Un livre est une usine la plus petite du monde et la plus robuste. Oubliez un roman dans la cave. Vingt ans plus tard soufflez sur la poussière qui emmitoufle ses pages et vous entendez du bruit. Des bielles des pistons vont et viennent. On dirait qu'un coeur se remet à battre et Madame Bovary appelle Rodolphe. Et le prince André meurt à la bataille de Borodino.
C'est pourquoi j'aime relire. Je comprends à présent que Marguerite Duras fut une des plus belles voix de son siècle et que le style absent de Simenon est un grand style. Le génie de Tolstoi est inchangé mais cette saison j'entends aussi au milieu du fracas de la guerre la timide voix du soldat Platon Karataiev.
Ainsi va la littérature. Elle fait semblant de dormir mais elle travaille. Blottie dans sa nuit elle remue.
Gilles Lapouge