MATHIEZ - ‎Études sur Robespierre (1758-1794) - Éditions Sociales - 1958


‎[ROBESPIERRE]. MATHIEZ (Albert).‎- ‎Études sur Robespierre (1758-1794).‎- 
‎P., Éditions Sociales, 1958, gr. in-8, br., couv. ill., - 280 pp.,
‎Préface de Georges Lefebvre. Collection des Études Robespierristes.‎

JOINT : un article sur le même sujet - 








Maximilien de Robespierre, ou Maximilien Robespierre1, est un avocat et homme politique français né le 6 mai 1758 à Arras (Artois, aujourd'hui Pas-de-Calais) et mort guillotiné le 10 thermidor an II (28 juillet 1794) à Paris, place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Il est l'une des principales figures de la Révolution française et demeure l'un des personnages les plus controversés de cette période.

Maximilien de Robespierre est l'aîné d'une fratrie de cinq enfants. Il perd sa mère à l'âge de six ans. Son père abandonne le foyer et dès lors, Maximilien est pris en charge par son grand-père maternel. Après d'excellentes études au collège d'Arras et au collège Louis-le-Grand de Paris, licencié en droit, il devient avocat et s'inscrit en 1781 au Conseil provincial d'Artois, occupant même un temps la charge de juge au tribunal épiscopal.

Élu député du tiers état aux États généraux de 1789, il devient bientôt l'une des principales figures des « démocrates » à l'Assemblée constituante, défendant l'abolition de la peine de mort et de l'esclavage, le droit de vote des gens de couleur, des juifs ou des comédiens, ainsi que le suffrage universel (masculin) et l'égalité des droits contre le suffrage censitaire. Son intransigeance lui vaut bientôt d'être surnommé « l'Incorruptible ». Membre du club des Jacobins dès ses origines, il en devient progressivement l'une des figures de proue.

Opposé à la guerre contre l'Autriche en 1792, il s'oppose à La Fayette et soutient la chute de la royauté. Membre de la Commune insurrectionnelle de Paris, il est élu à la Convention nationale, où il siège sur les bancs de la Montagne et s'oppose à la Gironde. Après les journées du 31 mai et du 2 juin 1793, il entre le 27 juillet 1793 au Comité de salut public, où il participe à l'instauration d'un gouvernement révolutionnaire et de la Terreur, dans un contexte de guerre extérieure contre les monarchies coalisées et de guerre civile (insurrections fédéralistes, guerre de Vendée…).

Au printemps 1794, Robespierre et ses collègues du Comité de salut public font arrêter successivement les hébertistes, meneurs du club des Cordeliers, puis Danton et les indulgents, mesures suivies de la condamnation et de l'exécution des dirigeants des deux « factions ». Il contribue ensuite à faire cesser la politique de déchristianisation et fait voter, en qualité de rapporteur, le décret du 18 floréal an II, par lequel « le peuple français reconnaît l’existence de l’être suprême et l’immortalité de l’âme », ainsi que la loi de Prairial, dite de « Grande Terreur ».

Le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), il est attaqué et isolé au sein de la Convention par une coalition hétéroclite de Montagnards, composée pour la circonstance d'anciens dantonistes, de représentants en mission rappelés et, au sein du gouvernement révolutionnaire, par le Comité de sûreté générale et certains collègues du Comité de salut public. Robespierre prend l'Assemblée à témoin de ces dissensions mais ne parvient pas à imposer ses vues. Le 9 thermidor, empêché de parler par ses adversaires, il est arrêté avec son frère Augustin et ses amis Couthon, Saint-Just et Le Bas. La Commune entre alors en insurrection et le fait libérer, pendant que la Convention le déclare hors la loi. Dans la nuit, une colonne armée s'empare de l'hôtel de ville, où Robespierre se trouve avec ses partisans. Il est blessé à la mâchoire dans des circonstances incertaines. Après vérification de son identité devant le Tribunal révolutionnaire, il est guillotiné dans l'après-midi du 10 thermidor avec vingt-et-un de ses partisans. Sa mort entraîne, dans les mois qui suivent, une « réaction thermidorienne », qui voit le démantèlement du gouvernement révolutionnaire et de la Terreur.

Robespierre est sans doute le personnage le plus controversé de la Révolution française. Ses détracteurs (les thermidoriens, les fondateurs de la IIIe République et les historiens de l'« école libérale » dont le chef de file fut François Furet) soulignent son rôle dans l'instauration de la Terreur et la nature autoritaire du Comité de salut public. Pour d'autres, Robespierre tenta de limiter les excès de la Terreur, et fut avant tout un défenseur de la paix, de la démocratie directe et de la justice sociale, un porte-parole des pauvres, et l'un des acteurs de la première abolition de l'esclavage en France.

Biographie
Enfance

Acte de baptême de Maximilien de Robespierre, paroisse Sainte-Marie-Madeleine à Arras, le 6 mai 1758.
Archives départementales du Pas-de-Calais.
Fils aîné de Maximilien Barthélemy François de Robespierre (1732-1777), avocat au Conseil supérieur d'Artois et fils d'un avocat également prénommé Maximilien, et de Jacqueline-Marguerite Carraut (1735-1764), fille d'un brasseur d'Arras, Maximilien Marie Isidore de Robespierre2 nait le 6 mai 1758 à Arras et est baptisé le même jour paroisse Sainte-Marie-Madeleinen 1,3,4. Ces parents, qui se sont rencontrés en 1757, se sont mariés le 2 janvier 1758. Maximilien fut donc conçu hors mariage5.

Par son père, il descend d'une famille de gens de robe artésiens6 : son grand-père Maximilien (1694-1762) était également avocat au Conseil supérieur d'Artois, son bisaïeul Martin (1664-1720) procureur à Carvin, son trisaïeul Robert (1627-1707) notaire à Carvin et bailli d'Oignies.

Le couple a quatre autres enfants : Marie Marguerite Charlotte née le 5 février 17607, Henriette-Eulalie-Françoise en 1761 et Augustin en 1763 ; le benjamin voit le jour le 4 juillet 1764, il est ondoyé, décède et est inhumé au cimetière Saint-Nicaise le même jour, sans qu'un prénom lui soit attribué. La mère ne se relève pas et meurt le 15 juillet suivant, à vingt-neuf ans8. Maximilien a six ans.

À en croire les Mémoires de Charlotte, François de Robespierre aurait abandonné ses enfants peu après la mort de son épouse. En revanche, selon Gérard Walter, on trouve des traces de lui à Arras jusqu'en mars 1766, puis de nouveau en octobre 1768. Ensuite, deux lettres de François de Robespierre, envoyées de Mannheim, confirment qu'il vivait en Allemagne en juin 1770 et en octobre 1771. L'année suivante, d'après le registre d'audiences du Conseil d'Artois, il est de retour à Arras, où il plaide quinze affaires du 13 février au 22 mai. Enfin, en mars 1778, à la mort de son beau-père, un jugement de l'échevinage d'Arras indique qu'étant absent il s'était fait représenter. Par la suite, si l'on prête foi à ce document, on perd sa trace9. L'abbé Proyart (qui semble avoir connu personnellement le père de l'Incorruptible) prétend que, après avoir habité quelque temps à Cologne, il aurait annoncé « le dessein de se rendre à Londres, et de là aux Îles, où il serait possible qu'il vécût encore » en 1795, mais cette hypothèse, discutée par Albert Mathiez10, est rejetée par Auguste Paris et Gérard Walter11,12. Un acte d'inhumation le fait mourir à Munich le 6 novembre 177713, version reprise par Henri Guillemin14 ou Catherine Fouquet15.

Formation

Le collège Louis-le-Grand vers 1789.
Après la mort de leur mère, les deux filles sont recueillies par leurs tantes paternelles, les garçons par leur grand-père maternel, Jacques Carraut (1701-1778). Maximilien entre, en 1765, au collège d'Arras (ancienne institution jésuite qui n'appartenait pas encore aux Oratoriens, étant gérée par un comité local nommé par l'évêque). Charlotte, dans ses Mémoires, affirme que l'attitude de Maximilien avait connu un grand changement à l'époque et que, conscient d'être en quelque sorte le chef de la famille, il avait pris un tour plus grave, plus sérieux. En 1769, grâce à l'intervention du chanoine Aymé auprès de l’évêque d’Arras, Louis-François de Conzié, il obtient une bourse de 450 livres annuelles de l'abbaye de Saint-Vaast et entre au collège Louis-le-Grand, à Paris16,17.

Malgré un certain dénuement, il fait de brillantes études au collège Louis-le-Grand (1769-1781), où il a pour condisciples Camille Desmoulins et Louis-Marie Fréron. Son nom est plusieurs fois proclamé aux distributions de prix du Concours général : sixième accessit de version latine en 1771, deuxième prix de thème latin et sixième accessit de version latine en 1772, quatrième accessit de vers latins et de version latine en 1774, deuxième prix de vers latins, deuxième prix de version latine et cinquième accessit de version grecque en 1775, et troisième accessit de version latine en 177618. D'après l'abbé Proyart19, préfet du collège, c'est un élève studieux, se consacrant uniquement au travail, solitaire et rêveur, peu expansif.

Traditionnellement, les historiens expliquent que, bien vu par ses maîtres, il est choisi, en 1775, pour prononcer le compliment en vers au nouveau roi Louis XVI de retour de son sacre. Cependant, Hervé Leuwers démontre, dans sa biographie de Robespierre, que la rencontre n'a pu avoir lieu à ce moment-là, mais qu'il est possible qu'elle se soit déroulée en 1773 ou 177920,21.

Reçu bachelier en droit de la faculté de Paris le 31 juillet 1780, il obtient son diplôme de licence le 15 mai 1781 et s'inscrit sur le registre des avocats du Parlement de Paris deux semaines après. Le 19 juillet, sur rapport du principal du collège, une récompense de 600 livres lui est octroyée. Par ailleurs, sa bourse à Louis-le-Grand passe à son frère cadet, Augustin22.

Robespierre rencontra Jean-Jacques Rousseau à la fin de sa vie, entre 1775 et 1778 – ou peut-être se contenta-t-il de l'apercevoir, selon Gérard Walter23. Selon les Mémoires posthumes de Jacques Pierre Brissot, témoignage rejeté par l'éditeur Gérard Walter comme invraisemblable pour des raisons chronologiques, il aurait été un temps clerc chez le procureur Nolleau fils, où le futur girondin l'aurait croisé24.

Jeune avocat à Arras

Maximilien de Robespierre, Mémoire pour les sieurs Antoine Pepin, Fermier au Village de Baillœul-lez-Pernes (…)25, Bibliothèque de la Sorbonne (NuBIS).

Maison de Maximilien de Robespierre. Construite en 1730, elle est située rue Maximilien-de-Robespierre, anciennement rue de la Gouvernance, à Arras. Le jeune avocat loge dans cette demeure de 1787 à 1789 avec sa sœur Charlotte et son frère Augustin ; c'est là qu'il rédige ses textes prérévolutionnaires.
À son retour à Arras, la situation de sa famille a changé : sa grand-mère est morte en 1775, son grand-père maternel en 1778, sa sœur Henriette en 1780. Quant à ses deux tantes paternelles, elles se sont mariées l'une et l'autre à 41 ans, Eulalie le 2 janvier 1776 avec un ancien notaire devenu négociant, Henriette le 6 février 1777 avec le médecin Gabriel-François Du Rut. Jacques Carraut laissait 4 000 livres à ses petits-enfants. Installé dans une petite maison de la rue Saumon avec sa sœur Charlotte, Maximilien s'inscrit le 8 novembre 1781 au Conseil provincial d'Artois, comme l'avaient fait son père et son grand-père paternel, et il commence à plaider le 16 janvier 178226. Le 9 mars 1782, il est nommé par l'évêque Louis-Hilaire de Conzié juge au tribunal épiscopal27. Après un passage chez les Du Rut, fin 1782, il s'installe avec sa sœur rue des Jésuites, fin 1783 ; c'est là qu'il vit jusqu'à son départ pour Paris. Dans ses fonctions, il se distingue, notamment lors de l'affaire du paratonnerre de M. de Vissery, où il fait un plaidoyer devenu célèbre le faisant connaître comme un défenseur du progrès scientifique, en mai 1783, et de l'affaire Deteuf, qui l'oppose aux bénédictins de l'abbaye Saint-Sauveur d'Anchin28 ; comme avocat, il publie une douzaine de mémoires judiciaires, qui montrent son goût pour les causes célèbres29. Deux de ces défenses écrites ont été récemment redécouvertes et analysées par l'historien Hervé Leuwers30.

