Si l'expression, trop galvaudée, « combler une lacune » doit néanmoins être employée quelquefois comme décrivant exactement une situation déterminée, il convient de l'utiliser à propos de l'ouvrage de Zygmunt Dobrowolski, que j'ai le plaisir et l'honneur de présenter ici au public de langue française.

Depuis bientôt un quart de siècle que j'ai à enseigner la théorie et la pratique des classifications à de futurs (ou actuels) documentalistes, j'ai ressenti très vivement l'absence d'un manuel sérieux, réfléchi, technique au meilleur sens du terme, qui leur apprenne les méthodes à suivre pour construire un système de classification. II y a quelques années, le petit manuel de B. Vickery—- récemment traduit en français dans cette même collection qui accueille aujourd'hui le livre de Dobrowolski — est venu partiellement répondre à ce besoin, mais il est l'expression d'une méthode particulière, celle des classifications dites « à facettes » conçues selon les idées de S. R. Ranganathan et, quelle que soit la valeur de cette méthode, son exposé ne peut prétendre à l'universalité. J'ai moi-même, dans mon livre « Théorie et pratique des classification documentaires », tenté de passer en revue les problèmes taxilogiques, sans cependant m'attacher à y décrire d'une manière détaillée les techniques de construction des systèmes de classification.

Au contraire, ce sont ces techniques que Z. Dobrowolski examine d'une manière exhaustive, démontant leurs mécanismes élémentaires et montrant comment les utiliser.

La partie la plus neuve de son travail concerne la symbolisation des classifications, notamment avec la description complète du système de son invention dénommé par lui «  à symboles brefs », utilisé pour la première fois à Paris, à l'Institut de la Soudure, en 1943. L'intérêt de cette symbolisation provient du fait qu'elle est particulièrement adaptée à la structure des classifications spécialisées, ainsi que le montre son auteur.

Mais on trouvera bien d'autres sujets d'intérêt dans ce livre plein de richesses. Signalons seulement la discussion des différents types de classifications (parties S/V) : classifications « autonomes » de secteurs scientifiques ou techniques particuliers, classifications encyclopédiques de diverses sortes. Présentées récemment à la Commission de théorie des classifications de la Fédération internationale de documentation, les idées de Dobrowolski sur les rapports entre les classifications des sciences, les classifications pour grandes bibliothèques et celles pour les centres de documentation spécialisés, ont attiré très vivement l'attention.

Parfois, il arrive que j'aie personnellement des opinions différentes de celles de l'auteur de ce livre sur certains points: tel est, par exemple, le cas pour ce qui concerne les «indices syllabiques» (paragraphe 02) dont Z. Dobrowolski écrit qu'ils «ne présentent pas d'intérêt particulier en pratique»; on sait que, avec plusieurs autres théoriciens français de la classification (G. Cordonnier, R. Pagès), j'ai moi-même consacré quelques recherches aux symbolisations syllabiques, cherchant à élaborer un «langage classificatoire» rationnel. Cependant, même dans ce cas, je dois dire que les remarques de Dobrowolski sont pertinentes et dignes d'examen.

Une des caractéristiques les plus intéressantes du présent ouvrage est la contribution qu'il apporte à la terminologie de son domaine. Z. Dobrowolski, de sa formation d'ingénieur, a gardé le goût de la précision dans le langage et il s'est efforcé de forger pour chaque concept spécial utilisé dans son étude une expression non équivoque. Dans la révision de la traduction française, que j'ai eu le plaisir d'effectuer avec l'auteur, nous nous sommes attachés à conserver, dans toute la mesure du possible, les valeurs des termes du texte polonais. Cela n'a pas toujours été facile, et sans doute le lecteur pourra-t-il critiquer quelquefois les solutions que nous avons adoptées, mais nous espérons au moins avoir conservé la qualité essentielle du vocabulaire très systématique de l'édition originale : sa clarté.

II me reste à souhaiter que de très nombreux lecteurs prennent connaissance de ce livre remarquable et s'en inspirent dans leur travail pratique. Je suis sûr d'ailleurs que ce souhait sera exaucé, et que l’« Etude sur la construction des systèmes de classification» contribuera ainsi de manière extrêmement efficace au progrès des techniques documentaires.

      Paris, 16 août 1963                                                        ERIC DE GROLIER