Un nom souvent cité à côté de celui de Berthe Morisot (mais l’inverse n’est pas vrai), neuf de ses toiles dans les collections de grands musées, en Europe et aux États-Unis : voilà ce que l’histoire de l’art a retenu de la vie brève d’Eva Gonzalès. Née en 1849, décédée en 1883, à trente-quatre ans, elle fut une peintre dans un siècle où les femmes avaient fort peu de chances de le devenir. L’École des beaux- arts leur était interdite, peindre des hommes et travailler dehors aussi. Elle apprend d’abord, le dessin, auprès de Charles Chaplin, s’ennuie et part, soutenue par son père, un lettré et ami de Zola, pour entrer en 1869 dans l’atelier d’Édouard Manet. Frappé par l’ardeur de la nouvelle venue, il fait un portrait d’elle peignant. Il recommence trente fois, tant il a du mal à saisir l’expression d’une si jeune fille toute à sa peinture. À son arrivée dans ce lieu, Eva rencontre Berthe Morisot, de huit ans son aînée. Toutes les deux sont issues d’une grande bourgeoisie intellectuelle. Elles s’affranchissent tôt de l’académisme de leurs premiers maîtres avec pour constant appui l’affection de leur famille, liée à des figures de l’avantgarde artistique. Tout les rapproche. Ne les sépare que le temps à l’œuvre, vingt ans de plus à peindre pour Berthe Morisot.

Peint à seize ans, Le Moineau est un des premiers tableaux d’Eva Gonzalès qui peindra, durant dix-sept années, la vie intime des femmes au travers de scènes d’intérieur : une mère et son enfant, des portraits de sa sœur Jeanne, le thé, une soirée à l’opéra. Ici, un moineau regarde de ses yeux ronds et noirs une jeune fille à la chevelure brune tressée d’épis de blé verts et jaunes, de profil comme l’oiseau, mais dont le regard ne croise pas celui du volatile un instant perché sur le bout de ses doigts tendus. Elle regarde ailleurs, semble rêver, d’envol peut-être.