[GOETHE, Johann Wolfgang von]. Werther. Traduction nouvelle.
Au bureau de la bibliothèque choisie, Paris, 1829

In-8°, reliure moderne à la Bradel, 214 pp. - (1) ff.

Œuvre majeure du Sturm und Drang (mouvement précurseur du romantisme allemand), Les souffrances du jeune Werther ou Werther selon le titre abrégé, met en scène, derrière le récit d'une passion impossible, le conflit qui oppose un jeune homme aux contraintes sociales d'un monde vieilli, avec comme seule issue la soumission ou la mort.

Cette énième traduction - on comptera jusqu'à dix-huit traductions françaises entre 1776 et 1829 - paraît en 1829 dans le plus strict anonymat : la page de titre d'une sobriété parfaite ne fait mention ni de l'auteur, ni du traducteur.
L'auteur de Werther (1774), Johann Wolfgang von Goethe, n'est pas un inconnu, il accède à la célébrité dès la parution de ce tout premier roman. Le voilà à 25 ans célèbre de l'Europe jusqu'à la Chine, Chine où l'on peint notamment Werther sur la porcelaine des théières. La fièvre werthérienne qui s'empara du monde aurait, dit-on, déclenché une vague de suicides sans précédent, « quelques esprits bornés [...], une douzaine d'imbéciles et de propre-à-rien », dira Goethe. 

Bref, la célébrité étant, comme chacun sait, une forme d'incompréhension, sa vie durant Goethe se plaindra de n'être, auprès du public, que "l'immortel auteur de Werther". 
Quid du traducteur ?

Ce n'est qu'à partir de la seconde édition de 1839 que Pierre Leroux endosse enfin la paternité de cette traduction qui est, selon Jean-Jacques Weiss (Le théâtre et les mœurs, Calmann Lévy, 1889),"[...] l'un des chefs d'œuvres de la prose française du XIXe siècle".
Pierre Leroux, futur père du Socialisme et brillant philosophe de l'Histoire, est alors, avec son ancien camarade du lycée de Rennes Paul-François Dubois, co-directeur du journal Le Globe, hebdomadaire littéraire et philosophique. 
Goethe, qui en est d'ailleurs un fidèle lecteur, prophétise à l'envi la nouvelle ère de la critique française sous l'impulsion du journal. Dès le début de l'aventure, Pierre Leroux est le principal instigateur de l’ouverture sur les pays étrangers, et plus particulièrement sur la littérature allemande. On connait par exemple sa proximité avec Heinrich Heine et son admiration pour Johann Paul Friedrich Richter, dit Jean Paul, dont il écrit une fine critique dans Le Globe du 29 mars 1829. L'insuffisance des traductions précédentes et son amour du Werther -  "J'aimais ce livre et je le comprenais" - aura sans doute poussé Pierre Leroux à traduire à son tour le chef d'œuvre de Goethe. Ce sera là, d'ailleurs, le seul texte allemand qu'il traduira. Comment Leroux réussit-il le tour de force de donner cette remarquable traduction du Werther de Goethe, "admirable de style, d'une exactitude parfaite, d'un mot à mot scrupuleux" (George Sand), alors que notre homme, germanophile convaincu, ignorait l'allemand ?

"Je ne savais pas l'allemand, que j'apprenais alors et que je n'ai jamais su..."

Comment quelqu'un qui avoue traduire littéralement chaque phrase à l'aide d'un dictionnaire peut-il éviter les écueils, les pièges nombreux que lui tendent la langue de Goethe et servir, les critiques sont unanimes là-dessus, ce modèle de l'art de la traduction qui, à une fidélité scrupuleuse joint le respect du style français dans la plus élégante des proses ?
Si Leroux persiste à vouloir brouiller les pistes, et à s'en tenir coûte que coûte à son exercice solitaire (cf. Job, drame en 5 actes... traduit littéralement sur le texte hébreu par Pierre Leroux, Dentu, 1866), Vapereau dans son Dictionnaire universel (1858) remet les pendules à l'heure : "M. Leroux a donné, avec le secours d'un anonyme, une remarquable traduction du Werther de Goethe."

L'on doit à David Owen Evans (Une supercherie littéraire : le Werther français de Pierre Leroux, dans la Revue de littérature comparée, vol. 18 - Janvier 1938) d'avoir levé le voile sur le mystère de cette traduction idéale : Pierre Leroux s'appuya sur la traduction de Charles-Louis de Sévelinges parue en 1804 qui venait d'être republiée en 1825 chez Dentu, et l'améliora. Le Werther de Pierre Leroux n'est donc qu'un remaniement devant son succès à ses qualités de style, et nullement au mérite d'une traduction qui tient du miracle. Un plagiat !, rien de plus, mais un plagiat, nécessaire, puisqu'"il serre de près la phrase de l'auteur. [...] efface une idée fausse, la remplace par l'idée juste." (Isidore Ducasse, Poésies II, juin 1870).

Evans nota dans son article que le seul exemplaire de l'édition originale de 1829 existant, à sa connaissance, se trouvait alors à l'université de Yale.
 Que dire de notre exemplaire sinon qu'il est, selon la formule consacrée, d'une insigne rareté ?

N° de réf. du libraire 014837