APOLLINAIRE, Jacqueline, née Kolb (1891-1967)
Deux carte-lettres autographes signées « Jacqueline »
à Angelika Kostrowicka
[Paris, 4 et 6 janvier 1918], 2 p. in-8°
Déchirure à l’ouverture de la seconde lettre (signature manquante sauf une
lettre, le « J » de Jacqueline)
Petites décharges d’encres, quelques ratures de la main de Jacqueline
Apollinaire
Adresse autographe au verso de chacune des deux
cartes-lettres
« Madame Kostrowitzky
10 Villa Lambert
Chatou S[eine] et O[ise] »
Cachets postaux :
Bd Saint-Germain 195 Paris 120 4 janvier [19]18 7h30 et 6 janvier [19]18
18 h
DE L’ANCIENNE COLLECTION JACQUES GUÉRIN
Précieux ensemble inédit témoignant des
fortes tensions entre Jacqueline Apollinaire et sa future belle-mère au moment
de l’hospitalisation du poète, au début de l’année 1918
Nous avons laissé le texte de Jacqueline Apollinaire
en l’état
Première lettre : le 4 janvier 1918
« Chère Madame,
Guillaume me prie de vous dire de l’excuser de n’être pas allé vous
souhaiter la bonne année. l s’est couché le 30 après déjeuner, il ne
s’est levé que ce matin pour aller a l’hôpital, comme il est militaire, il
ne peut pas etre soigner a la maison, Le major de la place la envoyé à
l’hopital où il a été trépané [Villa Molière, hôpital militaire
complémentaire du Val de Grâce à Paris]. Il a une bronchite, j’espère que ce
ne sera pas grave. Je l’ai eu ces trois derniers jours avec 39 de fièvre.
Demain j’apporterai j’irai le voir, il a essayé de vous écrire cet
après-midi mais le transport l’a tellement fatigué je suis sûre qu’il ne
manquera pas de le faire demain. Je vous embrasse Jacqueline »
[Elle rajoute en marge] « Voici son adresse si vous voulez
devancer sa lettre. Sous le nom d’Apollinaire. »
Seconde lettre : le 6 janvier 1918
« Chère Madame,
Malgré votre injustice a mon égard, je vous rappelle si je ne
vous l’ai pas dit hier que vous pouvez voir votre fils a l’hopital de 2 à 4 H
mais que pendant cette periode de fievre la visite ne pourra durer plus de
cinq minutes nos deux visites sont d’ailleurs les seules autorisées.
Respectueusement. J[acqueline] »
[ajout en haut de la lettre] « Je mets ce mot pour que vous ne
m’accusiez pas de vouloir éloigner Guillaume de vous. »
[manifestement, Jacqueline Apollinaire a des problèmes
avec les accents et les majuscules, il est probable qu’elle n’a fait que le
minimum d’études à l’école primaire, son style est également quelque peu
populaire par exemple avec l’expression : “Je l’ai eu avec 39 de fièvre”]
Gazé pendant la guerre, Apollinaire souffrait
d’importants problèmes respiratoires, en plus de l’éclat d’obus qu’il avait
reçu à la tempe et qui lui avait valu une trépanation, le 9 mai 1916, à la
Villa Molière. Sa compagne Jacqueline, infirmière aux origines modestes,
mesurait alors sans doute mieux que personne à quel point sa santé était
fragilisée, sans toutefois prendre l’entière mesure du mal, puisqu’elle évoque une
bronchite alors qu’il s’agissait d’une congestion pulmonaire, autrement grave.
Il fut hospitalisé à l’endroit même où il avait été trépané un an et demi plus
tôt, à l’hôpital militaire complémentaire du Val de Grâce.
Jacqueline informe ici sa future belle-mère de l’hospitalisation de son fils.
De nature irascible et ne supportant pas que son fils vive maritalement avec
Jacqueline Kolb (ils ne se marieront que le 2 mai 1918), elle n’a sans doute
pas apprécié que Jacqueline ait mis tant de temps à la prévenir de
l’hospitalisation de son fils. La réponse de Jacqueline dans la seconde lettre
vient confirmer cette hypothèse. Il est d’ailleurs intéressant d’observer la
différence de décachetage entre les deux lettres. C’est manifestement ulcérée
que Madame de Kostrowitsky ouvrit la seconde, arrachant comme par une étrange
coïncidence la signature de Jacqueline. La tension entre les deux femmes était
telle que la mère du poète après sa mort fit mettre les scellés sur son
appartement. Il était aussi celui de Jacqueline qui s’empressa de les faire
retirer.
Provenance :
Précieux autographes [Collection Jacques Guérin], Drouot, 22 novembre 1985,
expert Michel Castaing, n°154 (la notice attribue de façon erronée une « double
trépanation » – il n’y en eut qu’une en réalité – à la déficience pulmonaire du
poète) – Vente d’autographes, Drouot, 5 juin 1992, expert Frédéric Castaing,
n°2 (la notice reprend les mêmes erreurs de celle du 22 novembre 1985).
Nous remercions madame Claude Debon pour les
renseignements qu’elle nous a aimablement communiqués.