Alfred Capus 1911.jpg
(image d'illustration : portrait)

Alfred Capus (1858-1922)
Romancier, journaliste ....
Membre Académie Française.

 Manuscrit autographe signé (1912) du Courrier de Paris
Concernant une lettre de Claretie sur le Concours General ...



Intitulé " Courrier de P[aris]. "
publié le 12 aout 1912 dans Le Figaro.

Probablement un brouillon de l'article avant publication.
A découvrir. Signature à la fin " Alfred Cap. "


Texte complet ci dessous après les photos.
Source bnf.

Etat general correct. Pliures du temps.
Document sain et solide. 
2 feuilles.
Dimensions : 18 x 21 cm environ.







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Texte :

"  COURRIER DE PARIS


Les lecteurs du Figaro ont pris certainement un vif plaisir à lire la charmante lettre que leur a adressée M. Jules Claretie, à à propos du rétablissement du Concours général.. Cette question, qui se joint tout naturellement à celles du latin et des humanités, est notre devoir de vacances. Presque tous les Français lettrés s'y intéressent aujourd'hui, et M. Jules Claretie est un Français de trop bon goût et un trop ferme humaniste pour ne pas nous avoir indiqué sa solution préférée. Voilà que je viens d'écrire deux fois le mot «Français» dans la même phrase Je sais parfaitement que cela «st traité d'écart de langage et de balourdise dans certains milieux littéraires et que le mot « Français » commence à faire ricaner les esthètes, dans des coins. Ou comprend d'ailleurs les esthètes, car ce simple mot mis en regard de toute œuvre criarde et artificielle, la ruine.

Continuons donc à l'employer sans timidité. Il a fait cet hiver son apparition dans la critique il nous servira de plus en plus. à « toucher » les œuvres et à écouter le son qu'elles rendent. Et quelle erreur, quelle médiocrité de jugement de voir .là un nationalisme étroit! C'est comme si l'on disait qu'un être est en proie à l'égoïsme: lorsque après une maladie qui a troublé son cerveau il revient à la conscience et à la santé! Alors, l'égoïsme, ce serait de vivre. • I^a lettre de l'éminent administrateur de la Comédie-Française nous invite à ces réflexions. Pour mieux apprécier; î l'état d'esprit qui "s'y manifeste, demandons-nous, si M. Jules Claretie l'eût écrite il y 'à trois ans. Je veux dire s'il Yfiût publiée. Car, pour l'écrire, il l'eût fait volontiers, j'en suis sûr, à n'importe .quelle époque. Mais transportons nous par la pensée aux environs seulement de 1910. Mr Claretie a rassemblé, pour sa. satisfaction personnelle, quelques souvenirs sur le Concours général. Il se rappelle qu'un jour sur l'estrade de la Sorbonne, il eut la joie de couronner son propre fils. Peu à peu il se laisse aller à raisonner sur ces solennités et il parcourt son Quintilien. A ses notes, il ajoute cinq ou six lignes de l'Institution Oratoire, puis le début d'une épître d'Horace. Sur ces entrefaites, on lui propose d'insérer. le tout dans un grand journal parisien. Il refuse net et s'écrie « Un article où je cite dans'le texte, du Quintilien et de l'Horace,, en 1910! Vos lecteurs me prendraient pour le dernier des pédants!» » Et c'est ce qui n'eût pas manqué d'arriver.

Deux années passent rien n'a l'air changé.: Pourtant, la conversation en France semble plus libre; la parole est devenue plus indépendante et plus fière. Ou ose avouer ce que l'on veut. Les écrivains se sentent devant un public nouveau qui les stimule et les délie. Ils s'aperçoivent qu'ils n'aiment point un tas de choses que, par faiblesse, par entrainement, ils avaient accueillies et vantées. Ils trouvent tout à coup anciennes et démodées des idées qu'on leur présentait comme les plus modernes du monde; et modernes, au contraire, et d'une merveilleuse' adaptation contemporaine, des usages qui remontent à la plus haute antiquité. Ainsi, par exemple, l'étude des humanités et du latin. Et voilà pourquoi M. Jules Claretie n'a pas garde' pour lui ses délicieuses réflexions sur le Concours général non plus que ses citations d'Horace et de Quintilien. Pédahtisme en 1010, modernisme en 1912

Si nous sommes destinés, pour notre bonheur, à voir encore une grande querelle littéraire analogue à celle des romantiques et des classiques, qui sait si elle ne se posera pas dune façon bien surprenante'? Anciens et modernes, romantiques et classiques, les positions réciproques et les définitions même sont de nos jours complètement modifiées.- La querelle s'établirait plutôt. actuellement entre romantiques et modernes; ̃' on la sent qui s'essaye çà et là et cherche son terrain.