Le 15 novembre 1783, Robespierre est accueilli dans l'Académie des sciences, lettres et arts d'Arras, patronné par son collègue maître Antoine-Joseph Buissart, avec lequel il a collaboré dans l'affaire du paratonnerre, et par M. Dubois de Fosseux, qui est son ami ainsi que celui de Gracchus Babeuf. Il participe à plusieurs concours académiques. En 1784, un de ses mémoires envoyé à l'Académie nationale de Metz lui vaut une médaille, ainsi qu'un prix de 400 livres. Publié, ce mémoire fait l'objet d'un article de Charles de Lacretelle dans le Mercure de France. De même, il rédige un Éloge de Gresset pour le concours de l'Académie des sciences, des lettres et des arts d'Amiens de 1785 qui n'est pas primé, mais qu'il publie lui aussi. Le 4 février 1786, l'Académie royale des belles-lettres d'Arras l'élit à l'unanimité comme directeur. Dans ses fonctions, il prend des positions rompant avec les préjugés sociaux alors en vigueur. Ainsi, en 1786, il rédige deux discours sur les droits des bâtards où il affirme que le mariage et les bonnes mœurs doivent être promus mais que les enfants illégitimes ne doivent pas être tenus responsables des conditions de leur naissance et doivent être légitimés, protégés par le versement de pensions alimentaires ou à défaut par la multiplication des auspices et des incitations à l'adoption financées par de l'argent public31,32. Affirmant partager le point de vue des cartésiens sur l'égalité des sexes et soucieux de favoriser la mixité au sein des sociétés savantes, il soutient en outre l'entrée de deux femmes de lettres, Marie Le Masson Le Golft et Louise de Kéralio, en février 178733. De même, en décembre 1786, il est nommé parmi les trois commissaires chargés de l'examen des mémoires envoyés au concours. En 1787, les Rosati d'Arras, petit cénacle poétique fondé le 12 juin 1778 par un groupe d'officiers et d'avocats, l'accueillent dans leurs rangs ; Louis-Joseph Le Gay, son confrère au barreau et à l'Académie, prononce le discours de réception. En tant que titulaire de cette société, il chante des couplets et compose des vers « anacréontiques », notamment un Éloge de la Rose écrit en réponse au discours de réception d'un nouveau membre34.

Maximilien de Robespierre restera célibataire. Toutefois, à Arras, il cultive les relations féminines : il a une ébauche d'idylle avec Mlle Dehay, amie de sa sœur, une jeune Anglaise inconnue et une certaine Mlle Henriette. Il correspond avec une « dame très haut placée », peut-être Mme Necker, selon Gérard Walter, il est reçu chez Mme Marchand, future directrice du Journal du Pas-de-Calais, etc. D'après sa sœur Charlotte, une Mlle Anaïs Deshorties, belle-fille de sa tante Eulalie, aima Robespierre et fut aimée de lui ; en 1789, il la courtisait depuis deux ou trois ans. Elle se maria avec un autre, l'avocat Leducq, tandis qu'il était à Paris35. Selon Pierre Villiers, Robespierre aurait eu en 1790 une liaison avec une jeune femme de condition modeste « d'environ vingt-six ans36,37 ». Enfin, il a été dit qu'il était fiancé avec la fille de son logeur, Éléonore Duplay38.

L'Assemblée constituante

Portrait de Maximilien Robespierre en habit de député du Tiers état (1790).
Imprégné des idées des philosophes du xviiie siècle, notamment de Rousseau, il participe à la vie politique dans sa province à la veille de la Révolution, faisant paraître en janvier 1789 un mémoire intitulé À la Nation artésienne, sur la nécessité de réformer les États d'Artois, réédité dans une version augmentée en mars-avril. En avril, il édite également une deuxième brochure, plus vive encore, appelée : Les Ennemis de la patrie39. Puis, appuyé par sa famille et ses amis, il se porte candidat à la représentation du Tiers état aux États généraux ; la corporation des savetiers mineurs, la plus pauvre mais la plus nombreuse, lui confie la rédaction de son cahier de doléances le 25 mars 178940.

Successivement choisi pour représenter l'assemblée des habitants non corporés de la ville d'Arras (23-25 mars) puis celle des électeurs du Tiers état de la ville (26-29 mars), il est élu, le 26 avril 1789, par l'assemblée électorale d'Artois, parmi les huit députés du Tiers état. Après la réunion des députés des trois ordres de la province le 1er mai, il se rend à Versailles41 où il s'installe avec trois collègues, cultivateurs, à l'hôtellerie du Renard, rue Sainte-Élisabeth. Parmi ses premiers contacts, on compte Jacques Necker, qui le reçoit à dîner chez lui en mai. Toutefois, le ministre, auquel il avait adressé de nombreuses louanges dans son mémoire, le déçoit. Au contraire, il noue des relations avec Mirabeau, dont il fut proche quelque temps. Il se rapprocha également de Bertrand Barère, qui publiait un journal très lu dans les milieux politiques. Par ailleurs, des liens amicaux le lient au comte Charles de Lameth42.

Séance d'ouverture de l'assemblée des États généraux, 5 mai 1789. Peinture d'histoire d'Auguste Couder (1839). Robespierre est représenté assis parmi le groupe de députés du Tiers état.
Séance d'ouverture de l'assemblée des États généraux, 5 mai 1789.
Peinture d'histoire d'Auguste Couder (1839).
Robespierre est représenté assis parmi le groupe de députés du Tiers état.
 
Le Serment du jeu de paume, par Jacques-Louis David (1791). Robespierre est parmi le groupe de députés à la gauche de Bailly (à droite sur l'image), les mains contre la poitrine. Derrière lui, Dubois-Crancé, debout sur une chaise, le bras droit tendu.
Le Serment du jeu de paume, par Jacques-Louis David (1791). Robespierre est parmi le groupe de députés à la gauche de Bailly (à droite sur l'image), les mains contre la poitrine. Derrière lui, Dubois-Crancé, debout sur une chaise, le bras droit tendu.
 
« M.M.J. Roberspierre (sic) : député de l'Artois à l'Assemblée nationale en 1789 », estampe dessinée par Guérin et gravée par Fiesinger (BNF).
« M.M.J. Roberspierre (sic) : député de l'Artois à l'Assemblée nationale en 1789 », estampe dessinée par Guérin et gravée par Fiesinger (BNF).
À l'Assemblée constituante, Robespierre avance avec assurance et sérénité, poursuivant, selon Gérard Walter, « la réalisation d'un plan mûrement réfléchi et soigneusement étudié ». Sa première intervention à la tribune parlementaire date du 18 mai 1789 ; il prend la parole environ soixante fois de mai à décembre 1789, une centaine de fois en 1790 et autant de janvier à la fin de septembre 1791. Son discours contre la loi martiale du 21 octobre 1789 en fait l'un des principaux animateurs de la Révolution et la cible d'attaques de plus en plus acharnées de ses adversaires, particulièrement de son ancien professeur, l'abbé Royou, et l'équipe de journalistes des Actes des Apôtres. Il est l'un des rares défenseurs du suffrage universel (masculin43) et de l'égalité des droits, s'opposant au décret dit du « marc d'argent » qui instaure le suffrage censitaire, le 25 janvier 179044 et défendant le droit de vote des comédiens et des juifsn 2. Au second semestre, ses interventions à la tribune deviennent de plus en plus fréquentes : en une année, il vainc l'indifférence et le scepticisme de ses collègues45. Il est élu troisième secrétaire suppléant de l'Assemblée, par 111 voix, le 4 mars 1790, puis l'un des secrétaires, lors de la présidence de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, du 21 juin au 4 juillet46,47.

Robespierre, Discours sur l'organisation des gardes nationales, décembre 1790.
À droite, huile sur toile représentant un officier et des soldats de la Garde nationale en 1791.
En mai 1790, à la suite d'Alexandre de Lameth, il plaide devant la Constituante pour que « le droit de déclarer la guerre, ou de faire la paix » soit un domaine de compétence réservé de l'Assemblée, considérée comme l'incarnation de la souveraineté nationale. Le roi, simple « commis de la nation », devrait être dépossédé ainsi de son « principal moyen d'action » au profit du pouvoir législatif. Le projet échoue face à Mirabeau, désormais soutien du pouvoir exécutif48.

Robespierre prend ensuite part, de novembre 1790 à septembre 1791, aux débats relatifs à l'organisation de la Garde nationale49 car il considère la « nature de la force armée, et son usage politique » comme des enjeux fondamentaux. À ses yeux, la Garde nationale doit se composer de citoyens-soldats défenseurs des libertés et non être militarisée pour former une armée auxiliaire susceptible d'être détournée par le pouvoir royal. Le 5 décembre 1790, l'Incorruptible intervient à la Constituante en affirmant que tout homme majeur, riche ou pauvre, a le droit et le devoir de porter les armes pour prévenir le risque d'une « force particulière » dirigée contre les citoyens50. Interrompu par plusieurs députés qui protestent contre la création d'une potentielle « armée de brigands », l'orateur prend la parole le soir même au Club des jacobins pour contester avec colère les décrets de l'Assemblée. Il suscite ainsi l'opposition du président de séance, Mirabeau, mais parvient à achever théâtralement son intervention avec le soutien minoritaire d'une trentaine de jacobins ; l'incident consacre la rupture entre les deux tribuns51. À la mi-décembre 1790, le député de l'Artois prend l'opinion à témoin en diffusant une version remaniée de son allocution non prononcée sous le titre Discours sur l'organisation des gardes nationales. Il y conçoit la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » pour proposer vainement un décret disposant que cette formule soit inscrite sur les uniformes et drapeaux des gardes52,53,54,55. Lu dans les clubs révolutionnaires de Paris et de la province, dont la société des Amis de la Constitution et la société des Amis des droits de l'homme et du citoyen, le Discours... est largement commenté dans la presse à partir de février 1791. Dans son journal Les Révolutions de France et de Brabant, Camille Desmoulins exprime son enthousiasme pour les principes robespierristes qu'il estime devoir inspirer le côté gauche de l'Assemblée. « Jalon essentiel (...) dans la montée nationale de la popularité » de Robespierre51, le Discours... lui permet de nouer des liens avec des patriotes de Lille, Marseille et Versailles51,56.

Le 18 novembre 1790, puis du 21 avril au 4 mai 1791, Robespierre défend également les droits des Avignonnais séduits par les idées révolutionnaires à se soustraire à l'autorité pontificale du pape Pie VI et à se rattacher à la France57. Avignon est finalement rattachée à la France le 14 septembre 1791.

Il participe à l'élaboration de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ainsi qu’à la première Constitution française, en 1791. Particulièrement, le 16 mai 1791, il fait voter le principe de la non-rééligibilité des députés de l'Assemblée constituante dans l'Assemblée suivante, qui vise principalement le triumvirat du parti patriote, Adrien Duport, Antoine Barnave et Alexandre de Lameth58.

Toujours contre le triumvirat et contre Moreau de Saint-Méry (ancien acteur de la prise de la Bastille, devenu en 1790 député de la Martinique), il défend l'abolition de l'esclavage et le droit de vote des gens de couleur, refusant, même seul, les concessions proposées le 13 mai par Bertrand Barère sur la reconnaissance constitutionnelle de l'esclavage et le 15 par Jean-François Reubell sur le refus du droit de vote aux affranchis ; d'où sa célèbre exclamation, déformée avec le temps, prononcée le 13 : « Périssent les colonies s'il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté »58,59.

Robespierre défend aussi les Sociétés populaires. Le 30 mai 1791, à la suite d'un projet visant à condamner à mort tout « chef de parti déclaré rebelle par un décret du corps législatif », il prononce un discours pour l'abolition de la peine de mort60, resté célèbre. Choisi le 3 juin suivant par les députés du club des Jacobins comme leur candidat pour la présidence de l'Assemblée nationale61 pour la période du 6 au 21 juin, il se voit opposer le député Luc-Jacques-Édouard Dauchy, soutenu par la majorité modérée. S'il obtient un nombre égal de voix au premier tour, il est légèrement distancé au scrutin de ballottage58.

Le Club des Jacobins
1790-1791 : entrée et ascension dans le club

Une séance au Club des jacobins en 1791, dans la bibliothèque des Dominicains. Alexandre de Lameth préside, tandis que Mirabeau prononce un discours.

Buste de Robespierre, par Claude-André Deseine, 1791 (musée de la Révolution française).
Dans les premiers mois de l'Assemblée constituante, Robespierre avait été l'un des premiers, avec Honoré-Gabriel Riquetti de Mirabeau, Pétion, l'abbé Grégoire, les frères Alexandre et Charles de Lameth, à adhérer au Club breton, qui se réunissait au café Amaury, à Versailles. Lors de l'installation de l'Assemblée à Paris, en octobre 1789, il rejoignit la Société des Amis de la Constitution, plus connue sous le nom de club des Jacobins, située près des Tuileries, dans le couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré. Lui-même était installé dans un meublé, au troisième étage, du no 9 de la rue de Saintonge, dans un quartier éloigné des Tuileries. En 1790, un certain Pierre Villiers, officier de dragons et auteur dramatique, lui servit durant sept mois de secrétaire62. De plus en plus éloigné de Mirabeau, qui avait dit de lui en 1789 : « Il ira loin, il croit tout ce qu’il dit », il rompit avec lui lors d'une séance particulièrement vive aux Jacobins, le 6 décembre 179063. Il devint bientôt le principal animateur des Jacobins64.

