VACHER, Joseph (1869-1898)
Lettre autographe signée « Joseph Vacher » au docteur
Lacassagne
[Prison de] Belley, le 30 Xbre [décembre] 1897, 4 p. in-8° sur papier quadrillé
Anciennes traces d’adhésif sur les deuxième et troisième pages sans atteinte à
la lecture, quelques petits défauts
Longue lettre Joseph Vacher, l’un des
premiers tueurs en série français
D’une graphie anarchique et à l’orthographe
approximative, le « Jack l’Éventreur du Sud-Est » rédige ses volontés avant son
tout prochain transfert pour la prison de Saint-Paul de Lyon
Personnage très instruit, Vacher commet toutefois de
nombreuses entorses délibérées avec son orthographe, la conjugaison et les
accords, jusqu’aux formules argotiques. Nous transcrivons la lettre telle qu’il
l’a rédigée :
« Dieu – Droit – Devoir
[…]
Messieurs les Docteurs,
Pour le second plan d’actualité il me reste à vous il nous reste les petites
affaires les plus sérieuses –
J’ai oublié la question (par exemple) du bonnet bi-bi ordinaire… Ce n’est
pas la moins importante dans mon affaire, quoioi qu’elle pourrait paraître (à
certains) insignifiante. La providence qui seul me l’a donné, comme de ses
mains, comme ainsi je vous l’ai expliqué… me rappelle que quoiqu’en peau de
lapin, elle en vaut bien une autre (peau de chien ou de boucain etc…) et il est
tout naturel que je me soit servi à cet effet de ce que le hasard me faisait
tomber le plus souvent sur la main…
J’ai réfléchi sur cette question, et comme mon affaire a une portée sur
chacun je me suis dis : oui le bonnet il me le faut et aussi blanc que celui
que j’ai à ma tête sur mes photografies, que j’ai eu à mon entrée… Je
pensais acheter un chapeau (pas cris [gris], car il y en a pas,
peut-être, mais un des plus rapprochant, mais je me suis dit : « il faut
dis-je, ne pas aller plus vite que les choses, que les profètes dans mon
affaire et éviter autant que possible les aboiements de mes chiens (car je ne suis
pas moi aussi, sans en avoir et faire en sorte que ceux qui ont bonne voix
(petit ou gros) ne se fasse entendre qu’à l’heure des matines.
Pour cela je me suis dit : Il faudrait que mes hommes, m’achète eux-mêmes le
chapeau et m’apportent la casquette que je remporterais entre les mains à
l’hospice, ployée, dans un comme dans un petit colis. Mais comme cette affaire
est entre les mains de Dieu avant tout, je vous averti, que je demanderai 5
minutes de solitude pour visiter mon petit colis… Faites en sorte qu’il me soit
le plus facile à visiter…
Qu’il soit surtout fait pas les vautres.
Je m’emporterais avec moi que la Bible de la main droite pliyee en colis. Ma
chemise est lavée, bien que celle-ci se soit un peu usé elle est encore
cholide… Je n’étoierais et batrai autant qu’il me sera possible avec ma brosse
de la main droite mes autres effets que je dois emporter sur moi afin de
laisser près du Rhône ce que j’ai ramassé près du Rhône. Je mettrai mon
antique B.[ible] ployé dans une feuille blanche dans la poche de
ma veste.
Mes remèdes, livres et instruments seront remis à leur place dans la caisse
en carton qui a déjà servi pour eux.
Le reste – (au bureau) y restera
rangé dans mon sac. Quant à l’acordéon j’espère lui redonner de mes nouvelles.
– J’emporterais mon livret militaire et mon portefeuille que je demanderai à
mon départ seulement à Mr le Juge d’Instructions en lui remettant pour joindre
à mon sac la caisse du docteur…
J’ai réfléchi aussi sur les lettres qu’on m’a demandées ou photografies… Comme on m’a dit plusieurs fois que je
reviendrais à Belley (ou ne reviendrais pas…) je me réserve d’écrire ces
lettres plus tard…
En tout cas depuis que j’ai commencé à demander régulièrement à la cantine
du saucisson de Lyon je n’oubli pas de comender avant en même temps du fromage
blanc et du beurre de Belley : Le beurre me représente mon pays (Beaufort)
et pour le dernier jour (ou l’un des derniers) j’ai envie d’en graisser mes
bottes puisqu’on m’a dit un joure que je voulais les graisser déjà (car je ne
les porte que depuis une quinzaine de jours) que sur le tarif il n’y avait pas
de graisse de marquée. Oui j’ai bien compris c’était pour éviter le contre coup
de l’effet de l’huile de Mrs les Gons [cons]…
Mais celles-ci pourvu qu’elles soit graissé c’est tout ce qu’il faut car
elles aussi s’endurcissait de nouveau au bureau d’Instructions à côté du
fourneau de Mr Fourquet… Je crois que
c’est tout… Agréez mes sincères salutations. Vacher. »
Sergent réformé devenu vagabond, Joseph Vacher est
considéré, après Martin Dumollard, comme l’un des tout premiers tueurs en série
français. Bien qu’il ne fût condamné que pour un seul meurtre, il en avoua 11
et resta soupçonné d’être l’auteur d’une cinquantaine de crimes
particulièrement sadiques, dont l’égorgement d’au moins vingt femmes et
adolescents, par la suite mutilés et violés.
À la rédaction de cette lettre, Vacher se trouve à la prison de Belley (dans
l’Ain), pour être entendu par le juge d’instruction Fouquet. Moins de trois
mois auparavant, au début d’octobre 1897, il fait ses premières confessions,
promettant plus de détails en échange de la publication de sa lettre d’aveux
dans Le Petit Journal, le Lyon républicain (qu’il lit
régulièrement), Le Progrès de Lyon et La Croix. Cela provoque un
retentissement médiatique considérable de ses crimes dans la presse écrite
française et étrangère. Sachant son transfert imminent pour la prison Saint
Paul de Lyon, il rédige ici ses instructions au docteur Lacassagne qu’il doit
retrouver aux côtés des docteurs Pierret et Rebatel chargés de l’examiner. Son
cas, dès son procès (tenu en octobre 1898), fera l’objet d’un vif débat sur le
thème « santé mentale et responsabilité pénale ». Le rapport du docteur
Lacassagne souligne le degré d’atrocité des crimes reprochés à Vacher, et
conclut : « Vacher n’est pas aliéné ; il est absolument guéri et complètement
responsable des crimes qu’il a commis et avoués. » Il est finalement condamné à
mort et guillotiné sur le Champs-de-Mars de Bourg-en-Bresse le 31 décembre
1898.
Le personnage de Joseph Bouvier, interprété par Michel
Galabru dans le film Le Juge et l’assassin (1976), de Bertrand
Tavernier, est inspiré de Joseph Vacher.
Les lettres de Joseph Vacher en mains privées sont de
toute rareté