Chateaubriand fut à sa manière un prophète des temps modernes. Tels sont bien le sens et la portée des pages finales des Mémoires d'outre-tombe, testament de l'avenir légué à l'avenir lui-même.
À la veille de la révolution de 1830, il écrit : " Pourquoi la Providence ne lève-t-elle pas quelquefois un coin du voile qui couvre l'avenir ! Elle donne, il est vrai, à certains hommes, un pressentiment des futuritions ; mais ils n'y voient pas assez clair pour bien s'assurer de la route - ils craignent de s'abuser, ou, s'ils s'aventurent dans des prédictions qui s'accomplissent, on ne les croit pas. Dieu n'écarte point la nuée du fond de laquelle il agit quand il permet de grands maux, c'est qu'il a de grands desseins ; desseins étendus dans un plan général, déroulés dans un profond horizon hors de la portée de notre vue et de l'atteinte de nos générations rapides. "
Dans un passage de l'Essai sur la littérature anglaise (1838), on peut lire : " Il est donc puéril de se lamenter sur des accidents qui produisent ce qu'ils sont destinés à produire : à chaque pas dans la vie, mille lointains divers, mille futuritions s'ouvrent devant nous ; cependant, vous n'atteignez qu'un horizon, vous ne courez qu'à un avenir. "
Le colloque qui s'est tenu à la Fondation Singer-Polignac, le 28 juin 2000, a permis de mieux saisir la pensée de Chateaubriand, à la fois lumineuse et voilée de ce pessimisme foncier que réfractent bien des thèmes de notre actualité. Le monde change. La nature survivra-t-elle à l'impérialisme brutal de l'homme ? Quel sera l'avenir des langues-mères qui ont fécondé les grandes civilisations ? Si la liberté d'opinion, dont Chateaubriand fut le " patriarche ", est bonne, comment peut-elle fonder une grande politique alors que ses avis sont mobiles ? Sur quelles valeurs morales s'appuieront les sociétés démocratiques, individualistes et idolâtres des intérêts matériels ?