TRES BON ETAT SAUF PLIURE DE LECTURE

La langueensoleillée de Roland Bacri

Le Monde

Publié le 25 mars 1988

Lelivre de Roland Bacri, est un roman historique et familial. La famille : celledes Bacri dont l'un de ses membres, Roland, quatorze ans, rapporte les mille etune petites histoires de leur vie quotidienne, à Alger avant 1962. L'histoire :celle des ancêtres " les rois d'Alger ", immortalisés dans un livreincunable La Bacriade, poème héroi-comique de 1827 " moitié l'Iliade etl'Odyssée, moitié Racine et Corneille ", que le grand-père garde sous unepile de draps dans son armoire. Il en lit parfois des passages à sespetits-fils. Il y est beaucoup question de l'affaire Bacri, véritable dramediplomatique à ne surtout pas prendre au sérieux.

On voue une tendresse particulière aux livres quinous font rire. Le roman de Roland Bacri est de ceux-là. L'auteur s'amuse detout ce qui passe, des riens et des gens. Il rit de tout, de lui-même, desreligions, des coutumes, du livre qu'il est en train d'écrire, du langage.Bacri ne décrit pas. Il explose. Il fait éclater _ de rire _ la vie, lesdisputes, les cris, le soleil, les bruits d'Alger. Il fait résonner des voix etdes accents.

Les scènes qu'il donne à voir relèvent du burlesquele plus décapant. Que ce soit à l'école (on pense beaucoup au Petit Nicolas deGoscinny), au marché de Bab-el-Oued, à l'Opéra, le dialogue vire à l'insulte ouà la bagarre, la promenade en course-poursuite, le silence en vacarme. Le styleenfin... comme le reste : drôle et foisonnant. L'auteur joue avec lesdifférents niveaux de langage (parlé, phonétique, littéraire), mais reste fidèleà une langue ensoleillée. On ressort de son roman comme après un film des MarxBrothers : pimpant et guilleret.

Le Monde

 

Bacri,Breffort, Goscinny, Cami

ParVASSILIS ALEXAKIS.

Publiéle 18 juin 1976

LESéditions Seghers viennent de lancer, dans le même format et le même esprit quela collection " Poètes d'aujourd'hui " (présentation de l'auteur etchoix de textes), une série consacrée aux humoristes français. Quatre volumesont paru : Alexandre Breffort est présenté par Roland Bacri, Cami par MichelLaclos, René Goscinny par Claude-Jean Philippe et Roland Bacri, qui est ledirecteur de la collection, par lui-même.

Les quatre auteurs ont en commun un certain goûtpour le calembour. Ce n'est pas étonnant : d'Alphonse Allais à Pierre Daninos, dePierre Dac à San Antonio, en passant par tous les rédacteurs du Canardenchaîné, les Français adorent jouer avec les mots, ce qui n'est pas le cas,par exemple, des humoristes anglo-saxons. Mark Twain et Swift se vendent trèsmal en France. La collection " Humour secret ", publiée chez Julliardil y a quelques années sous la direction de Jacques Sternberg, qui faisait unelarge place aux auteurs d'outre-Atlantique, n'a guère eu de succès. Cettecollection-ci devrait normalement connaître un meilleur sort.

Ceux du " Canard "

Tendres, satiriques, contestataires, les poèmes deRoland Bacri, collaborateur du Canard enchaîné, constituent avant tout unesuccession presque ininterrompue de calembours : " Quand la lune luit -Sur pays cheyenne - En poney de nuit - Jolie squaw j'emmène - Nous partir sansbruit - Moi enfile indienne. " Parfois ils dégagent une petite musique,comme le poème intitulé " Je vous salue, Paris ". Bacri est égalementl'auteur de Et alors ? Et voilà ! où il évoque avec beaucoup de drôlerie sonenfance à Bab-El-Oued : " Notre voisin, il était tellement petit que quandon le voyait, on aurait dit qu'il était loin. "

Auteur de plusieurs pièces de théâtre et d'Irma laDouce, Alexandre Breffort, mort en 1971, fut aussi un collaborateur du Canard.Ses chroniques ont été réunies en volume sous le titre les Contes du grand-pèreZig. Elles regorgent d'aphorismes, de mots d'esprit (" Il passait pour unpenseur, tant il avait le silence facile ", " A défaut de talent nouslui accordions un certain génie ", " Le bonheur s'alimente volontiersde malentendus ", " La femme est un roseau dépensant ") et,naturellement, de jeux de mots. Il avait titré un de ses articles sur le Tourde France, paru dans l'Équipe : " Un comble : des Suisses ont lutté contrela montre. " Il savait être drôle même quand il ne faisait pas trop decalembours, comme en témoigne son Histoire drôle, qui fait penser un peu auxmonologues de Charles Cros et qui commence remarquablement bien : "N'attendez pas de moi une histoire drôle. Je ne dirai rien. C'est que je tiensà la vie. Et vous aussi, je suppose. "

