artaud de Bellevue avec Louis-Sébastien Mercier quand celui-ci est décrété d'accusation pour avoir signé en juin une protestation contre les événements du 31 mai et du 2 juin et l'arrestation de 29 députés et ministres girondins31. Le même mois, il ajoute une « profession de foi » montagnarde à la 16e partie des Nuits de Paris18. Après Thermidor, il participe chez Artaud à des dîners où il croise Mercier, Jean-Baptiste Louvet de CouvrayJean-Denis Lanjuinais, l'abbé Grégoire et François Xavier Lanthenas31. En 1795, il se lie avec le général Julienne de Bélair, après son retour de Hollande et avant son départ pour la campagne d'Italie. À la fin de Monsieur Nicolas, il insère une « fin du cœur humain dévoilé » dans laquelle il exprime son enthousiasme à l'égard du Coup d'État du 18 fructidor an V () et de la loi promulguée le lendemain, rétablissant les décrets de la Convention nationale du  contre les prêtres réfractaires, abrogés le 7 fructidor an V ()32. De même, dans Mon Testament, il se livre à une diatribe antiroyaliste, sans doute antérieure au 18 fructidor, jugeant que les véritables « anarchistes » ne sont pas les jacobins, mais les royalistes33.


Comme il est ruiné par la chute de l’assignat, et l’écriture le faisant à peine vivre, la Convention, en 1795, lui octroie 2 000 francs sur la somme allouée par le Gouvernement aux hommes de lettres dans le besoin. En avril-mai, il est hospitalisé pour une crise urinaire7.

En 1796, Louis-Sébastien Mercier tente de le faire admettre dans la section littérature de l'Institut national. Mais sa proposition échoue, en dépit du soutien de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, au prétexte qu'il « a du génie, mais il n'a pas de goût », selon le président de séance. Sur les instances de Mercier, il adresse alors une lettre au directeur Carnot. En réponse, trois des cinq directeurs, Carnot, Reubell et Barras signent le 23 vendémiaire () un arrêté lui allouant, à défaut des 1 500 livres d'indemnité des membres de l'Institut, une aide de cinq livres de pain par jour. Par ailleurs, il semble que Carnot ait manifesté par d'autres moyens sa bienveillance34,35, peut-être à la suite d'une recommandation de Fanny de Beauharnais36. Après l'installation de Marion et de ses trois filles chez lui en 1797, il participe à un concours ouvert par l’assemblée administrative de l’Allier et se voit nommer au poste de professeur d’histoire à l’école centrale de Moulins le 14 floréal an VI. Mais, ayant obtenu le 35, grâce à Fanny de Beauharnais36, un poste de premier sous-chef à la deuxième section de la deuxième direction35, « traducteur de langue espagnole »36, au ministère de la Police générale, section des lettres interceptées, c'est-à-dire le Cabinet noir, rémunéré 333,68 francs par mois et 4 000 francs par an, il reste à Paris. Toutefois, sous le Consulat, son service est supprimé, et il perd son emploi le 24 prairial an X, même s’il touche son traitement jusqu’au 36,37. Privé alors de ressources, il obtient le secours de Fanny de Beauharnais, qui tente de lui trouver une nouvelle place – elle écrit au préfet de Charente-Maritime36. Le , les Posthumes et quelques feuilles imprimées de L'Enclos des oiseaux sont saisis chez lui7 ; les Posthumes n'en sont pas moins publiées quelque temps plus tard, probablement grâce à Fanny de Beauharnais. La même année paraissent les Nouvelles Contemporaines18.

Aidé jusqu'au bout par Fanny de Beauharnais, il sollicite à plusieurs reprises des secours officiels. Après une première demande en 36, il sollicite, le , une pension littéraire à Chaptalministre de l'Intérieur. Le  suivant, il écrit au ministre de la JusticeClaude Ambroise Régnier : « Il fait froid et je n'ai pas de quoi me chauffer. » On ne lui accorde, le 36, qu'un secours de 50 francs, qu'il ne reçoit d'ailleurs que le . Après une nouvelle demande de secours à l'attention de Louis Bonaparte, au début de 1805, il meurt dans la misère le , au 16 rue de la Bûcherie à Paris, au terme d'une maladie qui, selon Michel de Cubières, ne lui permettait plus de marcher ni de tenir une plume. Ses restes sont inhumés le  au cimetière de Sainte-Catherine7,18.