Affaires des provinces
Aux Jacobins, Robespierre noue de précieuses relations avec les groupements patriotes de province65. Élu président des Jacobins le 31 mars 1790, il accueillit les délégués de la municipalité de Bastia, emmenés par Pascal Paoli, le 22 avril suivant66. Comme à l'assemblée constituante, il y soutient constamment les demandes des patriotes avignonnais à un rattachement de la principauté pontificale à la France. Le club d'Avignon décide alors début janvier 1791 de le nommer « membre effectif »67. D'après son biographe Jean-Clément Martin, il a sous la Législative, à l'instar des Girondins, purement et simplement cautionné le massacre de la Glacière d'octobre 1791 et accepté l'amnistie du 19 mars 179268.

En fait, les 18 janvier et 14 mars 179269. Robespierre y demande à comprendre, en le contextualisant, le massacre de la Glacière d'octobre 1791, dénonce les manœuvres du roi et de son ministre de la Justice, Duport-Dutertre, qui chargent les patriotes emprisonnés, par le biais de deux commissaires nommés et envoyés à cet effet. Il regrette par voie de conséquence l'assimilation de l'amnistie de mars 1792 à une grâce. Il perçoit dans la tuerie la conséquence d'une longue série d'attentats pontificaux et aristocratiques, contre les patriotes épris de liberté et désireux à ce titre de se rattacher à la France ; attentats couverts en septembre 1791 par une première amnistie de l'assemblée constituante. Robespierre y revient dans son journal, Le Défenseur de la Constitution en stigmatisant les longs silences, d'octobre 1791 à mars 1792, des ténors de la Gironde (Brissot, Condorcet, Vergniaud, Guadet, Gensonné) à l'assemblée législative, qui se sont toujours gardés de formuler de telles mises au point, alors même qu'ils avaient déjà dénoncé le ministre de la Justice, comme agent de la contre-révolution70. Ainsi interprète-t-il leur attitude sur le massacre de la Glacière et les arrestations qui suivirent :
« Vous saviez particulièrement que les actes de violence, reprochés aux prisonniers, n’étaient que les funestes représailles des lâches assassinats commis par les défenseurs de l’aristocratie et du despotisme papal, dans la personne des auteurs de la révolution, de leurs frères, de leurs parents, de leurs amis ; vous connaissiez les manœuvres employées pour les présenter aux yeux de la France entière comme des brigands. Vous saviez qu’un ministre, dénoncé par vous- mêmes, les avait livrés à une commission tyrannique, dont les jugements arbitraires n’étaient que des listes de proscription contre les bons citoyens »71.

De surcroît, le 18 janvier 1792, il insère l'affaire avignonnaise dans la question de la guerre d'attaque qui l'oppose à Brissot : à l'instar des autres contre-révolutionnaires de l'intérieur, ceux d'Avignon sont plus dangereux que les émigrés de Coblentz.

[réf. nécessaire]
Propositions législatives
Le 5 avril 1791, Robespierre plaide pour restreindre la liberté testamentaire du père de famille afin d'assurer l'égalité entre héritiers72,73. Le 9 mai 1791, il prononce au club un long discours en faveur de la liberté de la presse sur le modèle américain. Toutefois, il admet la nécessité de lois pénales qui la limitent contre les risques de diffamation personnelle. Le 13 au soir, président du club, Robespierre laissa, à l'occasion des débats sur l'égalité des blancs et métis dans les colonies, la parole au mulâtre Julien Raymond en même temps qu'il la refusa à son adversaire, Charles de Lameth74. Il y prononça des attaques contre les groupes de pression aristocratiques blancs et les tentations de certains constituants de céder à leurs requêtes75. Il invoque même la fraternité et l'Être Suprême :

"Vous êtes bien fondés à venir nous dire que ces droits existent, lorsque vos frères dans une autre partie du monde, en ont été privés par vous ; parce qu’il a plu à l’Être Suprême de mettre sur leur front une autre couleur, vous les avez privés de ces droits naturels ; il avait donné des droits égaux aux autres, à ces hommes à qui vous les ravissez..."76.

La fuite de Varennes et la rupture avec les Feuillants
Lors de la fuite du roi à Varennes, le 20 juin 1791, Robespierre était chez les Amis de la Constitution de Versailles. Élu par l'assemblée électorale accusateur public de Paris le 10 juin précédent par 220 voix sur 372 votants77, il venait de démissionner de sa charge de juge au tribunal de Versailles, qu'il occupait théoriquement depuis le 5 octobre 1790, et devait leur expliquer ses raisons. Apprenant la nouvelle le lendemain, il prononça un discours au club des Jacobins dans lequel il accusait l'Assemblée par ses faiblesses de trahir les intérêts de la nation. Il invoquait pour cela les multiples discriminations électorales : « le décret du marc d'argent… les distinctions ridicules entre les citoyens entiers, les demi-citoyens et les quarterons ». C'est-à-dire le droit draconien d'éligibilité, le concept de « citoyens actifs » électeurs et de « citoyens passifs » qui ne pouvaient l'être, et dans les colonies, les droits civiques accordés aux hommes de couleur libres « nés de père et mère libres », et refusés à ceux qui ne l'étaient pas. Quelques semaines après, le 14 juillet, dans son discours sur la fuite du roi, prononcé devant l'Assemblée, il ne réclama pas le jugement de Louis XVI, mais se prononça en faveur de sa déchéance78. La quasi-totalité des députés – hormis Robespierre, Pétion, Buzot, Pierre-Louis Roederer, François Nicolas Anthoine et Louis-Jacques Coroller du Moustoir – et les trois quarts des sociétaires parisiens (1 800 sur 2 400) quittent les Jacobins pour fonder le club des Feuillants ; la grande majorité des sociétés affiliées de province restent fidèles au club de la rue Saint-Honoré79,80. C'est Robespierre lui-même qui rédige l'adresse expédiée le 24 juillet 1791 aux sociétés affiliées pour expliquer la crise des Feuillants81.


Estampe représentant la fusillade du Champ-de-Mars,
Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.
Le lendemain, le club des Cordeliers lance l'idée d'une pétition réclamant la République qui recueille 6 000 signatures avant d'être déposée sur l'autel de la patrie, haut lieu de la Fête de la Fédération de 1790, sur le Champ-de-Mars. La loi martiale proclamée, Jean Sylvain Bailly, maire de Paris, fait mitrailler la foule. Tandis que la répression s'abat sur les Sociétés populaires, une campagne accuse Robespierre d'avoir été l'instigateur de la manifestation79,80.

Menacé après la fusillade du Champ-de-Mars, il accepte l'offre de Maurice Duplay, un entrepreneur de menuiserie, qui lui proposait de loger chez lui, 398 rue Saint-Honoré. Il vit dans cette maison jusqu'à sa mort82,83.

Le 30 septembre 1791, au sortir de la salle du Manège après la clôture de la session parlementaire de la Constituante, les députés du Centre se font huer par la foule tandis que Robespierre et Pétion sont acclamés comme les « députés sans tache », couronnés de feuilles de chêne et portés en triomphe84. Robespierre rentre ensuite dans la vie civile le 1er octobre 1791. Durant ce mois, de nombreuses adresses affluent rue Saint-Honoré, pour lui rendre hommage. Après la séance inaugurale de l'Assemblée législative, il fait un voyage vers l'Artois et en Flandre, où il est accueilli avec enthousiasme par le peuple : à Arras, à Béthune et à Lille85,86.

Cour de la maison de Maurice Duplay, où loge Robespierre à compter de 1791.
Cour de la maison de Maurice Duplay, où loge Robespierre à compter de 1791.
 
« Triumvirat patriote » : Robespierre, Pétion et Roederer portraiturés à l'antique, le front ceint de lauriers. Estampe anonyme, vers 1791, BnF.
« Triumvirat patriote » : Robespierre, Pétion et Roederer portraiturés à l'antique, le front ceint de lauriers. Estampe anonyme, vers 1791, BnF.
 
Portrait présumé de Robespierre, peint à Arras par Louis Léopold Boilly en 1791 (Palais des beaux-arts de Lille).
Portrait présumé de Robespierre, peint à Arras par Louis Léopold Boilly en 1791 (Palais des beaux-arts de Lille).
1791-1792 : entre la menace des rois et celle de La Fayette

Estampe satirique représentant le débat sur la guerre au club des Jacobins en janvier 1792 (Paris, BnF, département des estampes et de la photographie).
Rentré à Paris le 28 novembre, il dut s'imposer au sein des Jacobins, où l'assemblée du club lui offrit la présidence ce même jour87. Pendant son absence, de nombreux députés de la nouvelle Assemblée s'étaient inscrits au Club, dont les nouveaux députés de la future Gironde88. À cette période, la question des émigrés incitait les dirigeants révolutionnaires à prôner la guerre aux princes allemands qui les accueillaient ; le plus ardent partisan de la guerre était Jacques Pierre Brissot, l'un des nouveaux députés de Paris. Dans un premier temps, Robespierre se prononça pour la guerre puis, après Jacques-Nicolas Billaud-Varenne (5 décembre 1791), il dénonça le caractère belliciste de la France contre l'Autriche à la tribune des Jacobins : d'abord le 11 décembre 1791, puis le 18 décembre, le 2 janvier 1792, le 11 janvier et le 25 janvier. Il jugeait imprudente une telle décision qui, d'après lui, faisait le jeu de Louis XVI. À ses yeux, l'armée française n'était pas prête pour mener une guerre qui pouvait en cas de victoire, renforcer un roi et des ministres hostiles à la Révolution ; il estimait que la véritable menace n'était pas parmi les émigrés de Coblentz, mais en France même. De plus, la guerre étant ruineuse pour les finances de la France, il valait mieux favoriser les droits du peuple89. Il souligna enfin le caractère contre-productif de la voie militaire pour l'expansion parmi les peuples d'Europe des principes de la Révolution française : « Personne n'aime les missionnaires armés ; et le premier conseil que donnent la nature et la prudence, c'est de les repousser comme des ennemis ». Robespierre mit enfin en avant la menace d'une dictature militaire, représentée par Gilbert du Motier de La Fayette, responsable de la répression des suisses de Châteauvieux par François Claude de Bouillé en 1790 et de la fusillade du Champ-de-Mars du 17 juillet 179190. Il prononça un ultime discours anti-belliciste avant la déclaration de guerre, le 26 mars 1792.[réf. nécessaire]


Louis XVI annonce aux députés de l'Assemblée nationale législative qu'il a déclaré la guerre au roi de Bohême et de Hongrie (20 avril 1792). (Paris, BnF, département des estampes et de la photographie).
Robespierre dut se rendre à l’évidence que, même si les formes avaient changé, l’esprit de l’ancienne justice persistait. Le 14 avril 1792, il préféra démissionner du poste d'accusateur public, ne voulant pas être compromis par les erreurs qu’il pressentait devoir se produire91. En butte à une attaque combinée de journalistes et de pamphlétaires – en particulier, le fayettiste Dubu de Longchamp, qui répondait à ses accusations du 13 avril contre le « héros des deux mondes » dans la Feuille du jour et par des chansons satiriques distribuées dans les casernes, les brissotins Jean-Marie Girey-Dupré et Aubin Louis Millin de Grandmaison, mais aussi Sylvain Maréchal –, il décida en mai de créer son propre journal Le Défenseur de la Constitution92, afin d’y défendre ses idées93. Presque en même temps, fin mai et courant juin, la question du régime à instaurer commençait à se poser. Le choix entre une république ou une monarchie, rendait sa position plus délicate face à ses adversaires politiques. Le Girondin Jacques Pierre Brissot et ses amis le disaient vendu à la Cour, et les journaux de droite le considéraient comme le chef des « républicains ». Sur ce sujet, il refusa de se prononcer en affirmant : « J'aime mieux voir une assemblée représentative populaire et des citoyens libres et respectés avec un roi, qu'un peuple esclave et avili sous la verge d'un sénat aristocratique et d'un dictateur. Je n'aime pas plus Cromwell que Charles Ier94. »


Le Défenseur de la Constitution no 6, 1792.
Comme les revers se succédaient, avec la suspension de l'offensive lancée sur la Belgique, le passage à l'ennemi du régiment de Royal-Allemand, la démission de Rochambeau et les pourparlers de La Fayette qui, non content de se rapprocher de ses adversaires lamethistes, négociait une suspension d'arme avec l'ambassadeur autrichien Florimond de Mercy-Argenteau, Robespierre en vint à douter de la capacité de l’Assemblée législative à préserver le pays d’une invasion étrangère aussi bien que d'une dictature militaire, se dessinant alors sous les traits de La Fayette, son pire ennemi. Les Girondins, parvenus au ministère, tentaient alors de pactiser avec La Fayette pour améliorer la discipline militaire et combattre l'agitation dans l'armée, jugée responsable par les généraux de l'échec de l'attaque initiale : ils attaquaient tous ceux qui, tels Marat ou Robespierre, dénonçaient la trahison et affaiblissaient le commandement95.

