Quel artiste singulier ! Ses contemporains et compatriotes de la génération des années 1880, Casella, Pizzetti, Alfano, Malipiero, Respighi, auront fait entrer la musique italienne dans le XXe Siècle, mais Ermanno Wolf-Ferrari sera resté hors du temps, et absolument partagé entre deux mondes, son Italie de Venise et l’univers austro-hongrois. Les deux Trios qu’il composa à six années de distance (1896, 1902) dans sa vingtaine sont d’une subtilité d’écriture qui refuse les grands gestes dramatiques des ultimes trios romantiques, vaste ballade lyrique encore très vénitienne pour le Premier qui guide ses rêveries sur une constante évocation du rythme de barcarolle, empli d’une fine lumière, alors que le Second est autrement sombre, tendu, et déploie dans son premier mouvement des paysages d’orages. Ces deux opus contrastés réunis par la même maitrise formelle auront connu une belle fortune au disque, le Trio Archè en offrant le quatrième enregistrement. Il se détourne de l’éloquence du Münchner Trio (Bayer) pour se rapprocher de la finesse et de l’élégance dont le Trio Raphael (ASV) embaumait ces partitions à la lyrique secrète. C’est un choix, qui considère absolument la singularité des deux opus et ne fait rien entendre des influences germaniques, au contraire, les replace dans un axe quasi fauréen, très français de ton et de jeu, piano évocateur, archets légers : cette musique est si belle qu’elle s’accorde à des traitements très divers, mais le ton murmurando, la souplesse agogique, la discrète poésie des italiens fait ici merveille.