Quel étrange revirement si l'on finissait par reconnaître que les éléments romantiques, sous leur forme présente, sont- devenus incapables de traiter la vie moderne, tandis que la conception classique et l'humanisme s'y prêtent avec une facilité et une souplesse admirables ? Et quelle revanche pour la mémoire de l'excellent Auger,, lequel, directeur de l'Académie en 1824, prononçait dans la séance annuelle un terrible discours contre le romantisme « Un nouveau schisme littéraire se- manifeste aujourd'hui, disait-il. Beaucoup d homi mes élevés dans un respect religieux pour d'antiques doctrines, consacrées par d'innombrables chefs-d'œuvre, s'inquiètent, s'effrayent des progrès de la 1 f secte naissante et semblent demander 1 qu'on les rassure, L'Académie française restera-t-elle indifférente à leurs alarmes ?» »

Auger avait horreur évidemment du mot « moderne » que les romantiques de 1824 réclamaient pour eux, et c'est les modernes qu'il dénonçait sur ce ton solennel. Lui, hautement, se déclarait un « ancien » et un classique. On lui'eût brouillé les idées et dérangé sa doctrine, en lui prédisant que moins d'un siècle plus tard, des savants et des industriels, par des témoignages d'expérience, démontreraient la parfaite adaptation des classiques et des. anciens aux plus récentes conditions de la vie moderne.

.Conditions de lutte très dures, certes, dans toutes. les carrières, mais que l'on envisage désormais bien. en. face et 'don t personne ne songe à s'effrayer. On les accepte loyalement :-la jeunesse s'apprête à les affronter d!un cœur tranquille. C!est qu'elle a découvert les qualités qui, dans cette lutte, devaient être les plus utiles, et que ces qualités, elle les possède. Or, on ne peut le nier ou bien,si on le nie, on s'expose à de cruels mécomptes ces qualités sont d'une essence classique et non d'une essence romantique. C'est l'énergie réglée par l'association, et une certaine soumission consentie à la collectivité par l'individu c'est la complicité de l'ordre et de la force c'est- une- "vision claire de la réalité; c'est la confiance dans la méthode, dans le. raisonnement et l'intelligence. Ces qualités ou ces tendances, on les rencontre aujourd'hui chez la plupart des jeunes hommes qui se disposent à l'action. On les trouve même chez les aventuriers et les déclassés du dernier modèle. Bandits, voleurs, apaches, n]ont-ils pas renoncé également à l'individualisme romantique? On les voit s'associer par des contrats réguliers et procéder scientifiquement: Là, cependant, j'avoue que je préfère Karl Moor et les brigands de Schiller.

Qu'il existe encore parmi nous beaucoup d'âmes romantiques, cela n'est guère contestable; leurs illusions et leur noblesse ne cesseront de nous toucher, Mais que la vie moderne, si variée, si ardente et qui a elle aussi sa noblesse et sa poésie, leur soit hospitalière, c'est une autre question. Et comme les phénomènes sociaux finissent toujours par demander à la littérature et à l'art leur expression définitive, c'est peut-être, en effet ô renversement .des choses humaines! à une querelle littéraire entre romantiques et modernes qu'il sera réservé à notre âge d'assister.

Alfred Capus.  "

" Alfred Capus, né à Aix-en-Provence le 25 novembre 1858 et mort à Neuilly-sur-Seine le 1er novembre 1922, est un journaliste, romancier et dramaturge français. Il est également connu sous les noms de plume de Canalis et Graindorge pour Le Figaro.

Alfred Capus débute en tant que dessinateur industriel puis s'oriente vers le journalisme. Il se fait connaître par ses chroniques publiées dans Le Gaulois, L’Echo de Paris et L’Illustration. Sous le pseudonyme de Graindorge, il écrit pour Le Figaro dont il devient le rédacteur en chef en 1914. Parallèlement, il se lance dans l'écriture de romans : Les Honnêtes Gens (1878), Qui perd gagne (1890)... mais c'est dans le théâtre de boulevard qu'il connaît un véritable succès avec Brignol et sa fille, Les Maris de Léontine, 'La Veine' et La Châtelaine. Alfred Capus a été élu à l’Académie française le 12 février 1914. [...] Evene.fr "