Puis, devant l'échec de cette ouverture à droite, les Girondins commencèrent de dénoncer les traîtres de l'intérieur, en premier lieu le « comité autrichien » dominant à la Cour, autour de la reine, et firent voter une série de décrets révolutionnaires. Le 27 mai fut ordonnée la déportation de tout prêtre réfractaire sur simple demande de vingt citoyens actifs, puis, le 29, le licenciement des 6 000 hommes de la garde constitutionnelle du roi96. Enfin, le 28 mai 1792, le ministre de la guerre girondin Servan demanda devant l'Assemblée que « la nation se lève tout entière » pour défendre le pays, avant d'appeler, le 8 juin, chaque canton à envoyer cinq fédérés vêtus et équipés, soit 20 000 hommes, à Paris, afin de prêter un serment civique. Robespierre vit dans cette dernière mesure, à tort de l'avis de Michel Vovelle (même s'il considère que les Girondins se sont eux-mêmes trompés « sur ce qu'allaient être ces « fédérés » »)97, une manœuvre pour réduire l'agitation démocrate de la capitale.

Sur ce dernier point, il changea du tout au tout d'avis quand, le 18 juin, fut lue une lettre menaçante de La Fayette envers les Jacobins, accusés d'usurper « tous les pouvoirs », et qu'il se déclara prêt à employer les fédérés pour résister aux menées séditieuses d'un « général intrigant et perfide ». L'Assemblée, de son côté, ne réagit pas, pas plus que quand le général abandonna son armée pour venir lui-même, le 28 juin, dénoncer les Jacobins devant le Corps législatif, après l'invasion des Tuileries par des émeutiers lors de la journée du 20 juin98. La popularité du général était telle que l’Assemblée n’osa prendre aucune mesure contre lui, malgré les efforts des Girondins99. Elle se borna à déclarer la patrie en danger le 11 juillet100.

Insurrection du 10 août 1792
Accueil des fédérés à Paris
Devant la menace que faisait peser La Fayette et l'incapacité de l'Assemblée à y faire face, Robespierre proposa aux Jacobins, le 11 juillet, un projet d'Adresse aux Fédérés des 83 départements saluant fraternellement les fédérés et incitant les Parisiens à les accueillir avec amitié. Il s'adressait aux fédérés en ces termes :

« Au dehors, les tyrans rassemblent contre nous des armées nouvelles : au dedans, d'autres tyrans nous trahissent. Les ennemis qui nous guident respectent le domaine du despote autrichien autant qu'ils prodiguent le plus pur sang des Français. [...] Un autre monstre privilégié est venu, au sein de l'assemblée nationale, insulter à la nation, menacer le patriotisme, fouler aux pieds la liberté, au nom de l'armée qu'il divise et qu'il s'efforce de corrompre ; et il demeure impuni ! L'assemblée nationale existe-t-elle encore ? Elle a été outragée, avilie, et elle ne s'est point vengée.
Les tyrans ont feint de déclarer la guerre à leurs complices et à leurs alliés, pour la faire de concert au peuple français ; et les traîtres demeurent impunis ! Trahir et conspirer semble un droit consacré par la tolérance ou par l'approbation de ceux qui nous gouvernent : réclamer la sévérité des lois est presque un crime pour les bons citoyens. Une multitude de fonctionnaires que la révolution a créés, égalent ceux que le despotisme avait enfantés en tyrannie et en mépris pour les hommes, et les surpassent en perfidie. Des hommes, qu'on nomme les mandataires du peuple, ne sont occupés que de l'avilir et de l'égorger. [...]
Vous n’êtes point venus pour donner un vain spectacle à la capitale et à la France… Votre mission est de sauver l’État. Assurons enfin le maintien de la Constitution : non pas de cette Constitution qui prodigue à la cour la substance du peuple ; qui remet entre les mains du roi des trésors immenses et un énorme pouvoir ; mais principalement et avant tout, de celle qui garantit la souveraineté et les droits de la nation. Demandons la fidèle exécution des lois ; non pas de celles qui ne savent que protéger les grands scélérats et assassiner le peuple dans les formes ; mais de celles qui protègent la liberté et le patriotisme contre le machiavélisme, et contre la tyrannie101. »

Au lendemain des célébrations du 14 juillet, Robespierre intervint aux Jacobins pour défendre le séjour des fédérés dans la capitale jusqu'à ce que la patrie eût cessé d'être en danger, demandant aux patriotes parisiens de partager avec eux leur logement et leur table102. Quant aux fédérés, qu'il appelait à se méfier des « émissaires et complices de la Cour » et à défendre légalement la constitution103, il les engageait à écrire à leurs concitoyens afin de leur décrire les dangers qui menaçaient la patrie et les inviter à se joindre à eux102.

Crise entre Robespierre et les Girondins
Plutôt que de prendre clairement position en faveur de l'insurrection, il demanda la rédaction de pétitions ; lui-même rédigea celle du 17 juillet, qui demandait principalement la mise en accusation de La Fayette et de ses complices, le licenciement de l'état-major de l'armée, la destitution et la punition des directoires de départements contre-révolutionnaires coalisés avec la cour contre la liberté104 – une trentaine sur 83 selon Jean Massin105. Concernant la déchéance du roi, elle affirmait : « Représentans [sic], nous dire que la nation est en danger, c’est nous dire qu’il faut qu’elle soit sauvée, c’est l’appeler à votre secours ; si elle ne peut l’être par ses représentants [sic], il faut qu’elle le soit par elle-même. […] Enfin, faites du pouvoir exécutif ce que le salut de l’État et la constitution même exigent, dans les cas où la nation est trahie par le pouvoir exécutif106. » Selon Gérard Walter, cette phrase prêtait aisément à équivoque et n'appelait pas expressément à la déchéance du roi. Il précise d'ailleurs qu'un membre de la députation, de son propre chef ou de manière concertée, déclara, en lieu et place de la version de Robespierre, publiée dans le numéro 10 du Défenseur de la Constitution : « Pères de la patrie ! Suspendez provisoirement le pouvoir exécutif dans la personne du roi ; le salut de l'État l'exige et vous commande cette mesure107 ». De son côté, Ernest Hamel, qui signale également l'incident, juge que, « quant à la personne du roi », le texte de la pétition ne s'expliquait pas « bien nettement à son égard108 ». Pour Jean Massin, « le texte rédigé par Robespierre disait le maximum possible dans les limites de la prudence et de la légalité. Mais à la barre de l'Assemblée, l'orateur de la députation des fédérés [jugea] préférable de remplacer cette phrase bien pesée par une autre plus claire et plus brutale105 ». En ce qui concerne Albert Mathiez, selon lequel Robespierre rédigea les pétitions de plus en plus menaçantes que les fédérés présentèrent coup sur coup à l'Assemblée109, il est évident, à ses yeux, que celle du 17 juillet réclamait la déchéance. Quoi qu'il en soit, Robespierre témoignait, à travers ce texte, de son souci de trouver une solution légale à la crise constitutionnelle, en laissant aux députés le soin de se prononcer, conformément à la constitution, qui prévoyait au chapitre II, section première, plusieurs circonstances aboutissant à « l'abdication expresse ou légale du roi », notamment l'article 6, qui explique que, « si le roi se met à la tête d'une armée et en dirige les forces contre la nation, ou s'il ne s'oppose pas par un acte formel à une telle entreprise, qui s'exécuterait en son nom, il sera censé avoir abdiqué la royauté110. »


Portrait de La Fayette, lieutenant-général, en 1791, par Joseph-Désiré Court.
En réponse aux pétitions, l'Assemblée vota le 23 juillet, sur proposition de Brissot, la création d'une commission chargée d'examiner quels étaient les actes pouvant entraîner une déchéance, ainsi que la rédaction d'une adresse au peuple le prévenant contre « les mesures inconstitutionnelles et impolitiques ». Deux jours plus tard, le 25, Brissot menaçait les républicains du glaive de la loi : « Si ce parti de régicides existe, s’il existe des hommes qui tendent à établir à présent la République sur les débris de la Constitution, le glaive de la loi doit frapper sur eux comme sur les amis actifs des deux Chambres et sur les contre-révolutionnaires de Coblentz104. » À la suite de son adresse aux fédérés du 11 juillet, le ministre de la justice avait dénoncé Robespierre à l'accusateur public, mesure révélée aux Jacobins lors de la séance du 16 juillet102, mais demeurée sans effet111. À travers ces discours, à leur tour, les Girondins menaçaient ouvertement Robespierre112. Hostile à l'Assemblée, dont il était persuadé de la trahison, celui-ci répliqua, dans un discours aux Jacobins, le 29 juillet, en demandant, non seulement la suspension, mais la déchéance, et, au-delà, l'élection d'une Convention nationale, ainsi que le renouvellement des directoires de département, des tribunaux et des fonctionnaires publics, l'épuration des états-majors et la constitution d'un nouveau gouvernement113 :

« Le chef du pouvoir exécutif a-t-il été fidèle à la nation ? Il faut le conserver. L’a-t-il trahie ? Il faut le destituer. L’Assemblée nationale ne veut point prononcer la déchéance ; et si on le suppose coupable, l’Assemblée nationale est elle-même complice de ses attentats, elle est aussi incapable que lui de sauver l’État. Dans ce cas, il faut donc régénérer à la fois, et le pouvoir exécutif et la législature. [...] Que tous les Français domiciliés dans l’arrondissement de chaque assemblée primaire, depuis un temps assez considérable, pour déterminer le domicile, tel que celui d’un an, soit admis à y voter ; que tous les citoyens soient éligibles à tous les emplois sans autre privilège, que celui des vertus et des talens [sic]. Par cette seule disposition, vous soutenez, vous ranimez le patriotisme et l’énergie du peuple ; vous multipliez à l’infini les ressources de la patrie ; vous anéantissez l’influence de l’aristocratie et de l’intrigue ; et vous préparez une véritable Convention nationale ; la seule légitime, la seule complète, que la France aurait jamais vue114. »

Robespierre, inspirateur distant de l'insurrection

La prise des Tuileries le 10 août 1792, huile sur toile de Jacques Bertaux (musée du Château de Versailles).
Le même jour, le 29 juillet 1792, Robespierre écrivit un article enthousiaste pour accueillir l'arrivée des 500 hommes du bataillon des Marseillais, emmenés par Charles Barbaroux, avec lesquels il aurait pris contact, selon Gérard Walter, pour élaborer un plan d'action115.

À cette époque, les Girondins venaient de fonder le club de la Réunion. Lors de la séance du 30 juillet, après avoir pris connaissance du discours de Robespierre, Isnard et Brissot s'engagèrent l'un et l'autre à demander à l'Assemblée un décret d'accusation contre Robespierre et son ami François Nicolas Anthoine, qui avait défendu les mêmes doctrines, afin qu'ils soient traduits devant la cour d'Orléans116.

Le 1er août, la révélation de ces faits provoqua une vive émotion parmi les Jacobins. Méprisant ces tentatives, Robespierre revint sur son intervention du 29 juillet pour demander, cette fois, la convocation d'« une Convention nationale, dont les membres seront élus directement par les assemblées primaires, et ne pourront être choisis parmi ceux de l’assemblée constituante ni de la première législature117 », ce qui l'excluait des personnes éligibles118. Le 7 août, Jérôme Pétion de Villeneuve vint visiter Robespierre pour lui demander d'user de son influence auprès du directoire insurrectionnel119 pour différer l'insurrection, afin de laisser le loisir à l'Assemblée d'étudier la question de la déchéance du roi, ce que Robespierre aurait d'abord agréé. Toutefois, lorsqu'il apprit, le lendemain, l'absolution de La Fayette, jugeant que cette décision correspondait à un défi, il y renonça. Le 9 août, dans une lettre à Georges Couthon, alors en cure, il écrivit : « La fermentation est au comble, et tout semble présager la plus grande commotion à Paris. Nous sommes arrivés au dénouement du drame constitutionnel. La Révolution va reprendre un cours plus rapide, si elle ne s'abîme dans le despotisme militaire et dictatorial120 ».