Le père d'Astérix

Est-ce parce qu'il a passé son enfance en Argentineet qu'il a vécu aux États-Unis ? Les jeux de mots occupent une place bien moinsimportante dans l'œuvre de René Goscinny, qui est le père d'Astérix, le pèreadoptif de Lucky Luke (le personnage a été créé par le dessinateur Morris) etle papa du Petit Nicolas. Dans une de ses chroniques, il se moque gentiment desmilliardaires qui, comme on sait, sont tous partis de rien : " Seul, sansamis, sans un sou, pratiquement en guenilles, j'avais touché le fond dudésespoir. C'est alors que je pris une décision qui allait peser lourd dans mavie : j'achetai mon premier immeuble. " Autre exemple : " J'arpentaisde mes semelles trouées le pavé hostile de Paris. Seul, sans amis, sans un sou.Mais, et c'est là l'important, sachez-le, jeunes qui me lisez, je ne medécourageai pas. Je pris rendez-vous avec le gouverneur de la Banque de Francequi me reçut dans son immense bureau lambrissé. "

Un délirant

Cami, humoriste et dessinateur à succès del'entre-deux-guerres, mort en 1958, a laissé une œuvre extrêmement abondantequi n'a été que très partiellement rééditée par Jean-Jacques Pauvert, en 1972.Son originalité tient au fait, assez rare dans les lettres françaises, qu'ildélire complètement. On a l'impression qu'il refuse d'exercer le moindrecontrôle sur son imagination, qui est prodigieuse. Il la laisse partir danstous les sens, bousculant tout, la logique bien sûr, mais aussi le bon goût.Les jeux de mots les plus mauvais ne lui font pas peur. Chacun de ses textes estune agression contre la culture.

" Et maintenant, qu'imaginer pour descendre lelong du mur du château ?... Ce cachot est si petit que je suis obligé de mecourber en deux pour rester debout... J'ai des fourmis dans les jambes. Oh !mais, la voilà, l'idée ! Par bonheur, j'ai dans ma poche le flacon de colle quime sert à recoller ma voix lorsque je la casse en chantant trop fort. Sansperdre une seconde, collons sur mon dos les milliers de fourmis que j'ai dansles jambes. Voilà qui est fait. Maintenant, je me laisse glisser hors de lalucarne. J'applique mes reins contre le mur du château et les fourmis colléessur mon dos me descendent rapidement le long des murailles à pic. Je toucheterre ! "

VASSILISALEXAKIS.

 

RolandBacri Vazquez de Sola Giscaricatures

ParA. L.

Publiéle 11 juillet 1975

 

Onconnaît Roland Bacri, le " petit poète " du Canard enchaîné. Onconnaît Vazquez de Sola, dessinateur inspiré, polémiste ardent, grâce à quil'humour a des grâces de danseuse de flamenco, des violences d'agonie detaureau.

Vazquez de Sola a délaissé quelque temps sa bêtenoire : Franquissimo, pour s'intéresser avec son ami Bacri à un certain ValéryGiscard d'Estaing.

L'Espagnol et le " pied-noir " : unmélange détonant, un alcool rugueux, mi-sangria, mi-pastis.

Le destin du président est " revisité "par ces deux lascars qui n'y vont pas de main morte. Des " giscarolingiens" aux " giscarabesques ", d'une parodie de Bruant : " Jecherche fortune... autour du pouvoir... " au " giscarrangement "de la Marseillaise, les auteurs se déchaînent. L'ensemble est parfaitementirrévérencieux, et cingle parfois comme un fouet. Les " innovations "élyséennes sont joyeusement passées à la moulinette. Au son d'une "giscarmagnole " légèrement éraillée.

L.

Lepoète de Bab-El-Oued

*L'OBSÉDÉ TEXTUEL, de Roland Bacri, collection " Idée lise ".Julliard. 90 pages, 18 F.

ParA. L.

