Charles BAUDELAIRE (1821 – 1867) – Poète

Lettre autographe signée Charles Baudelaire adressée à Jean Wallon – [Neuilly]. Lundi 29 juillet 1850 – 2 pp. sur un feuillet in-4 (15,5 x 20 cm).

Lettre énigmatique dont le mystère a récemment été dissipé

« Faites-moi le plaisir de venir le 2 août, vendredi, à 11h du matin, à l’Estaminet de Paris, au Palais [na]tional [le Palais Royal rebaptisé Palais National en 1848]. Nous déjeunerons ensemble. Cela a pour but de vous faire voir un homme singulier. – Voici que Legallois devient prophète, et mystique bonapartiste, mouchard sans doute. Je suis fâché de ne vous envoyer qu’une si triste plaisanterie et qui vous coûtera un gros port, en échange de votre chat et de votre saumon qui m’ont martelé la tête toute une journée, et même encore après. Il est vrai que j’ai fait partager ma curiosité à Th. Gautier. Mais il n’a pas plus que m[oi] deviné d’où cela venait était tiré. Si vous n’avez pas le même courage de liseur que moi, je vous recommande au moins l’Épilogue. »

Écrivain et théologien catholique, Gustave-Léon Wallon, dit Jean Wallon (1821-1882) appartient au cercle des proches de Baudelaire, dont il fut d’ailleurs voisin pendant un temps, dans l’île Saint-Louis (1842). Dans les années 1840, il fait partie de la bohème parisienne et inspirera à Henry Murger le personnage de Gustave Colline des Scènes de la vie de bohème. Ses orientations politiques le conduiront du socialisme au catholicisme ; il fondera en janvier 1849 la Revue de l’ordre social, dont l’ambition est d’adresser un « avertissement aux familles contre les erreurs de l’époque ». Ses divergences de vue avec Baudelaire n’altéreront en rien une amitié durable.

Sur le mystérieux L…….. : en reproduisant le fac-similé de la lettre, Emmanuel Martin avait masqué le nom « Legallois » (Charles Baudelaire, Lettres autographes (1850-1865), Paris, Vve J. Leroy, 1924). Lorsque la missive fut transcrite pour la première fois en 1933, Félix-François Gautier et Yves-Gérard Le Dantec proposèrent le nom de Lamartine, hypothèse qui fut ensuite retenue par Jacques Crépet et, à sa suite, par Claude Pichois. La réapparition du document en 2015 permettra d’identifier Pierre-Auguste Legallois (1815-1877), éditeur propagandiste proche de l’extrême gauche républicaine, vieille connaissance de Baudelaire, dont il adresse ici à Wallon un pamphlet de deux pages, paru l’année précédente, intitulé Un Normand socialiste ou indignation prophétique de l’homme de la Montagne.

Sur le chat et le saumon : Claude Pichois rattache cette référence à une version du LIe conte des Mille et Une Nuits. Plus vraisemblablement, Wallon a pu tirer ces lignes d’une publication de 1828, les Contes irlandais (Pierre-Armand Dufau), où l’on trouve la « Légende de Knockseogowna » décrivant un grand Chat noir qui « pirouetta jusqu’à ce qu’il tomba par terre, d’où il se releva jusqu’à ce qu’il tomba par terre, d’où il se releva sous la forme d’un saumon, avec une cravate autour de son cou et une paire de bottes à revers. »

Cette notice s’inspire des recherches réalisées par Andrea Schellino, que nous remercions vivement pour son aide si précieuse. Pour consulter l’intégralité de l’étude consacrée à cette lettre : Andrea Schellino, « Baudelaire et Auguste Legallois. Une "énigme" résolue », Revue européenne de recherches sur la poésie, n°2, 2016, Classique Garnier).

Références : Baudelaire – Correspondance, T. I, page 166, Pléiade.

Provenance : Collection Jean Patou, vente Pierre Bergé & associés, mai 2015.

 

Trou central touchant deux mots, voir photos.