La Prise des Tuileries (10 août 1792), toile de Henri-Paul Motte (salon de 1892).
La question du rôle de Robespierre lors de l'insurrection du 10 août a donné lieu à des interprétations divergentes. Dans un texte adressé à Pétion, l'Incorruptible affirma lui-même avoir « été presque aussi étranger que [lui] aux glorieux événemens [sic] » de cette journée121. De leur côté, ses adversaires prétendirent qu'il s'était tenu caché chez son hôte, les volets clos, Pierre Vergniaud allant jusqu'à affirmer, dans un discours, en avril 1793, qu'il s'était terré dans sa cave122,123. Albert Mathiez, au contraire, affirma qu'il était le principal inspirateur de la journée124. Outre les discours prononcés avant l'insurrection et les pétitions de sa main, qui réclamaient la déchéance du roi et l'élection d'une Convention nationale, il en veut pour preuve que, « sous son impulsion, les Fédérés » avaient nommé « un directoire secret où figurait son ami François Anthoine » et que « ce directoire se réunit parfois dans la maison du menuisier Duplay où il logeait, comme Anthoine125. » De même, pour le biographe Ernest Hamel, le rôle de Robespierre dans cette journée était indéniable, non seulement dans la préparation des esprits, mais également, supposait-il, durant la nuit qui précéda l'insurrection. Si « Robespierre ne figura pas au cabaret du Soleil-d'Or avec les principaux moteurs d'insurrection qui bientôt allaient entraîner les masses populaires à l'assaut des Tuileries », avec son discours du 29 juillet, « il fit mieux, il mena les idées au combat, et, gardien jaloux des principes décrétés en 1789, il chercha, avant tout, à empêcher la Révolution d'aboutir à la dictature ou à l'anarchie ». Partisan d'un changement constitutionnel, il fut également, dès son discours du 29 juillet, selon lui, un partisan déclaré de l'insurrection puisque, dans son souci de sauver l'État coûte que coûte, il affirmait : « Il n'y a d'inconstitutionnel que ce qui tend à sa ruine126 ». Aux yeux de Jean Massin, de même, si Robespierre n'avait pas participé à l'insurrection, pas plus que Marat ou Danton, c'est qu'il n'avait « aucun des dons requis pour diriger sur place une manifestation populaire, moins encore une insurrection » et qu'il en était conscient. Mais « c'est lui qui avait vu le mieux et le plus tôt la nécessité de donner la parole au peuple. C'est lui qui avait vu le plus fortement la nécessité d'unir, dans un même mouvement, fédérés et sectionnaires pour transformer une émeute parisienne en une révolution nationale. C'est lui surtout qui avait clairement défini les buts que devait s'assigner le mouvement pour ne pas être inutile. En tous ces sens, la victoire populaire du Dix-Août était sa victoire : si sa main ne l'avait pas dirigée, son cerveau l'avait rendue possible127 ».

Depuis, les biographes de Robespierre, dans leur ensemble, ont plutôt eu tendance à minorer son rôle dans l'insurrection. Ainsi, Gérard Walter considère que Robespierre était plutôt partisan d'une solution légale et considérait l'insurrection avec scepticisme103, tandis qu'aux yeux de Max Gallo, Robespierre était trop légaliste pour prendre le parti de participer à une insurrection128. De l'avis de Jean-Paul Bertaud, également, les historiens Alphonse Aulard et Mathiez se sont trompés en reprenant la thèse royaliste d'un complot jacobin à l'origine du 10 août, pour mettre en valeur le rôle supposé, l'un de Danton, l'autre de Robespierre ; l'Incorruptible était pour lui « dans la nuit du 9 au 10 en retrait », de même que l'ensemble des tribuns révolutionnaires et, si les Jacobins avaient participé au mouvement, ce n'avait jamais été pour le précipiter129.

Patrice Gueniffey pense que Robespierre raisonnait en homme de 1789 en la circonstance. Ainsi, même s'il désapprouvait le suffrage censitaire, il aurait jugé que la révolution était faite, que les bases constitutionnelles étaient pures et que seules les machinations des factions compromettaient le rétablissement « de la paix et de l'union. » À en croire Gueniffey, « Robespierre avait embrassé le projet de Barnave » en défendant la paix et la constitution contre leurs menées, ce qui aurait dû entamer son crédit politique puisqu'il s'opposait ainsi « à tout supplément de révolution », « mais avec plus d'intelligence », ce qui lui permit d'être « l'un des principaux bénéficiaires de l'insurrection du 10 août 1792130 ».

La Commune de Paris face à la Législative
Le 10 août 1792, dans l'après-midi, il se rendit à l'assemblée de sa section, la section de la place Vendôme, qui le nomma, le lendemain, son représentant à la Commune insurrectionnelle, puis aux Jacobins, où il esquissa, dans un discours, les mesures urgentes à prendre : le peuple ne devait pas se démobiliser, mais exiger la convocation d'une Convention nationale, La Fayette devait être déclaré traître à la patrie, la Commune devait envoyer des commissaires dans tous les départements pour leur expliquer la situation, les sections devaient abolir la distinction entre « citoyens actifs » et « citoyens passifs » et créer des sociétés populaires, afin de faire connaître la volonté du peuple à ses représentants. Pour Gérard Walter, « son souci primordial a été de discipliner le mouvement déclenché, de lui enlever son caractère chaotique et, au moyen d'une tactique ferme et intelligente, d'obtenir que le sacrifice fourni porte des fruits. » Par ailleurs, il note qu'aucune de ses recommandations ne fut négligée par la Commune131.

Le 12 août, en fin d'après-midi, Robespierre parut à la barre de l'Assemblée, où il obtint la reconnaissance de la Commune insurrectionnelle, menacée le matin même par le vote d'un décret ordonnant la formation d'un nouveau directoire de département sur les mêmes bases que l'ancien. Par ailleurs, devant la décision de l'Assemblée, le 11 août, de créer une cour martiale pour juger les Suisses capturés lors de l'assaut du château des Tuileries, il rédigea, au nom de la Commune, une adresse demandant le jugement de tous les « traîtres » et « conspirateurs », en premier lieu La Fayette, qu'il vint présenter le 15 août, à la tête d'une délégation, devant les députés, très rétifs devant un « tribunal inquisitorial » (selon Choudieu) et attentatoire aux libertés (selon Jacques Thuriot). Le principe était une cour populaire chargée de juger les « traîtres et conspirateurs du 10 août », mais Jacques Brissot, chargé du rapport, fit échouer le projet, recommandant le maintien du tribunal criminel ordinaire, auquel il proposa d'adjoindre un jury supplémentaire composé de représentants des sections parisiennes et de supprimer le recours en cassation « pour accélérer la procédure ». Une seconde délégation du Conseil général de la Commune, dont Robespierre était absent, le 17 août, vint protester contre cette décision. Après l'intervention des membres du jury nommés conformément au décret du 15 août, l'Assemblée décréta finalement la création d'un tribunal criminel extraordinaire, plus connu sous le nom de « tribunal du 17 août », dont on nomma les juges dans la nuit. Le nom de Robespierre venant en tête de la liste, Robespierre aurait dû en prendre la présidence, mais il la refusa. « Je ne pouvais être le juge de ceux dont j'ai été l'adversaire » devait-il expliquer par la suite132. Toutefois, selon Gérard Walter, son absence contribua à saboter l'action du tribunal, dont la mauvaise volonté à juger les causes fut, pour Albert Mathiez133 et Gérard Walter134, à l'origine des massacres de Septembre. De son côté, l'historien Roger Dupuy considère que l'opinion, sous la double emprise de la peur et d'une volonté de vengeance inassouvie après les morts du 10 août, s'exaspérait de l'impuissance du tribunal, qui non seulement ne condamnait à mort qu'à compte-gouttes, mais encore acquittait des prévenus faute de preuves135.


Jérôme Pétion, maire de Paris,
Paris, BnF, département des estampes et de la photographie.
Selon Jérôme Pétion de Villeneuve, alors maire de Paris, Robespierre avait pris « de l'ascendant dans le Conseil » et « entraînait sa majorité ». Si, entre le 23 et le 29 août, il participa surtout aux séances pré-électorales de sa section, constituée en assemblée primaire, le 30 août, le 1er et le 2 septembre, il joua, selon Gérard Walter, un rôle directeur au Conseil général de la Commune. En effet, lors de la séance du 1er septembre, s'étant vu confier l'avant-veille, 30 août, la rédaction d'une adresse aux 48 sections de la capitale, il prononça un discours dans lequel il s'opposait au décret de la Législative sommant la Commune de se démettre au profit des membres de l'ancien corps municipal et dénonçait les manœuvres des Girondins contre la municipalité issue du 10 août136. Pour lui, le maintien des anciens administrateurs devait être laissé à l'appréciation des sections, dans le cadre d'un scrutin épuratoire qui déterminerait lesquels devaient être conservés dans leurs fonctions. Toutefois, selon Ernest Hamel, il proposa également à la Commune de remettre au peuple « le pouvoir que le conseil général a reçu de lui », c'est-à-dire d'organiser de nouvelles élections, proposition finalement rejetée, sur l'intervention de Manuel137.

Le 27 août, l'assemblée générale de la section de la place Vendôme, constituée la veille en assemblée primaire, élut « à l'unanimité des suffrages » Robespierre pour son président, charge qu'il occupa le temps des opérations électorales du 28 au 31 août138. Puis, le 28, il fut élu « à l'unanimité des suffrages, moins un », premier électeur par sa section139. L'assemblée électorale se tint à l'Évêché du 2 au 19 septembre et l'élut dès le 5 septembre, au premier tour de scrutin, premier député de Paris, par 338 voix sur 525140,141. Le 2 septembre, il avait également été élu premier député du Pas-de-Calais, dès le premier tour de scrutin, par 412 voix sur 721 votants, mais il opta pour la capitale142.

À partir de la huitième séance, le 9 septembre, l'Assemblée électorale résolut de discuter les candidats. Robespierre participa à la discussion, sans jamais citer aucun nom, mais, de l'avis de Jean-Baptiste Louvet de Couvray comme de Jules Michelet et de Gérard Walter, il contribua, grâce à son influence, à l'élection de Jean-Paul Marat, contre le savant Joseph Priestley, présenté par les Girondins – ce dont il se défendit lui-même et qu'Hamel réfute143,144. De même, selon Walter, il favorisa l'élection d'Étienne-Jean Panis et de François Robert, contre Jean-Lambert Tallien145. Enfin, la considération des électeurs à son égard valut, « sans nul doute » selon Ernest Hamel146, à son frère cadet, Augustin, d'être élu député de Paris le 16 septembre.

La Convention girondine

La salle du Manège des Tuileries où se réunit la Convention nationale jusqu'en mai 1793.
Article détaillé : Convention girondine.
Robespierre accusé de vouloir la dictature
À l’origine de la Convention nationale, élue au suffrage universel, Robespierre était l'une des principales figures de la Montagne avec Georges Danton et Jean-Paul Marat.


Roland de la Platière, croquis dessiné par Georges-François-Marie Gabriel, Paris, musée Carnavalet, vers 1792-1793.
D'emblée, les Girondins attaquèrent les députés de Paris, et en premier lieu Robespierre, accusés d'aspirer à la dictature, en s'appuyant sur les écrits de Marat. Après Marc David Lasource et Charles-Nicolas Osselin, les Marseillais François Trophime Rebecqui et Charles Jean Marie Barbaroux lancèrent le 25 septembre une première offensive, au cours de laquelle le second signala que, lors de la prise de contact qu'ils auraient eue avec le bataillon des Marseillais, à leur arrivée à Paris, les amis de Robespierre leur auraient demandé, après l'accomplissement de l'insurrection, d'investir l'Incorruptible d'un pouvoir dictatorial, ce qui semblait s'accorder avec les appels de Marat à l'installation d'un dictateur. Toutefois, s'il revendiqua sa proposition, Marat affirma que Danton et Robespierre l'avaient l'un et l'autre rejetée147,148,149.

Durant le mois d'octobre, Robespierre, peut-être malade, se tint éloigné de la tribune et n'intervint que le 28 octobre, devant les Jacobins, pour témoigner de son pessimisme : « Ôtez le mot de République, je ne vois rien de changé. Je vois partout les mêmes vices, les mêmes calculs, les mêmes moyens, et surtout la même calomnie. » Le lendemain, Jean-Marie Roland de La Platière, après avoir présenté un tableau de la situation de Paris, demanda à lire les pièces justificatives de son mémoire, parmi lesquelles se trouvait une lettre qui laissait entendre que Robespierre aurait préparé une liste de proscription150. Monté à la tribune pour se défendre, l'Incorruptible fut interrompu par Louvet, qui profita de l'occasion pour prononcer le réquisitoire qu'il préparait depuis des semaines. Dans ce discours, où il passait en revue toute l'activité de Robespierre depuis le début des discussions sur la guerre, il reprochait à Robespierre d'avoir longtemps calomnié « les plus purs patriotes », y compris pendant les massacres de Septembre, d'avoir « méconnu, avili, persécuté les représentants de la nation et fait méconnaître et avilir leur autorité », de s'être offert « comme un objet d'idolâtrie », d'avoir imposé sa volonté sur l'assemblée électorale du département de Paris « par tous les moyens d'intrigue et d'effroi », enfin, d'avoir « évidemment marché au suprême pouvoir151 ». Ayant obtenu un délai de huit jours, Robespierre répliqua, le 5 novembre, par un discours justifiant les mesures du conseil général de la Commune à partir du 10 août152,153. À travers ce discours, dans lequel Robespierre répondit à Louvet : « Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? », les Montagnards, accusés par Brissotins et Rolandins « de soutenir les sans-culottes et de cautionner » les massacres de Septembre, finissaient « par les revendiquer », selon Jean-Clément Martin154.

