Quelques extraits d'analyses sur ce curieux ouvrage:
Charles Nodier, Dictionnaire raisonné des onomatopées
(Lise Sabourin - Studi Francesi N°162 - 2008)
Réfléchissant sur linguistique et esthétique bien avant les travaux du xxe siècle, d’une manière pour nous aujourd’hui surprenante, Nodier tente par ce dictionnaire de méditer sur les rapports entre bien dire et dire vrai en les fondant sur une généalogie de la langue. «La dimension sensorielle du lexique, l’inscription de la lettre comme gage d’historicité, le style en tant que manifestation esthétique consubstantielle à la langue et à la vie sociale» (Introduction, p. VIII) constituent ses trois critères d’analyse.
Nodier reprend, en les radicalisant ou en y répondant, certaines recherches de ses devanciers, Condillac et Rousseau, mais aussi Bernardin de Saint-Pierre et Pinot-Duclos, Bonald et les «casuistes du sens littéral». Pour lui, «toute langue est intouchable, moins parce qu’elle est transcendante et sacrée que parce qu’elle est humaine» (p. XII). Aussi s’intéresse-t-il aux parlers dialectaux pour leur transmission en ligne directe, leur ancrage territorial, leur manifestation orale. Il opte cependant pour une graphie historique plutôt que phonique pour conserver la raison de l’écriture des sons, restant attaché au concept de dégénérescence des langues au fil des âges, même s’il adopte une vision palingénésique à la Ballanche ou plutôt à la manière de Charles Bonnet,
de «progrès par recréations successives» (selon l’expression de Paul Bénichou).
Ayant rencontré en 1805 l’avocat David de Saint-Georges, il entreprend ce dictionnaire des onomatopées, à partir de compilations de Nicot, Ménage, Court de Gébelin et du président de Brosses; mais la première parution en 1808 manque en fait de références que Nodier compense par une érudition acharnée pour la 2e édition qui comporte plus d’une centaine d’entrées supplémentaires, vingt ans plus tard, contemporaine de l’Examen critique des dictionnaires et des Notions élémentaires de linguistique.
Il étend les onomatopées, au-delà du mimétisme des bruits élémentaires, humains, ruraux (d’animaux, notamment d’oiseaux, comme le montre le précieux commentaire de la Philomela d’Ovidius Juventinus, avec sa traduction française en fin de volume) et mécaniques, vers celles idiomatiques qui lui semblent concilier la figure ou l’aspect d’un objet avec son parcours logico-sémantique (liant par exemple le son de «cascade» au sens du latin cadere).
Cet ouvrage concernerait plus les linguistes si «son anachronisme foncier, sa validité à tout instant récusable» n’étaient compensés par une «pérennité fantasmatique fondée sur une quête romantique de l’absolu» (p. XXXII), malgré une démarche technique et métalinguistique plus que poétique ou ludique à la façon de Leiris ou Ponge.
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(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, t. XI, 1874)
«Ce livre, adopté presque aussitôt par la commission d’instruction publique pour les bibliothèques et les lycées,
est curieux et rempli d’érudition.
On peut le regarder comme un petit chef-d’oeuvre de la linguistique moderne. La préface qui le précède a été écrite avec ce goût délicat et ce style charmant qui caractérisent le talent de Charles Nodier. Il faut avouer pourtant que l’auteur va un peu trop loin lorsqu’il considère l’onomatopée comme la source unique de toutes les langues ; il aurait pu se borner à induire d’une grande quantité de mots que ce fut, à l’origine, une des sources les plus abondantes, mais à l’origine seulement. “L’onomatopée, dit-il, est le type des langues prononcées comme l’hiéroglyphe est le type des langues écrites. Ainsi, soit par des signes figurés, soit par des sons, l’homme en créant le langage a cherché à donner une idée de l’objet qu’il avait en vue”. Cette base est solide, à condition qu’on ne l’élargisse pas indéfiniment. L’ouvrage de Nodier est plein de recherches et d’observations fines. Non seulement on y trouve toutes les onomatopées françaises, celles qui en ont le caractère indubitable, mais Nodier restitue ce caractère à une foule de mots qui l’avaient perdu par suite d’un long usage, et il le fait apercevoir dans une foule d’autres où il est moins marqué. Ainsi, il fait observer que les noms des principaux organes de la parole commencent en français par une articulation qui met en jeu l’organe même désigné : gosier commence par une gutturale, langue par une linguale, dent par une dentale, nez par une nasale, etc. ;
il y a là, en effet, une tendance imitative qui tient de l’onomatopée.»
(Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, t. XI, 1874)
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Julien Longhi
(Une philosophie esthétique : le Dictionnaire des onomatopées de Nodier - 2008)
Une Préface
À la tête de son recueil, Nodier souhaite donner une idée plus distincte de l’onomatopée, avec quelques précisions théoriques :
en particulier, la parole est le signe de la pensée ; l’écriture est le signe de la parole ; les noms des choses, parlés, ont été l’imitation de leurs sons, et les noms, écrits, l’imitation de leurs formes ; les premiers rapports des choses sensibles et des choses intellectuelles ne peuvent être que difficilement retrouvés : il restera dans les langues une partie que l’on peut appeler langue abstraite,
et dont l’origine se démontrera par une suite d’analyses.
Autre point : la nature se nomme. Les modifications dans la nature des sons dépendent de toutes sortes d’influences, comme les climats : dans le vocabulaire des pays chauds, tous les mots sont vocaux et fluides, alors que dans les pays froids les mots sont rudes et consonants. Des sensations de tous les sens peuvent être comparées à celles de l’ouïe, et le signe de l’objet se transmet alors à la parole. L’onomatopée est d’un grand secours au poète, mais seuls les poètes de talent savent l’utiliser de manière adéquate.
Concernant la composition de l’ouvrage, Nodier a dû se résoudre à ne pas recenser les onomatopées de tous les peuples : il a donc établi une énumération raisonnée des onomatopées françaises, sans négliger les principales onomatopées des langues mortes ou étrangères. Parmi les onomatopées introduites, Nodier a introduit celles qui ont été naturalisées par l’usage de certains écrivains,
ainsi que celles tombées en désuétude.
Appendice
L’ouvrage présente ensuite en appendice le poème de la Philomèle, souvent cité dans ce dictionnaire, et peu connu.
Nodier le présente donc, et joint quarante-neuf remarques à son sujet, ainsi qu’une traduction. Les remarques sont d’ordre lexicographique, historique, ou concernent les différentes éditions ou traductions du texte.