[CAMUS] Char, René (1907-1988)
Lettre autographe
signée « René Char » à Marianne Oswald
S.l, 15 mars, 2 p. in-8°
Traces de pliures, déchirure centrale et marginales sans manque
Émouvante
lettre de René Char évoquant, entre autres, le souvenir de son ami Albert Camus
à l’occasion d’une lecture des ses poèmes
« Bien sûr,
j’écrirai demain à Oliver une lettre dans le sens que tu me demandes. Je n’ai
jamais envisagé autre chose qu’un motif de cet ordre là.
C’est d’accord pour ton projet de soirée à Cologne en ce qui concerne la
lecture de mes poèmes, dédiés à l’amitié d’Albert Camus (“Feuillets d’Hypnos”
lui était dédié). Tu feras cela très bien, je n’en doute pas. Il faut surtout y
parler d’Albert et du terrible vide que sa disparition a creusé. C’est à
l’amitié qu’incombe de fleurir ce vide. La seule réserve concerne le
film. Je ne puis répondre à la place d’Yvonne Zervos, car nous n’avons plus
reparlé de ce film depuis beaucoup d’ans, elle est moi.
Un dernier mot à propos “du choc grave” que tu me dis avoir reçu. Les effets
et la cause sont disproportionnés et excessifs. Il faut accepter de se tromper,
d’agir parfois de façon erroné, de n’en plus parler, ou de le reconnaître, enfin.
Ce n’est ni humiliant, ni affreux. Et bien des traces, des peines
n’arriveraient pas – outre les malentendus – si l’on ne s’acharnait pas même
par un orgueil mal placé dans son infaillibilité. La guerre m’a appris cela.
Je suppose que si madame [Florence] Delay et sa fille n’ont pas
assisté à ta projection c’est tout simplement parce qu’elles étaient absentes
de Paris. Rien qui doive te laisser “perplexe” comme tu écris.
Au revoir, mon petit, je t’embrasse sans rancune aucune.
René Char »
René Char et
Albert Camus ont entretenu une profonde amitié, sceau ultime de ces deux
parcours croisés au sortir de la guerre avec leurs ressemblances et
différences.
En 1946, lecteur
chez Gallimard, Camus fait publier les Feuillets d’Hypnos de Char –
aphorismes aux semblants poétiques relatant l’expérience du maquis. En 1947,
Char lit à son tour Camus, et qualifie de « très grand livre » La
Peste. Le poète écrit que « les enfants vont pouvoir à nouveau
grandir, les chimères respirer », le romancier lui répond qu’il est
« le seul poète aujourd’hui qui ait osé défendre la beauté, le dire
explicitement, prouver qu’on peut se battre pour elle en même temps que pour le
pain de tous les jours ». Les deux auteurs, qui se sont déjà rapprochés,
acquièrent une grande notoriété.
En 1949, ils
échangent sur l’amour, se livrent à quelques confidences plus intimes. Peu à
peu, le tout glisse vers un véritable partage spirituel et moral. L’admiration
est réciproque : Camus lui écrit en 1956 qu’« Avant de [le]
connaître, [il se] passai[t] de poésie » ; Char loue son talent dans Le
Figaro en 1957, après que son ami a obtenu le prix Nobel de littérature.
S’ensuit une dense correspondance épistolaire, qui prend fin la veille de la
mort de Camus, le 4 janvier 1960. Dans notre lettre, Char évoque le
« terrible vide » qu’il ressent après la triste fin de son ami dans
un accident de voiture.
Marianne OSWALD
(1901-1985), chanteuse et actrice, amie des poètes, était une remarquable
diseuse ; elle collabora à ses émissions radiophoniques ou télévisées
consacrées à la poésie.
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