De son côté, le 8 novembre dans la Chronique de Paris, Condorcet railla Robespierre et lui reprocha d'agir en prêtre de secte sous couvert de défense des pauvres, des faibles et des femmes :

« On se demande quelquefois pourquoi tant de femmes à la suite de Robespierre, chez lui, à la tribune des Jacobins, aux Cordeliers, à la Convention ? C'est que la Révolution française est une religion et que Robespierre y fait une secte : c’est un prêtre qui a des dévotes mais il est évident que toute sa puissance est en quenouille […] il se dit l’ami des pauvres et des faibles, il se fait suivre par les femmes et les faibles d’esprit, il reçoit gravement leurs adorations et leurs hommage, il disparaît avant le danger, et on ne voit que lui quand le danger est passé : Robespierre est un prêtre et ne sera jamais que cela155. »

Le 12 décembre 1792 au club des jacobins Robespierre répondit :

« Pour apprendre au public à distinguer les écrits empoisonnés, je demande que tous les jours on donne lecture des deux plus mauvais journaux que je connaisse : Le Patriote Français et la Chronique de Paris. Et surtout de l'article de l'Assemblée nationale rédigé par M. Condorcet. Je ne connais rien de plus mauvais et de plus perfide155. »

Procès de Louis XVI
Article détaillé : Procès de Louis XVI.
Le 6 novembre, Charles Éléonor Dufriche-Valazé présenta son rapport sur « l'affaire Louis Capet », suivi les trois jours suivants par cinq autres orateurs, dont Louis Antoine de Saint-Just, l'abbé Grégoire et Pierre-François-Joseph Robert. Robespierre, lui, demeura silencieux, peut-être malade, comme le laissent penser les Mémoires de sa sœur, selon Gérard Walter. Durant le mois de novembre, tandis que les débats sur le procès diminuaient, le peuple était en butte à une pénurie des subsistances, et des troubles éclatèrent dans de nombreux départements. Considérant que les Girondins cherchaient à sauver Louis XVI pour le rétablir sur le trône, il intervint lors de la séance du 30 novembre, afin de remettre en avant la question du procès. Puis, comme l'Assemblée menaçait de traîner en longueur sur des questions légales, il prononça un nouveau discours, le 3 décembre, dans lequel il expliqua qu'il n'y avait « pas de procès à faire », que la journée du 10 août avait déjà réglé la question et que Louis XVI devait être immédiatement déclaré traître à la nation française, affirmant :

« Louis doit mourir, parce qu'il faut que la patrie vive. »

La Convention rejeta cet avis, de même que celui de Saint-Just, qui demandait la mise hors-la loi du roi, mais l'acquittement devenait invraisemblable156,157. En réaction, le girondin Salle proposa le 27 décembre de renvoyer le procès devant les assemblées primaires. Le 15 janvier 1793, l'« appel au peuple » fut rejeté par la Convention par 424 voix contre 283. Le lendemain, la peine capitale fut votée par 366 voix contre 355, puis, après des réclamations, par 361 voix contre 360158.

En revanche, quand, le 21 janvier, après l'assassinat de son ami Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, Claude Basire demanda la peine de mort contre quiconque recèlerait le meurtrier, Robespierre s'y opposa, jugeant la motion « contraire à tous les principes », alors que la Convention devait « effacer [du] code pénal la peine de mort159 ».

Répression de l'ennemi intérieur
Dans les semaines qui suivirent, alors qu'une offensive était lancée sur l'Escaut pour déborder les Provinces-Unies, se constituait une coalition antifrançaise. Le 23 février afin de reconstituer l’armée, dégarnie après le départ des volontaires de 1792, la Convention décrète une levée de 300 000 hommes, et 82 représentants furent envoyés dans les départements pour hâter l'opération ; pour se débarrasser d'une partie de leurs adversaires, les Girondins favorisèrent dans de nombreux cas la nomination de Montagnards, et ce jusqu'en juin, permettant ainsi à ceux-ci d'entrer en contact avec les armées et les autorités locales et de resserrer leurs liens avec les sociétés populaires160. De même, lors des séances du 9 au 11 mars, fut créé, sur la demande de Cambacérès et de Danton et suivant le projet de Lindet, un tribunal révolutionnaire chargé de punir les « conspirateurs » et les « contre-révolutionnaires » (dont Robespierre demanda, le 11, une plus stricte définition, afin que les révolutionnaires ne pussent être compris dans les poursuites, ce qui fut adopté suivant la rédaction, moins restrictive, proposée par Maximin Isnard)161. Pour l'historien Jean-Clément Martin, Isnard voyait dans la proposition de Robespierre « le risque de la guerre civile au bénéfice des montagnards », ce qui l'amena à faire voter « un article dénonçant plus largement toute entreprise contre-révolutionnaire », émiettant « ainsi la répression légitimée » et favorisant « la prolifération de la violence162 ». Cependant, des troubles éclataient dans plusieurs départements de l'Est et en Vendée, ce qui amena la Convention à décréter, le 18 mars, sur proposition de Pierre Joseph Duhem et de Louis-Joseph Charlier, la peine de mort dans les vingt-quatre heures pour toute personne convaincue d'émigration, puis, le 19, sur un rapport de Cambacérès, la mise hors-la-loi de tout individu « prévenu d'avoir pris part à quelque émeute contre-révolutionnaire et arboré la cocarde blanche ou tout autre signe de rébellion. La Convention décréta également, le 21 mars, sur le rapport de Jean Antoine Debry, un comité de surveillance révolutionnaire dans chaque commune et section de commune, puis, le 26, sur proposition de Jean-Joseph-Victor Genissieu, le désarmement de tous les nobles et prêtres, ainsi que de leurs agents et domestiques, et en général de toutes les personnes suspectes, enfin, le 28, sur le rapport des comités de législation, des finances, de guerre et diplomatique, le bannissement perpétuel de tous les émigrés, sous peine de mort, auxquels s'ajoutaient la mort civile et la confiscation des biens au profit de la République en cas d'infraction163 ».

Robespierre se joint aux accusateurs de Dumouriez et des Girondins

Le général Dumouriez par Rouillard.
C'est dans ce contexte que se situe l'affaire du général Charles François Dumouriez. L'attitude de Robespierre à l'égard du général fut d'abord circonspecte. Dans le débat qui eut lieu le 10 mars devant la Convention, au cours duquel furent lus quelques lettres rassurantes de Dumouriez et le rapport de Jean-François Delacroix et Georges Danton, qui rendaient compte de leur mission auprès des armées (où ils avaient été commis afin d'évaluer le rôle des officiers dans les échecs) en louant le patriotisme du général, il jugea, pour sa part, que « son intérêt personnel, l'intérêt de sa gloire même », l'attachait au succès des armées françaises. Toutefois, selon Gérard Walter164, le général avait alors conçu le projet d'établir Louis XVII sur le trône, avec la reine Marie-Antoinette comme régente et lui-même comme « protecteur du royaume » en se servant de ses succès militaires.

Mais ces projets furent anéantis par la bataille de Neerwinden, le 18 mars. À la nouvelle de cette défaite, une commission de salut public de 25 membres, réunissant des députés de toutes les tendances, fut instituée le 25 mars en lieu et place du comité de défense générale ; Robespierre accepta d'en faire partie165. Toutefois, quand, le 26 mars, le ministre de la Guerre, Pierre Riel de Beurnonville, transmit au comité, réuni en séance commune avec le Conseil exécutif, une lettre dans laquelle le général proposait de retirer ses troupes de Belgique et d'adopter à l'avenir une stratégie uniquement défensive, Robespierre s'opposa à Danton, qui l'ayant rencontré le 15 mars (trois jours après la lecture d'une lettre à la Convention dans laquelle il rendait l'agitation des Jacobins et des sans-culottes responsable des défaites), avait présenté sa défense, et exigea sa destitution immédiate, le jugeant indigne de la confiance de la nation et dangereux pour la liberté, mais il ne fut pas suivi. Mandé à la barre de la Convention le 30 après une seconde lettre hostile aux « anarchistes » et une tentative, le 27, d'entraîner son armée sur la capitale, le général fit arrêter les quatre commissaires envoyés par l'Assemblée, dont le ministre de la Guerre, et tenta vainement de convaincre ses troupes de se retourner contre la République160, ce qui lui valut d'être déclaré « traître à la patrie » le 3 avril 1793166.

Or, la veille, Brissot avait inséré dans son journal un éloge de Dumouriez. Compromis dans les manigances de Dumouriez, Danton avait subi les attaques de la Gironde, auxquelles il avait répondu le 1er avril en leur retournant l'accusation167. Quand, le soir du 3 avril, Robespierre dénonça l'incapacité du comité de défense générale, la vive réaction des Girondins l'amena à présenter les différents éléments qui, à ses yeux, établissaient leur complicité avec Dumouriez168. Le 5 et le 6 avril, sur la demande des Montagnards, la commission de salut public fut remplacée par le comité de salut public, dominé par Danton, Bertrand Barère et Pierre-Joseph Cambon, puis il fut décidé, le 9 avril, d'envoyer des représentants en mission aux armées169.

Depuis janvier, une lutte opposait, au sein des sections parisiennes et provinciales, les modérés, parfois proches des Girondins, et les radicaux, sensibles aux revendications des Enragés, qui, dans un contexte d'effondrement de l'assignat, d'inflation, de vie chère, de récession et de travail rare, réclamaient la taxation, la réquisition des denrées, des secours publics aux pauvres et aux familles de volontaires, le cours forcé de l'assignat et l'instauration d'une Terreur légale contre les accapareurs et les suspects. Dès le 1er avril, à l'annonce de la trahison de Dumouriez, Jean-François Varlet avait fondé à l'Évêché un comité central révolutionnaire, dit le comité de l'Évêché, tandis que Jacques Roux provoquait la formation d'une assemblée générale des comités de surveillance de Paris, qui obtint le soutien de la Commune et de son procureur, Pierre-Gaspard Chaumette, mais entra en concurrence avec le comité160. Le 4 avril, au lendemain de la dénonciation de Robespierre, la section de la Halle-aux-Blés rédigea un projet d'adresse à la Convention demandant un décret d'accusation contre « les députés coupables », ainsi qu'une loi contre les accapareurs Page d'aide sur l'homonymie, la destitution des officiers nobles et l'épuration de l'administration170.

Le 8 avril, lors de la séance du soir, une députation de la section de Bon-Conseil vint demander un décret d'accusation contre les chefs girondins et obtint, sur la demande de Marat, les honneurs de la séance. Le 10 avril, Pétion ouvrit les débats de la séance du matin en dénonçant, en termes très vifs, le projet d'adresse de la section de la Halle-aux-Blés, pourtant conçu, selon Hamel, dans le même esprit que celle de la section de Bon-Conseil, et demanda le renvoi devant le tribunal révolutionnaire de son président et de son secrétaire. À sa suite, Élie Guadet détourna l'accusation de complicité avec Dumouriez, selon Hamel, contre « les acolytes d'Égalité, c'est-à-dire, dans sa pensée, les Danton, les Marat ». En réponse, Robespierre réitéra son accusation contre les Girondins dans un long réquisitoire qui situait la trahison du général dans le cadre d'une plus vaste conspiration et auquel Pierre Vergniaud répondit aussitôt171. Le 11, Vergniaud fut suivi dans cette voie par Pétion et Guadet, qui, profitant de l'absence de nombreux Montagnards, envoyés en mission en province, retourna l'accusation de conspiration en faveur d'Orléans contre Robespierre, Danton et la Montagne et demanda la mise en accusation de Jean-Paul Marat, pour avoir initié et signé une adresse des Jacobins aux départements accusant la Convention de renfermer la contre-révolution dans son sein – le décret d'accusation fut voté le lendemain sur un rapport du comité de législation172,173.


Marat porté en triomphe après son acquittement par le Tribunal révolutionnaire.
Gouache de Lesueur, Paris, musée Carnavalet, vers 1793.
Au terme de la séance du 10, Robespierre se rendit aux Jacobins, où il résuma son réquisitoire et critiqua le projet d'adresse de la section de la Halle-aux-Blés, dont les excès de langage, à ses yeux, produisaient « des effets terribles dans les départements ». En lieu et place, il demanda que des assemblées extraordinaires fussent convoquées dans toutes les sections « pour délibérer sur les moyens de dénoncer à la France entière la trame criminelle des traîtres ». Cette démarche aboutit, le 15 avril, à la présentation, par 35 des 48 sections révolutionnaires de Paris, d'une adresse au ton modéré mais qui comportait une liste de 22 « mandataires coupables du crime de félonie envers le peuple souverain », destinée à tous les départements pour demander leur accord, afin de contraindre les députés visés à se retirer de l'Assemblée.

Cette pétition, qui donnait à cette épuration la forme d'une consultation nationale, fut rejetée par la Convention, ce qui, après l'acquittement de Marat devant le tribunal révolutionnaire174, le déclenchement de la guerre de Vendée et le soulèvement de Lyon, favorisa le développement d'une atmosphère de crise dans la capitale. Devant cette situation, la Gironde obtint le 18 mai de la Convention la création d'une commission extraordinaire des Douze, exclusivement girondine, destinée à briser la Commune, qui soutenait la demande de retrait des 22 députés girondins175,176.


