Lettre autographe signée, Ploubazlanec, 3 juin 1940, 2 pages in-8° sur papier à en-tête de Liors-Vras / Loguivy-de-la-Mer (Côtes-du-Nord), à Maurice Garçon.

Intéressante lettre du début de la guerre dans laquelle le dramaturge communique la réponse du directeur général Georges Huisman après qu'il ait demandé l'autorisation de faire jouer un réfugié allemand dans l'une de ses pièces en pays neutre.

La demande sera refusé, sans surprise pour l'auteur : « Je pense que cette réponse ne vous étonnera pas. Je l'ai communiquée à la Commission. »

Il termine en mentionnant la mobilisation de son fils.

Le jour de la rédaction de cette lettre, les environs de Paris sont bombardés par la Luftwaffe dans le cadre de l'opération Paula. L'année suivante, le 12 décembre 1941, Jean-Jacques Bernard est arrêté lors de la rafle des notables. Il sera interné dans le camp de Compiègne-Royallieu avec 300 immigrés juifs venant du camp de Drancy.

Son fils, François-René, est arrêté en 1944 et déporté dans le camp de Mauthausen où il est assassiné. Son frère Nicolas est résistant dans le Vercors.

3 juin 1940

Mon cher Maître et ami

J'aurais dû vous écrire plus tôt, mais, depuis notre dernière rencontre, j'ai eu - en plus de l'inquiétude générale - bien des soucis personnels. Ce n'était rien en soir. Mais la présence ici de notre belle-fille enceinte, a qui il fallait absolument éviter la contagion, l'arrivée au même moment de parents réfugiés compliquaient singulièrement la situation.

Enfin ma fille est en convalescence et la contagion, grâce aux mesures d'isolement, semble évitée. J'espère rentrer bientôt à Paris et pouvoir m'y employer utilement.

J'avais, comme vous me l'aviez conseillé, demandé à Georges Huisman si je pouvais autoriser un Allemand exilé et réfugié en Suisse à jouer une de mes pièces en pays neutre.

J'ai reçu cette réponse de Philippe Erlanger, Directeur de l'Association français d'Expansion et d'Echanges artistiques :

« M. le Directeur Général des Beaux-Arts a bien voulu me transmettre votre lettre du 9 mai. Le Ministère des Affaires Etrangères que j'ai consulté a le sentiment que, dans les circonstances actuelles, il serait peut-être préférable de ne pas donner suite pour le moment au projet dont vous avez bien voulu nous saisir. »

Je pense que cette réponse ne vous étonnera pas. Je l'ai communiquée à la Commission.

Croyez-moi votre bien amicalement dévoué
Jean-Jacques Bernard

P.S. Mon fils a été mobilisé huit jours après notre conversation. Entre temps, sa fiancée a reçu toutes les autorisations nécessaires et pourra venir de Londres quand elle voudra. Mais nous jugeons maintenant plus raisonnable d'attendre. Les jeunes gens l'ont très sagement compris et patienteront.