P.-J. de Béranger descendait dune branche déchue de l'antique Maison des marquis de Bérenger. Pâlot et chétif, il nest envoyé que tardivement à l'école où il ne se sent pas à l'aise. Ses vrais instituteurs et éducateurs sont les grands-parents Champy. On le conduit parfois chez sa mère qui, aimant le théâtre, les bals, les parties de campagne, l'emmène avec elle.
Début 1789, après avoir couru les routes, Béranger de Mersix se fixe de nouveau à Paris et fait entrer son fils comme pensionnaire chez l'abbé Chantereau. Le père de Pierre-Jean était un agent d'affaires, ardent royaliste, qui se compromit pendant la Révolution française et fut obligé de se cacher. Il rencontre alors Charles-Simon Favart, fondateur de l'opéra-comique. Malgré ses 79 ans, celui-ci porte encore avec orgueil le titre de « chansonnier de l'armée » que lui avait donné le maréchal de Saxe. Plus tard, Béranger verra dans cette attirance la marque de sa vocation.
Las de payer le prix de la pension, son père décide de l'envoyer chez sa tante qui tient une auberge à Péronne. L'état de garçon d'auberge ne lui convient pas et il passe chez un notaire devenu juge de paix. Savant, disciple fervent de Rousseau et passionnément éducateur, M. de Ballue de Bellenglise recrute les gamins de Péronne qu'il endoctrine dans une école primaire gratuite l'Institut patriotique. Il travaille à faire de cette jeunesse des citoyens utiles à la patrie. Après la rhétorique « rousseauiste » et révolutionnaire, les recrues entonnent des chants républicains. Jamais Pierre-Jean na senti aussi profondément la puissance de la chanson. Il y puisa quelques instructions, mais sans s'initier aux langues anciennes. Pour compléter son éducation, il entre à 14 ans comme apprenti chez l'imprimeur Laisney où il parvient à s'initier à la poésie. La nostalgie de son séjour à Péronne inspirera à Béranger Souvenirs d'enfance.
De retour à Paris en 1795, Pierre-Jean, pour être commis chez son père, qui faisait alors de la banque, fait immédiatement l'apprentissage de prêteur sur gages. Son père se repose sur lui pour faire prospérer ses affaires alors qu'il prépare le retour du roi, mais la maison fait faillite. Avec les débris de sa fortune, il achète un cabinet de lecture. Pierre-Jean trouve une mansarde au sixième étage. Il passe des heures au cabinet de lecture et, revenant à sa vocation antérieure, aligne des rimes, glorifie de son mieux l'amour, les femmes, le vin, tente la satire Il se livre à la poésie, s'essayant successivement dans l'épopée, l'idylle, le dithyrambe, la comédie, et ne s'attache qu'assez tard au genre qui devait l'immortaliser. Le soir, il remonte dans sa mansarde : « Le Grenier ».
Après avoir lu Léonard et Gessner, il tâche de composer des idylles et en réussit une, « Glycère », qui parait dans « Les Saisons du Parnasse ». Après, c'est le grand poème qui l'attire et il esquisse un « Clovis », puis c'est la comédie satirique. Son goût nest pas encore très sûr et les modèles lui manquent. Dans les appartements du docteur Mellet à Montmartre, une académie de chanson se fonde où Pierre-Jean, suivant la veine du XVIIIe siècle, développe ses dons et essaie sa muse. Son ami Wilhem (1782-) adapte ses airs (comme « les Adieux de Marie Stuart ») sur ses romances dolentes.
Courant Paris à la recherche dun « protecteur », il s'adresse en 1804 à Lucien Bonaparte. Il joint à sa lettre quelque cinq cents vers, dont « Le Déluge ». Bonaparte lui donne procuration pour toucher son traitement de membre de l'Institut. En 1809, sur les recommandations d'Arnault, il est attaché comme expéditionnaire aux bureaux de l'Université. Tout en s'acquittant de sa besogne de copiste, il fait de joyeuses et piquantes chansons. Au début des années 1810, il est déjà célèbre à Péronne. On l'appelle pour présider des banquets et égayer le dessert par ses chansons. Il retrouve une veine gaillarde, libre des fadeurs de la mode, ainsi la chanson « Les Gueux », inspirée dun refrain bohème du XVIIe siècle.
Fin 1805, l'ancien Caveau ressuscite. La Clé du Caveau est publiée chaque année. Ce recueil de chansons et d'airs permet à Béranger (entré au Caveau moderne fin 1813), Désaugiers et leurs amis de faire connaître leurs chansons au peuple, mais des copies circulent déjà, et Béranger est connu pour Le Sénateur, Le Petit Homme gris, et surtout Le Roi dYvetot. En novembre 1815, Béranger hasarde la publication de quelques airs : Les Chansons morales et autres. Le succès lui donne de l'assurance et il prend position dans le libéralisme.
Après le retour du roi Louis XVIII en 1815, Béranger va exploiter les thèmes du respect de la liberté, de la haine de lAncien Régime, de la suprématie cléricale, du souvenir des gloires passées et de lespoir dune revanche. Alors que la presse nest point libre, il renouvelle la chanson dont il fait une arme politique, un instrument de propagande : il attaque la Restauration et célèbre les gloires de la République et de l'Empire. C'est le temps de La Cocarde blanche et du Marquis de Carabas. Béranger apporte la poésie dont ont besoin ceux qui ont déserté la cause royale. Le cercle de ses amitiés s'élargit et on le voit dans de nombreux salons. Il accepte de collaborer à la Minerve avec Étienne de Jouy, Charles-Guillaume Étienne et Benjamin Constant.
En 1820, le Vieux Drapeau est clandestinement répandu dans les casernes.
Béranger devient vraiment la voix du peuple ou « lhomme-nation » comme le dira Lamartine.
Son œuvre de poète pamphlétaire est déjà considérable : il a attaqué les magistrats dans Le Juge de Charenton, les députés dans Le Ventru, les prêtres et les jésuites partout.
Ses chansons paraissent le 25 octobre 1821.
En 1828, il se voit condamner de nouveau, mais cette fois à neuf mois de prison et 10 000 francs d'amende. Ces condamnations ne font que rendre son nom plus populaire ; l'amende est acquittée par souscription. C'est à cette époque que le peintre Ary Scheffer, un de ses sympathisants, brosse son portrait (1828, Musée de la Vie romantique, Paris) - et que le sculpteur David d'Angers grave son profil en médaillon (même collection). Après la révolution de 1830, il traite surtout des sujets philosophiques et humanitaire]. Jaloux de son indépendance, il ne veut accepter aucun emploi de la monarchie de Juillet. En 1848 il fait partie, à l'Élysée, de la commission des secours, dignité non lucrative, mais qui convenait à son cur. À cette occasion il reçoit l'hommage de 800 chanteurs, musiciens et mendiants des rues. Ils sont conduits par son ami Aubert, syndic et doyen des chanteurs des rues de Paris.
La même année, élu représentant du peuple, il refuse de siéger. Aussi bienfaisant que désintéressé, il n'use de son crédit que pour rendre service. Il meurt pauvre : le gouvernement impérial fait les frais de ses funérailles.
Paris
Baudouin frères, éditeurs
1821 / 1821 / 1825 / 1828