Le 2 juin 1793, les députés girondins sont exclus et arrêtés sous la menace de la Garde nationale attroupée devant la Convention nationale.
Estampe de Pierre-Gabriel Berthault, Paris, musée Carnavalet.
Absent du 14 au 23 mai, peut-être malade, Robespierre intervint, malgré sa faiblesse physique, devant les Jacobins le 26, lui qui jusque-là avait prêché le calme et la modération contre les Enragés et les Exagérés, avec l'espoir d'emporter la lutte sur le terrain parlementaire, pour inviter « le peuple à se mettre dans la Convention nationale en insurrection contre les députés corrompus ». Après avoir tenté en vain d'obtenir la parole devant la Convention le lendemain, il prononça un discours, le 28, pour dénoncer les Girondins, mais, interrompu par Charles Barbaroux et trop faible pour faire face, il quitta la tribune en invitant « les républicains » à replonger les brissotins « dans l'abîme de la honte ». Épuisé par ses efforts, il intervint une dernière fois aux Jacobins le 29 pour exhorter la Commune à prendre la direction du mouvement insurrectionnel, se déclarant lui-même incapable, « consumé par une fièvre lente », de « prescrire au peuple les moyens de se sauver177 ».

Article détaillé : Journées du 31 mai et du 2 juin 1793.
Le 31 mai, il demeura silencieux jusqu'à ce que fût proposée la mise aux voix du rapport que Bertrand Barère avait présenté au nom du comité de salut public, dans lequel il se bornait à demander la suppression de la commission extraordinaire des Douze. Jugeant les mesures proposées insuffisantes, il intervint à la tribune pour s'opposer à la constitution d'une force armée chargée de protéger la Convention et demander « le décret d'accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre tous ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires ». Toutefois, la Convention se prononça en faveur du projet de Barère. Le 2 juin, elle finit par céder, sous la menace des canons de François Hanriot178.

La Convention montagnarde

Bertrand Barère peint par Laneuville, 1794, Kunsthalle de Brême.
Dès le 3 juin, Robespierre revendiqua le rôle des Jacobins qui avaient contribué à l'organisation et au succès de l'insurrection face aux Enragés et Exagérés avec l'appui, selon Patrice Gueniffey, des militants des sections qui « n'entendaient nullement déposer les armes sans avoir recueilli tout le bénéfice de leur victoire179 », ou encore de la droite qui conservait de solides positions à la Convention (où dominait jusque parmi les Montagnards une volonté de conciliation). Maximilien de Robespierre déclara dans ce contexte : « Il faut que nous nous emparions des comités et que nous passions des nuits à faire de bonnes lois ». Or, le 6 juin, Bertrand Barère présenta au nom du comité de salut public un rapport demandant la dissolution de l'ensemble des comités révolutionnaires créés à l'occasion de la crise de mai, l'expulsion de tous les étrangers suspects, l'élection d'un nouveau commandant général de la garde nationale et l'envoi dans les départements dont les députés avaient été décrétés d'arrestation un nombre égal de députés comme otages – Danton appuya cette dernière proposition, Georges Couthon et Saint-Just s'offrant eux-mêmes comme otages. Quand la discussion s'engagea, le 8 juin, Robespierre se prononça contre ce rapport, hormis sur la question d'une loi sur les étrangers, qu'il voulait plus sévère, et obtint son retrait ; Hanriot fut confirmé dans ses fonctions, et les comités révolutionnaires purent poursuivre leur action180,181,182,183.

Après l'adoption de la loi du 3 juin 1793 sur le mode de vente des biens des émigrés, qui stipulait que les lots seraient divisés en petites parcelles, avec un délai de paiement de dix ans, pour favoriser les paysans pauvres, et de celle du 10 juin sur le partage, facultatif, des biens communaux, à parts égales, par tête d'habitant (et non par propriétaire) et au tirage au sort, et avant la loi du 17 juillet sur l'abolition complète et sans indemnité (au contraire de la nuit du 4 août 1789) des droits féodaux, Marie-Jean Hérault de Séchelles présenta un projet de constitution auquel avaient contribué Couthon et Saint-Just et qui fixait un projet de démocratie politique184. Robespierre avait lui-même présenté, le 24 avril, un projet de déclaration des droits (précédé par un discours sur la propriété), prolongé le 10 mai par un discours sur la constitution future185,186, dont l'influence sur le projet final a fait l'objet de discussions187,188. Son discours sur la propriété et sa déclaration entendaient limiter le droit de propriété, face au projet de constitution girondine, par « l'obligation de respecter les droits d'autrui » et de ne « préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété de nos semblables », l'établissement d'une fiscalité redistributive et progressive ainsi que d'une fraternité et citoyenneté universelles189.

Engagé le 11 juin, le débat aboutit le 23 juin à l'adoption du projet190. Le dernier jour, une partie des députés de droite étant restés assis sur leurs bancs lors du vote de la déclaration des droits, Robespierre s'opposa aux députés qui, comme Billaud-Varenne, réclamaient l'appel nominal, afin que la France entière connût lesquels de ses représentants « s'étaient opposés à son bonheur ». Il affirma à cette occasion : « J'aime à me persuader que, s'ils ne se sont pas levés avec nous, c'est plutôt parce qu'ils sont paralytiques que mauvais citoyens191 ».


Georges Couthon,
Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, 1792.

Louis Antoine de Saint-Just.
Dans le même temps, selon Gérard Walter, il œuvra pour favoriser la position de Georges Couthon, Louis Antoine de Saint-Just et Jeanbon Saint André, qui avaient été adjoints au comité de salut public le 31 mai et que l'historien qualifie de « robespierristes », et pour éliminer Danton, qui aurait cessé de lui inspirer confiance depuis l'affaire Dumouriez, notamment dans son discours aux Jacobins du 8 juillet. Le 10 juillet, la Convention procéda au renouvellement du comité. Tandis que les trois adjoints faisaient leur entrée comme membres, Danton n'était pas réélu. Le même jour, Robespierre entra avec Léonard Bourdon à la Commission d'instruction publique, en remplacement de Jeanbon Saint-André et de Saint-Just. À ce titre, il présenta à la Convention, trois jours plus tard, le plan d'éducation nationale rédigé par son ami Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau en qualité de rapporteur. Puis, le 26 juillet, Thomas-Augustin de Gasparin démissionna ; Robespierre prit part à la séance du Comité de ce jour, avant d'être élu à sa place le lendemain, sur proposition de Jeanbon Saint-André192. Il était courant que les députés pressentis pour faire partie du comité assistent à ses séances. Ainsi Lazare Carnot et Claude-Antoine Prieur de la Côte-d'Or, qui furent appelés le 14 août, assistèrent, le premier, à la séance du 11, le second, à celles des 4, 5, 6, 7 et 12 août193.

Robespierre participa d'abord principalement aux délibérations sur la question militaire, à une époque où les défaites se succédaient. Devant la détresse de la situation, Barère proposa l'entrée de techniciens capables de dresser un plan d'opérations; Carnot, alors en mission dans le Nord, et Prieur de la Côte-d'Or furent appelés à siéger le 14 août194,195. Inquiet, selon Jules Michelet et Gérard Walter, de cette arrivée qui pouvait préfigurer la constitution d'une coalition avec Jacques Thuriot, Barère et Hérault de Séchelles, Robespierre déclara le soir même aux Jacobins : « Appelé contre mon inclination au Comité de Salut public, j'y ai vu des choses que je n'aurais osé soupçonner. J'y ai vu d'un côté des membres patriotes qui cherchaient en vain le bien de leur pays, et de l'autre, des traîtres qui tramaient au sein même du Comité contre les intérêts du peuple196 ». Au contraire, pour Ernest Hamel, il n'y avait alors encore aucune divergence d'opinion entre Robespierre et Carnot, avec lequel il avait été lié d'amitié à Arras, et les paroles prononcées aux Jacobins le soir du 11 août197, qui ont pu selon lui être infidèlement rapportées, ne l'empêchèrent pas, le 25 septembre, de demander à la Convention de déclarer que le comité avait bien mérité de la patrie198.

La Terreur
Article détaillé : Terreur (Révolution française).

Robespierre.
Portrait (physionotrace) anonyme, vers 1792.
Débats sur son rôle
Le rôle joué par Robespierre au sein du Comité de salut public et son influence réelle sur le gouvernement révolutionnaire font débat. Si maints historiens estiment qu'il disposait d'un ascendant réel, le considérant comme le « maître » du comité de salut public, de la Terreur, de la révolution ou de la France199,200, plusieurs autres contestent l'idée qu'il y ait exercé une quelconque prépondérance et jugent qu'au contraire, il fit l'objet de vives contestations parmi ses collègues201,202. Toutefois, il fut présenté par les thermidoriens – qu'il s'agisse des membres des anciens comités (Bertrand Barère, Jean-Marie Collot d'Herbois, Jacques-Nicolas Billaud-Varenne, Marc Vadier et Jean-Pierre-André Amar) ou des anciens représentants en mission qu'il avait voulu dénoncer (Joseph Fouché, Jean-Lambert Tallien, Stanislas Rovère, Louis Louchet, etc.) – comme l’âme de la « dictature jacobine », imposant un régime de terreur. En décrivant la Terreur comme la dictature d'un seul, « bouc émissaire abattu », les Conventionnels espéraient prouver devant l'opinion « leur non-responsabilité, peut-être même leur innocence, voire leur état de victime et rendre alors justifiable et peut-être logique leur volte-face203 ». Si les mesures d’exception étaient jugées indispensables pour sauver la République gravement menacée à l’intérieur par plusieurs soulèvements (insurrection en Vendée, insurrections fédéralistes, notamment soulèvement de Lyon) et à l’extérieur par la menace militaire (guerre contre les monarchies européennes coalisées), on n'a jamais prouvé la responsabilité de Robespierre dans les dérives et les atrocités de la répression en Vendée, à Lyon, dans le Midi, dans le Nord et à Paris, certains historiens, comme Albert Mathiez ou Jean-Clément Martin jugeant même qu'à ses yeux, la répression ne devait frapper que les vrais coupables, et non les comparses, et se réduire au strict nécessaire204. Jean Massin rappelle que le 28 juillet 1790 à l'assemblée constituante il s'était opposé à Mirabeau quand celui-ci réclamait la proscription du duc de Condé. Il ne jugeait pas indispensable de frapper un émigré par définition hostile aux principes205.

Selon Mathiez, quand Marc-Antoine Jullien de Paris, envoyé en mission par le comité de salut public dans les départements maritimes, l'alerta sur le comportement de Jean-Baptiste Carrier à Nantes206 et de Jean-Lambert Tallien à Bordeaux, il demanda leur rappel, de même qu'il réclama celui de Paul Barras et de Louis Fréron, en mission dans le Midi, de Stanislas Rovère et François-Martin Poultier, qui organisaient dans la Vaucluse les bandes noires pour s'emparer des biens nationaux, de Joseph Le Bon, dénoncé pour ses exactions en Artois, et de Joseph Fouché, responsable des mitraillades à Lyon. Selon le témoignage de sa sœur Charlotte, lorsque ce dernier vint le voir à son retour de Lyon, Robespierre lui « demanda compte du sang qu'il avait fait couler et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d'expression que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses et rejeta les mesures prises sur la gravité des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s'était rendu coupable, que Lyon, il est vrai, avait été en insurrection contre la Convention nationale, mais que ce n'était pas une raison pour faire mitrailler en masse des ennemis désarmés »207. Toutefois, les mémoires de Charlotte, publiés par le militant républicain Albert Laponneraye quarante ans après la mort de l'Incorruptible, visent à réhabiliter celui-ci en le campant comme « doux, compatissant et martyr208. » Dans une de ses dernières interventions, le 26 messidor an II (14 juillet 1794), au club des Jacobins, l'Incorruptible attaque Fouché, le fait exclure, en le classant parmi « les hommes dont les mains sont pleines de rapine et de sang209 ».


Jean-Marie Collot d'Herbois
(musée Carnavalet).
Publiés en 1842, les mémoires de Bertrand Barère évoquent le rappel à Paris de Jean-Marie Collot d'Herbois en raison de la soi-disant indignation soulevée au sein du Comité de salut public par les excès commis à « Ville-Affranchie. » Les mémoires de Charlotte Robespierre (1835) contiennent des allégations similaires à propos de son frère censément horrifié par le sang répandu à Lyon. Or, à l'encontre de cette « tradition, soigneusement entretenue par certains historiens en général favorables à l'action de Robespierre »n 3, Michel Biard relève que le Comité en général et l'Incorruptible en particulier ne sont pas hostiles à la sévère répression lyonnaise exercée par Collot d'Herbois, comme l'attestent divers écrits de Robespierre : une lettre « qui stigmatise [la] trop grande indulgence » des précédents représentants en mission envoyés à Lyon, et deux discours, l'un non daté (contre Fabre d'Églantine) et l'autre du 23 messidor an II211,212.