Agnès Lebègue meurt chez sa fille aînée, au no 39 de la rue Saint-Germain-l'Auxerrois, le , Agnès Restif en 1812, Marion en 1836. Jean-Nicolas Augé devient imprimeur, Frédéric-Victor Vignon écrivain7. En 1811, Michel de Cubières publie l'Histoire des compagnes de Maria, recueil de nouvelles inédites de Restif, complété d'une notice sur sa vie et ses ouvrages18.


Admirateur des idées de Rousseau, dont il estimait du reste assez peu le talent, Restif voulut, à son exemple, émettre des projets de réforme sociale et montra dans ce qu’il écrivit sur le gouvernement, sur l’éducation, sur les femmes, le théâtre, etc., de la singularité et de la bizarrerie, mais également de la hardiesse, de l’originalité, quelquefois de la justesse. Le marquis de Sade et Restif, dont les points de vue sont quasi opposés, se détestaient ; le premier a dit du second qu’il dormait avec une presse au pied de son lit, tandis que Restif a traité Sade de « monstre », terme qu’il affectionne particulièrement et qu’on retrouve fréquemment sous sa plume. En revanche, il était apprécié notamment de Benjamin Constant, de Gabriel Sénac de Meilhan et de Schiller, qui a signalé à Goethe la publication de Monsieur Nicolas le . Très critiqué par les puristes comme La Harpe (on lui a donné comme sobriquet « le Voltaire des femmes de chambre » ou « le Rousseau du ruisseau », mais Lavater l’appela « le Richardson français »), Gérard de Nerval lui consacre une biographie dans Les Illuminés, et il fait l’objet de l’admiration des surréalistes, notamment, qui le redécouvriront.

Imprimeur, il entendait également réformer la langue, l'orthographe et la syntaxe38, créant de nombreux néologismes, par exemple: « etlrst » pour « etc. », « talionné » pour « assujetti à la loi du talion », « pornographe », « gynographe », « mimographe », « féique »… De la même façon, il est l'un des précurseurs de l'emploi de « mise » sous sa forme substantive, pour désigner la manière de se vêtir, emploi critiqué en son temps, qui apparaît pour la première fois sous sa plume dans Les Contemporaines en 178039.

Philosophe réformateur longtemps ignoré, il envisagea tous les problèmes sociaux, y compris les tabous (la prostitution, l'inceste, etc.), préconisant d'ailleurs des solutions souvent conservatrices et répressives. Mais il conçut également une forme de communisme agraire. Saint-Simon et Fourier s'en inspirèrent, tout en voilant leur filiation38.

Ses livres érotiques sont le plus souvent illustrés avec des femmes aux pieds minuscules et la bouche ronde. Celui qui est consacré aux filles du Palais-Royal est présenté comme un guide, mais il représente plutôt une série d’entretiens, à la manière d’un journaliste. A ceux qui lui reprochaient le choix de ses sujets, il répondait qu’il écrivait des livres de médecine morale, que les principes en étaient honnêtes, et qu’il ne pouvait peindre des mœurs pures puisque le siècle avait des mœurs corrompues. Quoique son style fût couramment d’une grande platitude et souvent incorrect, Restif brossa néanmoins des tableaux riants et aimables, trouva des accents émus et allant au cœur, des dialogues naïfs et vrais sans grossièreté, écrivant des pages attendrissantes ou énergiques. Sa fécondité fut extraordinaire, et son succès très grand. À une époque où tant d’œuvres fadement libertines remplissaient les boudoirs et les salons, une partie du public se prit de passion pour des romans qui portaient le cachet de la vérité et de la franchise.

Ce graphomane40, auteur de romans mais aussi de pièces de théâtre, d’une grande autobiographie dans la lignée de celle de Rousseau et tout aussi attachante, d’une utopie et de nombreux projets de réforme (sur la prostitution, le théâtre, la situation des femmes, les mœurs, la législation), est l’objet d’un regain de curiosité de la part de la critique universitaire, qui voit en lui un des représentants les plus exemplaires des Secondes Lumières, celles de la fin du siècle.