Publiéle 20 décembre 1974

 

CEn'est pas parce qu'il existe des aigles qui volent, splendides et farouches, auplus haut de l'azur qu'il convient de mépriser les petits moineaux qui rasentles marronniers rabougris de nos cités de fer et de béton, de larmes et destupre !

Ce n'est pas parce qu'un génial adolescent, un jour- histoire d'enquiquiner Dieu, ses saints et ses vierges, les bourgeois deCharleville, et quelques autres superbes inutilités, - a écrit, à la flamme dusang, une Saison en Enfer, qu'il faut en prendre prétexte pour ne pas écouterRoland Bacri.

Bacri, c'est quelqu'un. C'est le plus grand poète deBab-El-Oued Certes, il n'habite plus Bab-El-Oued, mais grâce à lui, et àquelques éditeurs soutenus par de vaillants typographes, Bab-El-Oued estpartout, et d'abord à Paris.

Car c'est à Paris que s'imprime, se conçoit, secogite, se concocte le Canard enchaîné, ce brûlot toujours recommencé. Dans leslocaux du susdit Canard, entre deux visites de " plombiers ",déguisés en agents d'espionnage, notre Roland Bacri vient régulièrementétendre, sur des bureaux luxueux, ses longues et fines jambes de " petitpoète ".

Lors de leur enquête, les plombiers en question interrogeantsournoisement un " loufiat " du coin à propos du dénommé Bacri, ontentendu dire : " Monsieur. Il a un drôle de regard quand passe une gamine,moi je vous le jure, c'est un obsédé sexuel. "

Le " loufiat " avait commis un lapsus.Roland n'est pas un obsédé sexuel, mais un " obsédé textuel ". Àpreuve, le titre, en forme d'aveu, de son dernier ouvrage et ce poème :

Au commencement était le verbe Et le verbe a étéfait chair Chair chez la femme et chair chez l'homme Le textuel fut sexuel.

Et on laissa parler la chair Elle eut le verbe haut(Préface de la nativité.)

Quand un monsieur à lunettes, vêtu comme un digneemployé aux écritures de l'Hôtel de ville, se permet d'intituler ses "ouvrages " ainsi : les Trente-deux impositions, Et alors ? Et voilà, laLégende des siestes, on a toutes les raisons de se méfier.

Parce que le " petit poète " susnommé estun subversif. À cause de lui les mots font l'amour. Les mots s'accouplent pardeux, par trois, et ils fabriquent de beaux enfants. Des enfants de l'amour etde l'humour, de la révolte gaie et de la joie qui pleure, en coin. Les motsjouent à saute-mouton, renversent les statues de plâtre du grand théâtre de laréalité, poussent la porte du docteur Freud et tirent la moustache d'AlfredJarry.

Roland Bacri moque, pourfend, ni bête ni méchant,Bacri rit, Bacri pirouette, clown blanc.

Comme il est un peu fainéant, l'ami Bacri, ils'inspire des " grands manitous " du baratin poétique, et il leurrend la monnaie de leur pièce. Mais je suis persuadé que ni Lorca, ni Aragon,ni Verlaine n'y trouveraient à redire. Et sans aucun doute, Paul Claudel auraitgaillardement savouré certaines Litanies pour l'enceinte vierge, dont je laisseau lecteur la primeur (c'est un ouvrage pas cher !).

On dira : Bacri est un mécréant, il rit de tout.Cela est faux : Bacri ne rit que des travers humains, des marionnettes. Bacrine cloue au pilori, avec des douceurs de fleur bleue, des airs de Daphnis quiaurait attrapé enfin Chloé, que l'imbécillité, la méchanceté, la sottise, lacruauté. On se dit qu'écrire sur la " fiancée de Dracula, " la chèvrede M. Seguin ", la " sexualité de groupe ", c'est pas nouveau,c'est pas malin. " Mais oilà, mais oilà ", c'est Bacri qui écrit, etça change tout.

A.L.

 

LESCLASSIQUES DE BABLOUETTE

ParGABRIELLE ROLIN.

Publiéle 21 avril 1972

 

RARES sont les " pieds-noirs" qui ne peuvent réciter par cœur la tirade du bras : "Ce bras qu'ila tant fait le salut militaire. Ce bras qu'il a levé des sacs de pons de terre...Ce bras qu'il a juré de dire la vérité. Ce bras qu'il est capab' et qu'il estrespetté. Ce bras, il te dit mange, encore, il est poli ! "

C'est un peu la Marseillaise deBab-el-Oued, le sésame d'un royaume perdu, le chant du cygne pataouète. Desenregistrements en témoignent, Albert Camus déclamait avec feu ces alexandrinsde mirliton.