De nombreux historiens ont cependant fait de Robespierre le principal théoricien de la Terreur213. Cette idée reçue repose en partie sur l'idée selon laquelle il serait resté pendant toute une année, président de la Convention, lui qui ne le fut qu'un mois au total : 21 août-5 septembre 1793 et 4-19 juin 1794. Ces dernières années, les nombreuses études consacrées à la Terreur, tant par les historiens anglophones (Tackett) que francophones (Michel Biard, Hervé Leuwers), obligent à revenir sur cette interprétation, la Terreur n'ayant pas été institutionnalisée, mais étant plutôt un ensemble de pratiques à la fois provoquées par des mesures venues d'en haut et des initiatives locales214. Dans sa biographie de Robespierre, Hervé Leuwers a ainsi montré qu'en parlant de vertu et de terreur, dans son discours célèbre du 5 février 1794 (17 pluviôse de l'an II), Robespierre tentait de théoriser le gouvernement révolutionnaire (et non la Terreur) en s'appuyant sur la théorie politique de Montesquieu qui distinguait les gouvernements républicains (avec pour principe, la vertu), monarchiques (avec l'honneur) et despotiques (avec la crainte ou la terreur) ; Robespierre n'y parlait donc pas de la « Terreur » des historiens. Dans ce texte, explique Hervé Leuwers, Robespierre veut démontrer que « le gouvernement révolutionnaire repose à la fois sur la vertu, parce qu'il est républicain par essence, et sur la terreur, parce qu'il est despotique par nécessité. C'est un « despotisme de la liberté », totalement distinct du despotisme défini par Montesquieu, car la force est ici utilisée contre les ennemis de la république215 ».

Opinion de contemporains
Certains députés comme Laurent Lecointre ont relativisé dès l'an III la responsabilité de Maximilien Robespierre dans la Terreur. De même, sous le Directoire, Reubell a confié à Carnot : « Je n'ai jamais eu qu'un reproche à faire à Robespierre, c'est d'avoir été trop doux216. »

Par la suite, d'autres acteurs ou témoins, comme Napoléon Bonaparte, ont critiqué la thèse thermidorienne selon laquelle Robespierre était l'inspirateur de la Terreur puisque le phénomène avait cessé avec sa mort : « Robespierre, disait Napoléon en présence du général Gaspard Gourgaud et de Mme de Montholon, a été culbuté parce qu'il voulait devenir modérateur et arrêter la Révolution. Jean-Jacques de Cambacérès m'a raconté que, la veille de sa mort, il avait prononcé un magnifique discours qui n'avait jamais été imprimé. Billaud et d'autres terroristes, voyant qu'il faiblissait et qu'il ferait infailliblement tomber leurs têtes, se liguèrent contre lui et excitèrent les honnêtes gens soi-disant, à renverser le « tyran », mais en réalité pour prendre sa place et faire régner la terreur de plus belle217 ». De même, selon Emmanuel de Las Cases, il le pensait « le vrai bouc émissaire de la révolution, immolé dès qu'il avait voulu entreprendre de l'arrêter dans sa course […]. Ils (les terroristes) ont tout jeté sur Robespierre ; mais celui-ci leur répondait, avant de périr, qu'il était étranger aux dernières exécutions ; que, depuis six semaines, il n'avait pas paru aux comités. Napoléon confessait qu'à l'armée de Nice, il avait vu de longues lettres de lui à son frère, blâmant les horreurs des commissaires conventionnels qui perdaient, disait-il, la révolution par leur tyrannie et leurs atrocités, etc., Cambacérès, qui doit être une autorité sur cette époque, observait l'Empereur, avait répondu à l'interpellation qu'il lui adressait un jour sur la condamnation de Robespierre, par ces paroles remarquables : « Sire, cela a été un procès jugé, mais non plaidé. » Ajoutant que Robespierre avait plus de suite et de conception qu'on ne pensait ; qu'après avoir renversé les factions effrénées qu'il avait eu à combattre, son intention avait été le retour à l'ordre et à la modération218 ». Ernest Hamel fait remarquer que Napoléon avait été très proche d'Augustin Robespierre à l'époque du siège de Toulon et que les lettres de Maximilien à son frère ont disparu, probablement détruites par les thermidoriens219.

Robespierre est entré dans la légende noire car cette thèse a trouvé une utilité auprès de quelques grands dictateurs des temps modernes qui se sont réclamés, et de Robespierre et de la Terreur comme une nécessité (les « sévérités nécessaires » pour assurer le « salut public »)220.


Le Vieux Cordelier de Camille Desmoulins, no 3, 15 décembre 1793.
Parmi les « soixante-treize », d'ailleurs, plusieurs ont écrit à Robespierre pour le remercier de les avoir sauvés, comme les députés Charles-Robert Hecquet, Jacques Queinnec, Alexandre-Jean Ruault, Hector de Soubeyran de Saint-Prix, Antoine Delamarre, Claude Blad et Pierre-Charles Vincent le 29 nivôse an II (18 janvier 1794)221, ou pour lui demander de proposer une amnistie générale, comme Pierre-Joseph Faure, député de Seine-Inférieure, le 19 prairial an II (7 juin 1794), veille de la fête de l'Être suprême222 et Claude-Joseph Girault, député des Côtes-du-Nord, enfermé à la prison de La Force, le 26 prairial 1794223.

Actions de Robespierre
Le 30 frimaire an II (20 décembre 1793), Robespierre proposa devant la Convention l'institution d'un comité de justice, qui allait dans le sens du « comité de clémence » réclamé par Camille Desmoulins dans le quatrième numéro du Vieux Cordelier (20 décembre), pour rechercher et élargir les patriotes injustement détenus. Toutefois, cette proposition fut rejetée le 6 nivôse (26 décembre), après un débat confus, devant l'opposition du Comité de sûreté générale, jaloux de ses prérogatives, et celle de Jacques-Nicolas Billaud-Varenne224. Aux Jacobins, lors de la séance du 29 ventôse (19 mars 1794), il s'opposa à la discussion sur les signataires des pétitions royalistes dites des 8 000 et des 20 000225. De même, il tenta en vain de sauver Madame Élisabeth de France, s'opposant ainsi à Jacques-René Hébert le 1er frimaire an II (21 novembre 1793) qui demandait notamment aux Jacobins « qu'on poursuive l'extinction de la race de Capet226 », et, d'après le témoignage du libraire Maret, rapporté par le royaliste Claude Beaulieu227, affirma, après son exécution en mai 1794 : « Je vous garantis, mon cher Maret, que, loin d'être l'auteur de la mort de Madame Élisabeth, j'ai voulu la sauver. C'est ce scélérat de Jean-Marie Collot d'Herbois qui me l'a arrachée. » Il tenta de la même façon de sauver l'ancien constituant Jacques-Guillaume Thouret, que l'on avait compromis dans la soi-disant conspiration des prisons, et, seul, refusa de signer le mandat d'arrestation228.

Dans une brochure publiée au début de la Restauration, Ève Demaillotn 4, un agent du Comité de salut public, nommé en mai 1794 commissaire dans le Loiret, affirma y avoir été envoyé par Robespierre afin d'élargir les suspects arrêtés sur l'ordre de Léonard Bourdon, qui furent presque tous délivrés, et parmi eux « l'abbé Le Duc229, fils naturel de Louis XV, prêt à aller à l'échafaud, [qui] dut la vie à Robespierre230 ».

Enfin, le 9 thermidor - 27 juillet 1794 Jacques-Nicolas Billaud-Varenne reprocha à Robespierre son indulgence, expliquant : « La première fois que je dénonçai Georges Danton au Comité, Robespierre se leva comme un furieux, en disant qu'il voyait mes intentions, que je voulais perdre les meilleurs patriotes231 ».

Or, pour le publiciste royaliste Claude Beaulieu, « il reste pour constant que les plus grandes violences depuis le commencement de l'année 1794, ont été provoquées par ceux-là mêmes qui ont écrasé Robespierre. Uniquement occupés, dans nos prisons, à rechercher dans les discours qu'on prononçait, soit aux Jacobins soit à la Convention, quels étaient les hommes qui nous laissaient quelque espoir, nous y voyions que tout ce qu'on disait était désolant, mais que Robespierre paraissait encore le moins outré232 ».

La « liquidation des factions »

Mandat d'arrêt de Danton et de ses amis par le Comité de Salut public, le 30 mars 1794 (Archives nationales, Paris).
Fin 1793, la majorité des Conventionnels continua à soutenir le Comité de salut public qui obtint ses premières victoires militaires, mais les luttes pour le pouvoir entre révolutionnaires s’exacerbèrent, dans un contexte de crise économique aggravée par la loi sur le maximum général. Ceux qui voulurent arrêter la Terreur, jugée inutile et dangereuse, autour de Danton et de Desmoulins, reçurent le surnom d’Indulgents. Ceux qui entendirent la radicaliser et l’étendre aux pays voisins, autour des dirigeants du club des Cordeliers, Hébert, rédacteur du Père Duchesne, le journal des sans-culottes, François-Nicolas Vincent, secrétaire général du ministère de la Guerre, Charles-Philippe Ronsin, chef de l’armée révolutionnaire parisienne, avec l’appui de Commune, reçurent a posteriori celui d’Hébertistes.

De la fin de novembre 1793 au milieu de janvier 1794, il se forma comme un axe Robespierre-Danton pour combattre la montée des Hébertistes et la déchristianisation qui se déchaîna en novembre. Il semble que Danton ait espéré détacher Robespierre de la gauche du Comité (Billaud-Varenne, Collot d'Herbois et Barère) et partager avec lui les responsabilités gouvernementales. Les amis de Danton attaquèrent les leaders hébertistes avec l’approbation tacite de Robespierre et firent décréter d’arrestation par la Convention le 27 frimaire an II (17 décembre 1793), Ronsin et Vincent, sans même en référer aux Comités. Cette offensive fut appuyée par le nouveau journal de Camille Desmoulins, Le Vieux Cordelier, qui obtint un grand succès. En même temps, les Indulgents passèrent à l’offensive : le 15 décembre, le Vieux Cordelier s’en prit à la loi contre les suspects.

Robespierre mit fin aux espoirs d’alliance de Danton le 25 décembre, après le retour de Collot de Lyon, et amalgama les deux factions adverses dans une même réprobation : « Le Gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès ; le modérantisme qui est à la modération ce que l’impuissance est à la chasteté ; et l’excès qui ressemble à l’énergie comme l’hydropisie à la santé233. » À égale distance des factions, il condamna ceux qui auraient voulu voir la révolution rebondir ou rétrograder. Stratégie politique efficace qui lui donna une position de juge moral et d’arbitre et lui permettra de renforcer son contrôle du pouvoir et d’éliminer ses opposants. C'est cette stratégie qui explique qu'il décida de lancer, le 5 nivôse (28 décembre 1793), le processus d'héroïsation de Joseph Bara, en demandant sa panthéonisation à partir d'une lettre envoyée par le chef de Bara, Jean-Baptiste Desmarres234.


Hébert, Chaumette, Vincent et Gobel sur la charrette les menant à la guillotine. Tableaux historiques de la Révolution française, Paris, BnF, département des estampes, 1802.
Les deux factions se combattirent en vain pendant deux mois. À la fin de l’hiver, la situation économique catastrophique (attroupements devant les boutiques, pillages, violences) précipita le dénouement. Les Hébertistes tentèrent une insurrection qui, mal préparée, non suivie par la Commune, échoua. Le Comité fit arrêter les dirigeants cordeliers dans la nuit du 13 au 14 mars. La technique de l’amalgame permit de mêler à Hébert, Ronsin, Vincent et Antoine-Français Momoro des réfugiés étrangers comme Anacharsis Cloots, Berthold Proli, Jacob Pereira, afin de les présenter comme des complices du « complot de l’étranger ». Tous furent exécutés le 24 mars sans que les sans-culottes ne bougent.


Hébert conduit à la guillotine (à droite), et Danton durant son procès (à gauche). Croquis pris sur le vif par Dominique Vivant Denon (collection particulière).
Le lendemain de l’arrestation des Hébertistes, Danton et ses amis reprirent l’offensive. Le numéro 7 du Vieux Cordelier, qui ne parut pas, réclamait le renouvellement du Comité et une paix aussi rapide que possible. Ce numéro, contrairement aux précédents, attaquait frontalement Robespierre, à qui il reprochait son discours prononcé aux jacobins contre les Anglais, le 11 pluviôse an II (30 janvier 1794) : vouloir, comme autrefois Brissot avec l'Europe continentale, municipaliser l'Angleterre. Mais Robespierre disposait contre les chefs des Indulgents d’une arme efficace, le scandale politico-financier de la liquidation de la Compagnie des Indes, dans lequel furent impliqués des amis de Danton.

Le 30 mars, le Comité ordonna l’arrestation de Danton, Delacroix, Desmoulins et Pierre Philippeaux. Comme pour les Hébertistes, on amalgama aux accusés politiques des prévaricateurs et des affairistes, étrangers de surcroît, pour rattacher les accusés à cette « conspiration de l’étranger ». Le procès, ouvert le 2 avril, fut un procès politique, jugé d’avance. Danton et ses amis furent guillotinés le 5 avril. Pour les Hébertistes comme pour les Dantonistes, ce fut Saint-Just qui se chargea du rapport d’accusation devant la Convention, en utilisant et en corrigeant pour les Dantonistes les notes de Robespierre.