RAVEL, Maurice (1875-1937)
Lettre autographe signée « Maurice Ravel » à Maurice
Emmanuel
[Le Belvédère, Montfort-l’Amaury (S. & O.)], « 14/10/[19]22 », 4 p. in-8°
Avec enveloppe autographe timbrée et oblitérée (découpée en marge supérieure
gauche)
Annotation « à Maurice Emmanuel » d’une autre main
Célèbre et importante lettre dans
laquelle Ravel réagit aux critiques sur La Valse, sa première œuvre
majeure de l’après-guerre, tout en y expliquant sa signification artistique
« Cher Monsieur,
En rentrant à Montfort(1), je trouve votre aimable lettre, et
celle de M. Bleuzet(2). La partition que vous allez recevoir
indique en effet les intentions de l’auteur. Ce sont les seules dont il faille
tenir compte. Ce « poème chorégraphique » est écrit pour la scène. La 1ère
en est réservée à l’opéra de Vienne, qui le donnera… quand il pourra.
Il faut croire que cette œuvre a besoin d’être éclairée par les feux de
la rampe,tant elle a provoqué de commentaires étranges. Tandis que les uns y
découvraient un dessein parodique, voire caricatural, d’autres y voyaient
carrément une allusion tragique – fin du second Empire, étant de
Wien après la guerre, etc.
Tragique, cette danse peut l’être comme toute expression – volupté, joie
– poussée à l’extrême. Il ne faut y voir que ce que la musique y exprime : une
progression ascendante de sonorité(3), à laquelle la scène
viendra ajouter celle de la lumière et du mouvement.
Je pense que Durand a dû vous envoyer la brochure de Roland-Manuel, dans
laquelle vous trouverez, mieux que je saurais vous les donner, tous les
renseignements que me demande de votre part M. Bleuzet.
Veuillez croire, cher Monsieur, aux sentiments cordiaux de votre dévoué
Maurice Ravel »
[1] Ravel revenait de Hollande où il avait pris part
au festival de musique française contemporaine organisé au Concertgebouw d’Amsterdam
du 27 septembre au 1er octobre.
[2] Louis Bleuzet (1871-1941), hautboïste, secrétaire de la Société des
concerts du Conservatoire.
[3] En 1928, Maurice Ravel fera une « progression ascendante de sonorité »
encore plus marquée avec Le Boléro.
La Valse, poème
chorégraphique pour orchestre, fut composé par Ravel entre 1919 et 1920 et créé
publiquement le 12 décembre 1920 par les Concerts Lamoureux.
Sa genèse remonte cependant à l’année 1906. En accord avec Serge de Diaghilev,
Ravel en visage de composer pour le ballet une Apothéose de la valse en
hommage à Johann Strauss. La Première Guerre mondiale l’oblige toutefois à
reporter ses projets et fait changer de trajectoire le compositeur dans ses
ambitions initiales. L’évocation romantique et fastueuse de la cour viennoise
du XIXe siècle, si bien représentée par les Valses de Johann Strauss II, est
remplacée par l’image d’un monde décadent.
Ravel compose La Valse avec acharnement, comme un exutoire, et l’achève
en moins de cinq mois, défigurant sciemment la valse viennoise tout en
dépeignant un « tourbillon fantastique et fatal ». Refusée par les Ballets
russes en 1920 lors d’une première audition qui marque la rupture définitive
entre Ravel et Diaghilev, et en dépit des critiques mitigées, l’œuvre connaît
malgré tout un immense succès au concert et est finalement adaptée pour le
théâtre, en 1929, pour les ballets d’Ida Rubinstein.
La Valse porte la référence M.72 dans le catalogue des œuvres du compositeur établi par le musicologue Marcel Marnat.
Bibliographie :
Maurice Ravel, éd. Arbie Orenstein, Flammarion, p. 205-206, n°206
Maurice Ravel, L’intégrale, éd. Manuel Cornejo, Le Passeur, p. 848,
n°1502
Exposition :
Maurice Ravel, Bibliothèque Nationale, 1975, n°323
Provenance :
Maurice Emmanuel
Puis Frank Emmanuel, par descendance
Puis collection particulière