Dès sa création à Alger, en 1941, laParodie du Cid fit un malheur. Chacun, le lendemain, répétait les stances de" Roro " : " Traversé jusqu'à l'os du cœur. L'amour, y meretient, le devoir, y m'appelle... " Grâce à son " adaptateur ",Edmond Brua, rédacteur en chef au Journal d'Alger, Corneille descendait enfindans la rue.

Près de deux cents représentationsdevaient transformer le canular en classique. Fier d'avoir décroché ses lettresde noblesse, le sabir se glissait clans les librairies. Oui, on comptait desdizaines de livres écrits dans ce mélange explosif d'arabe, d'italien,d'espagnol, de français, de maltais, ce " patois qu'est donc mon frère", comme dit Roland Bacri, son dernier poète, mais qui refuse d'être ledernier. Pour donner une seconde chance à sa langue natale, il vient de créerla collection " Et alors? Et oilà ! " (1) qui non contente derééditer les pastiches de Brua (Corneille et La Fontaine) ou les Salaouetches(scènes populaires) de Paul Achard, accueillera tous ceux qui ont gardé "l'assent ". Déjà les manuscrits affluent. Le pataouète survivra-t-il àl'exil ? - " Assaoir ", répond Bacri.


(1) C'est aussi le titre du roman deBacri, chez le même éditeur, 214 pages, 24 F.

GABRIELLE ROLIN.

 

"Pieds-noirs " et " pataouet "

ParL.P.

Publiéle 14 janvier 1972

 

BACRI,c'est le spirituel petit poète du " Canard enchaîné ". C'est aussi,pour les " pieds-noirs ", le philosophe du parler " pataouet" dont il a publié un amusant dictionnaire : " le Petit Roro ".Mieux encore ! C'est toute une anthologie de la pittoresque littérature "piénoire " qu'il vient d'aborder en lançant la collection Et alors ? Etvoilà ! qui, en ce dixième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, veutreprendre l'édition d'ouvrages devenus introuvables.

Le premier livre, qui porte justement le titre de lacollection, fut publié en 1969 sous la signature de Roland Bacri à quatre-vingtmille exemplaires. L'ambition de l'auteur est de maintenir l'humour deBab-el-Oued, d'Oran et de Bône, aussi bien au sein de la population rapatriéeque parmi les Français qui, depuis longtemps maintenant, se sont familiarisésavec le langage, la saveur de textes comme " Les fables bônoises "," Les fables de Kaddour ", " Les rois d'Alger ", " Salaouetches". De quoi constituer, dans les mois à venir, une amusante bibliothèque,dénuée d'amertume ou de regrets, car le temps est venu pour ceux " delà-bas " de revivre simplement les souvenirs heureux.

" La démarche de mon livre, écrit Roland Bacri,c'est pas la démarche lorraine, c'est la démarche à pied d'un qui est de forcedans le sens de l'Histoire mais qui fait le retour en arrière, parce quel'Algérie, Bab-el-Oued, tout ça, c'est dommage quand même ! Ce que c'était ?Vous pouvez pas savoir ! "

L.P.

 

Balladedes vacanciers du temps de jadis

ParROLAND BACRI.

Publiéle 24 décembre 1971 

Dites-moi,Août, n'en quel pays Est un mois d'été moins amène ? Où le vacancier plus trahiAit eu plus de pluie en semaine ? Dites-moi par quel phénomène En ce moisd'Août il pisse tant ? Pourquoi tempête la ramène ? Mais où sont les neigesd'antan ?

Où est le très joyeux campeur Qui couchait dans lanuit sereine ? L'homme en slip qui n'avait pas peur De plonger où va la sirène? Au café il abat la reine Et dix de der ! Garçon, un blanc ! Et ainsi le moisd'Août se traîne Mais où sont les nages d'antan ?

Vacanciers, teint blanc comme lys Rentreront dansquelques semaines Avec rhume et torticolis Et Septembre qui la ramène ! Avec,vous parlez d'une aubaine Vent des discours, impôts pleuvant ! Pleureront touscomme fontaine Mais où sont les neiges d'antan ?

ENVOI

Carte postale pour Irène : " Jamais me suisamusé tant. Un été splendide en Lorraine. " Mais où sont les neigesd'antan ?

Extrait d'Anastasiana.

ROLANDBACRI.