Henri Dutilleux (1916-2013)


Spectaculaire ensemble de 10 cartes postales autographes signées, daté du 22 août 1980, adressé au compositeur Marcel Mihalovici (1898-1985) et à son épouse la pianiste Monique Haas (1909-1997).


Pour le compositeur, alors âgé de 64 ans, le jeu consiste à écrire une longue lettre amicale sur une série de cartes postales en se référant à ce qu’elles représentent.


Il s’adresse à ses amis intimes (« my dear friends ») et sa lettre constitue un hommage rendu à Marcel Mihalovici, son aîné de l’École de Paris. Par ailleurs, n’oublions pas que les épouses de ces messieurs, Monique Haas et Geneviève Joy, sont parmi les pianistes les plus célèbres et les plus enregistrées de cette époque, ce qui cèle davantage encore leur amitié.


La première carte représente une rose jaune destinée à Monique Haas : c’est la réponse à la carte de Chip (c’est ainsi que ses amis surnommaient Marcel Mihalovici), envoyée de Bolzano où sont les Mihalovici – avec une référence à Montaigne.


Dutilleux fait ensuite un compte rendu d’une émission de radio, entendue deux jours auparavant sur France culture, au cours de laquelle une voix amicale évoque Boulez « et ses dons multiples de créateur, de pédagogue, d’interprète (chef d’orchestre), des ennemis qu’il s’est faits et qu’il a mérités car il peut être agressif, de son intelligence et de sa fidélité en amitié » avant l’audition du Marteau sans maître. Après Frank Martin, la « voix amicale que vous avez déjà reconnue et pas seulement par le choix de mes cartes » (carte de la cathédrale de Saint Gall, Suisse) – il s’agit bien sûr de Paul Sacher – c’est au tour de Marcel Mihalovici d’être cité : « compositeur d’origine roumaine, rencontré pour la première fois à Barcelone lors d’un festival de la S.I.M.C. où était donné la première audition du Concerto à la mémoire d’un ange. Sensibilité, affection et admiration pour le musicien « chez qui l’influence du folklore est, certes, perceptible mais un folklore complètement transfiguré, un peu comme pour Bartok… »


Carte du renard… Audition de Asercizio per archi.


Les « Entretiens avec Paul Sacher » étaient ensuite consacrés à l’École de Paris : Conrad Beck et Martinů, et aussi beaucoup à Stravinsky. Au travers de ces conversations radiophoniques, Dutilleux découvre des aspects de la personnalité de Sacher qui lui avaient échappés…


Dutilleux évoque sa vie à Paris, mais aussi le Centre Acanthes avec les 4 journées danoises, et le Conservatoire de Fontainebleau. Le musée Napoléon lui fait changer de carte… Il parle ensuite de son épouse Geneviève, savoure le calme de l’Ile Saint-Louis – ce quartier de Paris où il résidait et qu’il aimait tant – et prépare une cure de thalassothérapie à Quiberon. Il attend de Chip des nouvelles de Ina Marika, l’assistante de Monique Haas au CNSM, amie de Martinů et de Harsanyi.


Chip ne lui parlait pas du Watergate… mais du Quatuor roumain Orfeu qui interprète son quatuor Ainsi la nuit. Dutilleux a invité à dîner chez lui les musiciens du quatuor. On apprend à cette occasion que le grand compositeur cultivait des pieds de tomates sur son balcon. Les coquilles Saint-Jacques provenaient de la célèbre charcuterie Battendier, dans le premier arrondissement de Paris, ce qui n’est pas étonnant de la part du fin gourmet qu’était Henri Dutilleux. Le quatuor semble se séparer. Est-il à l’eau ? Il n’en revient pas ! Il s’intéresse au quatuor que Chip achève de composer, et, à propos de la Sonate pour violoncelle de ce dernier, lui dit de ne pas s’inquiéter du silence de Slava [Mstislav Rostropovitch]  qui est à Washington pour le Wolftrap Festival, puis à Mexico et en Angleterre. Il ne l’a pas revu depuis la fin juin… Il signe Henri.


Magnifique texte du génial compositeur à ses amis intimes.


Précieux document.